En 2016, un homme décède dans un accident de la circulation causé par une automobiliste qui était sous l’emprise d’un état alcoolique et roulait à une vitesse excessive. La femme de la victime, enceinte au moment des faits, accouche quelques semaines après l’accident.

À l’audience, elle se constitue partie civile en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de son fils.

Le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, condamne la prévenue à verser la somme de 10.000 € à l’enfant, légalement représenté par sa mère, en réparation du préjudice moral subi.

L’assureur de l’automobiliste condamnée fait appel de la décision. Le 25 octobre 2019, la cour d’appel de Rennes confirme le jugement de première instance. L’assureur se pourvoit en cassation.

Se pose donc la question de savoir si un enfant simplement conçu au moment de l’accident dont son père a été victime peut obtenir la réparation de son préjudice moral, et ce alors qu’il n’est pas encore né à la date du décès ?

Pour rappel, l’article 2 du code de procédure pénale dispose que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

Peut-on considérer qu’un enfant à naître lors de l’infraction souffre personnellement et directement du dommage causé par celle-ci ?

Dans son arrêt du 10 novembre 2020, n° 19-87.136, la chambre criminelle de la Cour de cassation répond par l’affirmative, et rejette le pourvoi formé par l’assureur de la prévenue.

La chambre criminelle estime en effet que l’enfant subit un préjudice direct et personnel en ce que l’absence de son père « sera toujours ressentie douloureusement par l'enfant qui devra se contenter des souvenirs de sa mère et de ceux de ses proches pour connaître son père et construire son identité », et qu’il « souffrira de l'absence définitive de son père qu'il ne connaîtra jamais, toute sa vie ». Le préjudice est certes futur au moment du décès du père, mais il est certain.

Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle opérée par la 2e chambre civile de la Cour de cassation en 2017 : alors qu’initialement, la deuxième chambre civile refusait d’indemniser les enfants simplement conçus lors du fait générateur de responsabilité (Civ. 2e, 24 février 2005, n° 02-11.999), elle a opéré un revirement de sa jurisprudence le 14 décembre 2017 (Civ. 2e, 14 décembre 2017, n° 16-26.687). Aujourd’hui, la jurisprudence des chambres de la Cour de cassation est donc uniforme sur ce point.