Ce qu’il faut retenir :

Dans un arrêt du 8 juin 2023 publié au bulletin (Cass. civ. 3, 8 juin 2023, n° 22-13.855), la Cour de cassation juge qu’une parcelle expropriée ne peut être qualifiée de terrain à bâtir alors même qu’à la date de référence, le plan de prévention des risques inondation (PPRI) en cours de révision prévoirait de reclasser en zone verte de faible aléa ladite parcelle, jusqu’alors classée en zone rouge du plan.

Si une parcelle équipée et située en zone constructible devra, en application des dispositions de l’article L. 322-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, être qualifiée de terrain à bâtir, le juge de l’expropriation ne peut tenir compte du projet de révision d’un PPRI pour conclure à une telle qualification.

Le projet de PPRI, qui avait certes fait l’objet d’un « porter à connaissance » en application des dispositions de l’article L. 132-2 du code de l’urbanisme, n’avait pas été approuvé à la date de référence.

Dès lors que le seul le PPRI en vigueur était opposable, le juge de l’expropriation ne pouvait se fonder sur un projet de PPRI pour qualifier une parcelle expropriée de terrain à bâtir.

 

Pour approfondir :

Les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), au nombre desquels figurent les plans de prévention des risques inondation (PPRI), constituent des servitudes d’utilité publique qui, en application des dispositions de l’article L. 562-4 du code de l’environnement, doivent être annexés au plan local d’urbanisme (PLU).

Au cas présent, la parcelle expropriée – bâtie et d’une contenance de 2 982 m2 – était pour partie classée en zone rouge du PPRI de la commune de BORDEAUX, lequel était annexé au PLU de BORDEAUX du 16 décembre 2016.

En première instance, le juge de l’expropriation du département de la GIRONDE avait considéré cette parcelle comme constructible et avait appliqué une plus-value de 20% à la valeur du bien en s’appuyant sur le projet de PPRI, dont la révision avait été engagée le 2 mars 2012 et qui avait vocation à reclasser la parcelle en zone verte d’aléa faible.

L’indemnité d’expropriation avait été fixée par le premier juge via la méthode terrain intégré sur la base d’une surface habitable de 220 m2, tenant compte de la plus-value apportée par la portion de terrain pouvant, eu égard au projet de PPRI, être qualifiée de terrain à bâtir.

En appel, la chambre de l’expropriation de la Cour d’appel de BORDEAUX a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer une telle plus-value mais a néanmoins confirmé le jugement s’agissant de la prise en compte du projet de PPRI.

La Cour retient en effet que « si la parcelle est située en zone rouge du PPRI, ce dernier est en cours de révision et les services de l’Etat, par « porter à connaissance » du 20 juillet 2016 classent la parcelle en zone verte du PPRI, soit en zone de faible aléa à l’inondation. Il conviendra de tenir compte de cette information intervenue avant la date de référence. »

Les juges d’appel en déduisent que « si effectivement le « porter à connaissance » n’est pas opposable, il doit être pris en compte par les autorités compétentes saisies de demandes relatives aux parcelles concernées par les plans de prévention des risques ».

L’arrêt tire les conséquences de ces constatations en évaluant la partie du terrain située dans le périmètre du PPRI comme un terrain constructible.

A noter qu’une telle approche a, depuis lors, été condamnée par la Cour de cassation, qui juge « qu'une même parcelle ne peut être qualifiée de terrain à bâtir pour partie seulement » (Cass. Civ. 3, 30 novembre 2022, n° 21-22.975)

Au stade du pourvoi, l’expropriant soutient avec succès que l’arrêt ne pouvait tenir compte du projet de PPRI, lequel n’avait pas pour effet de remettre en cause les dispositions toujours en vigueur du plan, sans méconnaître les dispositions de l’article L. 322-3 du code de l’expropriation et de l’article L. 562-4 du code de l’environnement.

La Cour de cassation indique que « le projet de révision du plan de prévention des risques naturels porté à la connaissance de la métropole n'avait pas eu pour effet de modifier la teneur du plan de prévention des risques naturels approuvé, classant la parcelle expropriée en zone inconstructible, qui seul était annexé au plan local d'urbanisme ».

Cette dernière précision relative à l’annexion du plan de prévention des risques au PLU fait écho à une précédente décision de la Cour de cassation qui avait alors jugé que « qu'à la date de référence, la commune de Jausiers n'était pas pourvue d'un plan d'occupation des sols et que [… ] la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur la suffisance effective des réseaux par rapport à la constructibilité effective des terrains que ses constatations rendaient inopérante, a retenu à bon droit que le plan de prévention des risques naturels ne pouvait être assimilé à un document d'urbanisme au sens de l'article L. 13-15 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et que le terrain était un terrain à bâtir ; » (Cass. Civ. 3, 11 février 2009, n° 07-13.853)

La synthèse de ces deux décisions pourra surprendre puisqu’il en résulte que la qualification de terrain à bâtir ne dépend pas tant du niveau de risque identifié par le plan de prévention des risques que de l’existence d’un document d’urbanisme auquel ledit plan est annexé.

Ainsi, et même si le terrain est classé en zone rouge, la circonstance qu’aucun PLU n’ait été approuvé semble - à condition bien sûr que le terrain soit situé dans une partie actuellement urbanisée de la commune - autoriser le juge de l’expropriation à conclure à la qualification de terrain à bâtir.

En revanche, dès lors qu’un document d’urbanisme a été approuvé, le zonage retenu par les auteurs du PPRI lie le juge quant à la qualification de terrain à bâtir – quand bien même le risque aurait-il vocation à être atténué dans le futur plan de prévention des risques.

Dans les faits, en l’absence de relation directe entre la qualification d'un terrain à bâtir et son évaluation, le juge tirera toutes les conséquences de l'identification d'une parcelle dans un plan de prévention des risques pour l’évaluation de celle-ci (voir en ce sens : CA ANGERS, 7 février 2023, n° 22/00001 ; CA AMIENS, 14 décembre 2021, n° 21/00525).