Par 3 arrêts rendus le 22 juin 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a apporté d’intéressantes précisions relatives aux délais applicables dans le cadre de la procédure de fixation judiciaire du prix devant le juge de l’expropriation.
Une tendance, très nette, se dégage : les délais courent, peu importe les erreurs commises !
Il apparaît plus que jamais essentiel – a fortiori compte tenu des enjeux – de faire appel aux services d’un conseil rodé aux procédures d’expropriation et de préemption.
Cass. civ. 3, 22 juin 2023, n° 22-17.476
Dans un premier arrêt publié au bulletin, la Cour de cassation juge que le délai imparti au défendeur pour notifier au demandeur son mémoire en réponse commence à courir dès la notification du mémoire du demandeur, et ce même si la juridiction de l’expropriation saisie est territorialement incompétente.
En l’espèce, l’expropriante avait saisi par erreur le Tribunal de grande instance de Montluçon, qui s’était déclaré incompétent au profit du juge de l’expropriation du département de l’Allier siégeant au Tribunal de grande instance de Moulins.
La difficulté tient à ce que le greffe de la juridiction d’expropriation de Moulins, juridiction désignée, n’a pas invité les expropriés à poursuivre l’instance et à constituer avocat comme le prévoit l’article 82 du code de procédure civile.
Les expropriés indiquent n’avoir « appris la reprise de la saisine du juge de l’expropriation de Moulins, initiée par l’expropriant près d’un an auparavant (début février 2018), que 15 jours exactement avant l’audience du juge de l’expropriation du 8 février 2019 ».
Ils soutiennent que cette circonstance les a empêchés de rédiger leur mémoire en réponse dans le délai qui leur était imparti et ont en conséquence sollicité un report d’audience – demande à laquelle le juge de l’expropriation n’a pas fait droit.
En appel, la cour a rejeté leur demande d’annulation du jugement a déclaré irrecevables leurs demandes indemnitaires, faute d’avoir adressé leur mémoire en réponse à l’expropriante dans le délai de 6 semaines prévu à l’article R. 311-11 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Au stade du pourvoi, les expropriés ont fait valoir que ce délai n’a pu commencer à courir au motif que la saisine irrégulière de la juridiction de Montluçon n’avait pas été régularisée dans la mesure ou le greffe du Tribunal de grande instance de Moulins n’avait pas adressé aux parties l’avis prévu à l’article 82 du code de procédure civile.
La Cour rejette le pourvoi au motif que « le délai de six semaines imparti au défendeur pour notifier au demandeur son mémoire en réponse, prévu à l'article R. 311-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, commence à courir dès la notification du mémoire du demandeur même lorsque la juridiction saisie par celui-ci est incompétente, dès lors qu'en cas de renvoi devant une autre juridiction de l'expropriation, l'instance régulièrement engagée devant la juridiction initialement saisie se poursuit en l'état devant la juridiction de renvoi, sans suspension ou interruption de l'instance ».
Cass. civ. 3, 22 juin 2023, n° 22-15.569
Dans le deuxième arrêt du 22 juin 2023, la Cour de cassation juge que l’avis de réception transmis par le greffe de la cour d’appel mentionnant une date de réception erronée de l’acte d’appel n’a pu induire en erreur la société appelante, qui a reçu l’avis de réception de la lettre recommandée par laquelle elle avait interjeté appel et qui mentionnait une date de réception différente.
En l’espèce, la société appelante avait interjeté appel d’un jugement par lettre recommandée reçue au greffe du service d’expropriation de la cour d’appel le 21 juillet 2020.
Le greffe de la cour a transmis aux parties un avis de réception de l’acte d’appel mentionnant une date erronée de réception de l’acte d’appel, à savoir le 27 juillet 2020.
La cour d’appel a déclaré caduc l’appel de l’expropriante, faute pour celle-ci d’avoir déposé au greffe ses conclusions dans le délai de 3 mois – soit avant le 21 octobre 2020 – prévu par les dispositions de l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
En cassation, l’expropriante soutient avoir été induite en erreur par l’avis de réception de l’acte d’appel transmis par le greffe, qui mentionnait expressément que « en application de l'article R. 311-24 du code de l'expropriation, je vous informe que la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire métropolitaine – SOLEAM a interjeté appel par déclaration remise au greffe de la cour d'appel par l'intermédiaire de Me A. le 27 juillet 2020, dans l'affaire citée en référence, de la décision rendue le 27 mai 2020 par juge de l'expropriation de Bouches-du-Rhône.(…) Art. R. 311-26 du code de l'expropriation : A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel. »
La Cour de cassation retient néanmoins que l’expropriante « a bien reçu l’accusé réception de sa déclaration d’appel le 21 juillet 2020 de sorte qu’elle ne pouvait être induite en erreur par l’avis de réception transmis par le greffe comportant une date erronée, quand bien même cet avis reprenait, en note de bas de page, les dispositions des articles R. 311-24 et R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, puisqu’elle pouvait se convaincre elle-même de l’erreur du greffe ».
Cass. civ. 3, 22 juin 2023, n° 22-15.710
Dans ce troisième arrêt rendu le 22 juin 2023, la Cour de cassation rappelle que l’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure.
En l’espèce, les expropriés avaient interjeté appel d’un jugement fixant les indemnités leur revenant à la suite de l’expropriation d’une parcelle leur appartenant.
Si, contrairement à l’affaire précédemment évoquée, les appelants ont déposé leurs conclusions dans le délai de trois à compter de la déclaration d’appel, la cour d’appel a déclaré irrecevables les conclusions et pièces nouvelles déposées au-delà de ce délai.
Précisions, à ce stade, que l’expropriante avait formé appel incident tendant à ce que l’indemnité allouée aux expropriés soit minorée par rapport au montant fixé par le juge de l’expropriation du département de la Seine-Saint-Denis.
En cassation, les expropriés soutiennent que leurs conclusions et pièces nouvelles déposées le 4 mars 2021 ont été irrégulièrement écartées dès lors que l’expropriante avait formé appel incident moins de trois mois avant, le 20 décembre 2020.
La Cour de cassation fait logiquement droit à cette argumentation en rappelant qu’en application des dispositions de l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’intimé dispose d’un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure.
L’arrêt relève que « en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'expropriante avait formé un appel incident qui avait été notifié à la SCI et M. [V], appelants principaux, le 15 décembre 2020, soit moins de trois mois avant les conclusions et pièces déposées le 4 mars 2021 en réponse à cet appel incident, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Ainsi, l’appelant principal dispose classiquement d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour adresser ses conclusions et ses pièces au greffe de la cour.
Si, « l’intimé principal » forme appel incident, l’appelant principal devient intimé à l’appel incident et dispose donc d’un nouveau délai de trois mois – à compter de la notification qui lui faite – pour adresser ses conclusions et ses pièces.
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