Privilège régalien, la grâce présidentielle est une mesure prise par le Président de la République visant à supprimer ou réduire une peine de prison définitive et exécutoire. Très controversée, cette pratique est aujourd’hui au-devant de la scène avec l’affaire Jacqueline SAUVAGE.

Le pouvoir d’accorder une grâce est conféré au Président de la République aux termes de l’article 17 de la Constitution. Accordée à titre individuel, la grâce présidentielle est à différencier de l’amnistie en ce qu’elle ne supprime pas la décision de condamnation qui continue de figurer au casier judiciaire.

Aujourd’hui, cette mesure qui peut être demandée par le condamné lui-même, un de ses proches, son avocat, une association ou le procureur de la République, a connu une évolution. En effet, depuis 2008, la grâce collective a été supprimée. Ce faisant, la grâce s’est individualisée en se fondant sur le critère du « mérite ».

Désormais, le Président de la République choisit individuellement qui mérite d’être gracié, ce qui peut avoir pour conséquence d’installer une inégalité entre les condamnés dès lors que certaines affaires émeuvent plus, notamment du fait d’une forte médiatisation.

Cela fait dire à certains que la grâce est politique. Martine Herzog-Evans, Professeur à l'université de Reims, remarquera que « La nouvelle pratique revient pour le président de la République à s'arroger un pouvoir d'individualisation de la peine qui, en droit moderne de l'application des peines relève du juge judiciaire ».

Quoiqu’il en soit, la grâce continue de s’appliquer. Après Omar RADDAD[1] ou encore Véronique AKOBE[2], c’est au tour de Jacqueline SAUVAGE d’en bénéficier.  

Cet épisode judiciaire aura défrayé la chronique pendant de nombreux mois. Après une condamnation affirmative de la cour d'assises du Loir-et-Cher, Jacqueline SAUVAGE a été reconnue coupable du meurtre de son mari qui a reçu trois coups de fusil, le 10 septembre 2012, après 47 années de violences conjugales et le lendemain du suicide par pendaison de son fils, également victime des violences de son père.

Après avoir renoncé à se pourvoir en cassation, sachant en plus que la Haute Cour ne pourra se prononcer sur la condamnation, ses trois filles, aussi victimes de leur père, sont allées plaider la cause de leur mère auprès du Président HOLLANDE.

En février 2016, le Président HOLLANDE accorde une grâce partielle à Jacqueline SAUVAGE, « une remise gracieuse de sa peine d’emprisonnement de 2 ans et 4 mois ainsi que de l’ensemble de la période de sûreté qu’il lui reste à accomplir. Cette grâce lui permet de présenter immédiatement une demande de libération conditionnelle ». « Le président de la République », précise le communiqué, « a voulu, face à une situation humaine exceptionnelle » rendre « possible, dans les meilleurs délais, le retour de Mme Sauvage auprès de sa famille, dans le respect de l’autorité judiciaire ».

Toutefois, la libération conditionnelle ne lui sera pas accordée pour une raison principale : Jacqueline SAUVAGE n’exprime aucun regret suite à son geste. En effet, une des conditions essentielles de la libération conditionnelle est la reconnaissance de culpabilité.

Enfin, après avoir rencontré les filles de Jacqueline SAUVAGE, le Président HOLLANDE décidera le 28 décembre 2016 de prononcer une grâce totale. L'Elysée annonce dans un communiqué « une remise gracieuse du reliquat de la peine d’emprisonnement » de Jacqueline Sauvage, qui «met fin immédiatement à sa détention». Le président de la République estime que sa place n'est « plus aujourd'hui en prison, mais auprès de sa famille».

Cette décision n’a pas manqué de choquer certains qui dénoncent une ingérence de l’exécutif dans le judiciaire, surtout que cette affaire a connu une très forte médiatisation. Mais pour d’autres, à l’instar de Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris, « Le propre de la justice est d’être humaine, elle peut se tromper. Il n’est pas anormal que le premier magistrat de France, élu par le peuple au nom de qui la justice est rendue, décide pour des raisons humaines de mettre fin à une situation, même si la méthode est un peu brouillonne. »
 

Me Yannick LUCE

Avocate au Barreau de Paris

 

 


[1]Condamné en 1994 à 18 ans de réclusion criminelle, il a bénéficié d’une grâce partielle en 1996, accordée par le Président de la République Jacques Chirac.

[2] Condamnée en 1990 à 20 ans de réclusion criminelle, après avoir purgé six ans de cette peine, elle a bénéficié d’une grâce totale en 1996, accordée par le Président de la République Jacques Chirac.