Tribunal des Confflits, 10 janvier 2022  n° 4231; Fichage en B

Question de compétence posée :  Lorsque la juridiction administrative, statuant sur un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant le maître d'ouvrage aux constructeurs, a condamné ces derniers in solidum et fixé la part de responsabilité de chacun d'eux, est-elle également compétente pour connaître, dans une autre instance, de l'action en paiement que celui des constructeurs qui a réparé l'entier dommage forme contre un autre sur le fondement de l'article 1317 du code civil ?

Analyse :

Par une décision publiée aux Tables du Recueil Lebon, le tribunal des conflits a été amené le 10 janvier 2022 à se prononcer sur une situation fréquente, mais non tranchée, en matière de litige entre de sociétés parties à un marché public. Lorsque celles-ci sont condamnées in solidum à indemniser la personne publique et que l’une d’elles, après avoir réglé la totalité de la somme demandée au titre de la réparation du préjudice, se retourne vers un coobligé, le litige relève de la compétence du juge administratif. Cette solution doit être retenue indifféremment du fondement sur lequel l’action a été engagée, en plus d’être étendue au recours subrogatoire de l’assureur d’un des cocontractants

 

 

Les faits ayant conduit au litige sont les suivants, une commune avait confié la maîtrise d’œuvre d’un marché de construction à un groupement conjoint composé de plusieurs sociétés.

Ayant constaté des désordres dans l’exécution du marché, les sociétés sont condamnées in solidum à indemniser la ville en réparation de son préjudice, en première comme en seconde instance, devant le juge administratif.

L’une des sociétés s’acquitte alors du paiement de l’intégralité de la somme, et un litige né alors de ce versement, puisque plusieurs des sociétés qui composent le groupement n’ont pas remboursé leurs parts d’indemnisation, notamment pour cause d’insolvabilité.

La société s’étant acquittée de la totalité du paiement, et son assureur, saisissent à leur tour la juridiction administrative d’une demande subrogatoire tendant à voir condamner une société ayant remboursé sa part, au paiement de sommes au titre de sa contribution à la prise en charge des conséquences de l’insolvabilité des autres entreprises.

Cette demande est fondée sur l’article 1317 du Code civil, dont l’alinéa 3 concernant la situation des codébiteurs solidaires, prévoit que « si l'un d'eux est insolvable, sa part se répartit, par contribution, entre les codébiteurs solvables, y compris celui qui a fait le paiement et celui qui a bénéficié d'une remise de solidarité ».

 

Par la participation d’une personne publique aux marchés publics, il est admis que les rapports sont de droit public, et que concernant leur exécution, le Tribunal administratif est compétent.

Qu’en est-il cependant du recours entre coobligés, personnes morales de droit privé ? Est-ce la nature de la créance d’origine qui doit l’emporter ou, au contraire, celle de droit commun, pour les recours entre personnes de droit privé.

 

Le Tribunal des conflits répond à cette question et rend une décision classée B, révélatrice de l’intérêt de sa portée jurisprudentielle : « Le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l’action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et que le litige concerne l’exécution de ce contrat ».

 

Sur la compétence du juge administratif en matière de litiges entre constructeurs concernant l’exécution d’un marché public :

 

  • Le litige qui oppose les sociétés est né de l’exécution du marché de travaux publics ;
  • Les sociétés condamnées in solidum à indemniser la personne publique, n’étaient pas unies par un contrat de droit privé.

 

Quel que soit le fondement de l’action engagée, en l’espèce le recours entre les coobligés in solidum, le litige né de l’exécution d’un marché de travaux relève, sauf rares exceptions, de la compétence de la juridiction administrative.

 

Cette solution fait une distinction très claire quant à la nature des relations entre les acteurs d’un marché public : en l’absence de contrat entre les cocontractants il s’agit d’un recours de droit public, a contrario, en cas de contrat préalable entre eux, le recours de droit privé.

 

 

À noter pour conclure, l’extension faite par le Tribunal des conflits concernant l’action subrogatoire formée par l’assureur du cocontractant coobligé, pour laquelle il estime également compétente la juridiction administrative, quand bien même l’action subrogatoire est fondée sur le dernier alinéa de l’article 1317 du Code civil puisque : « une action subrogatoire ne saurait être portée par le subrogé devant un ordre de juridiction autre que celui appelé à connaître de l'action qui aurait été engagée par le subrogeant ».

Tirant les conséquences de cette décision, le tribunal précise également le sort du recours subrogatoire de l’assureur. Si l’action au principal relève du droit public, les recours qui s’en suivront, même entre personnes de droit privé, relèveront de la juridiction administrative.

 

L'arrêt ainsi que le commentaire du Tribunal des Conflits figurent sous ce post.