Dans l’affaire T‑1/15 Société nationale maritime Corse Méditerranée  soutenue par Comité d’entreprise de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) contre Commission européenne soutenue par Corsica Ferries France, Tribunal de l’Union européenne, 06 juillet 2017, ECLI:EU:T:2017:470, la problématique de la réouverture de la procédure d’examen d’une aide d’Etat après l’annulation par le Tribunal de l’Union européenne d’une décision de la Commission européenne en matière d’aide d’Etat, a été clairement posée.

 

Il était tout d’abord évident que le Tribunal ne pourrait suivre le motif que la requérante faisait valoir, tendant à dire que l’ordonnance du 6 octobre 2015, Comité d’entreprise SNCM/Commission - [C‑410/15 P(I), EU:C:2015:669] qui avait, après pourvoi, permis au Comité d’entreprise de soutenir la SNCM - aurait tendu également à démontrer qu’il était nécessaire de rouvrir la procédure formelle d’examen d’aide d’Etat après l’annulation par le Tribunal de l’Union européenne d’une décision de la Commission européenne en matière d’aide d’Etat .

 Par son pourvoi dans l’affaire C‑410/15 P(I) précitée, le comité d’entreprise de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) a demandé et obtenu l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 7 juillet 2015, SNCM/Commission (T‑1/15, EU:T:2015:488) portant rejet de sa demande d’intervention au soutien des conclusions de la partie demanderesse en première instance dans l’affaire T‑1/15, qui visent à l’annulation de la décision 2014/882/UE de la Commission, du 20 novembre 2013, concernant les aides d’État SA 16237 (C 58/2002) (ex N 118/2002) mises à exécution par la France en faveur de la SNCM (JO 2014, L 357, p. 1). (Nous y reviendrons dans une autre note.)

Cette ordonnance indiquait effectivement, clairement et à suffisance, que c’étaient les droits procéduraux du Comité d’entreprise qui avaient été violés par la non réouverture de la procédure formelle : « il convient, dès lors, de considérer que le comité d’entreprise, partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui vise à soutenir les conclusions d’une autre partie intéressée se prévalant elle‑même d’une violation des droits procéduraux que cette dernière tire de cette disposition, justifie d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige dont le Tribunal est saisi au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice » ; elle ne s’exprimait pas sur la légitimité ou non d’une réouverture de la procédure d’examen par rapport aux droits de l’entreprise suite à l’annulation d’une décision de la Commission par les tribunaux de l’Union européenne.

 

Il faut bien séparer les choses. La nécessité ou non de rouvrir la procédure d’examen lorsque la Commission prend une nouvelle décision suite à un arrêt de la Cour de Justice annulant  une première décision, est une chose.  La possibilité d’accès d’une partie intéressée à la procédure non contentieuse de contrôle des aides d’Etat par la Commission en est une autre . La possibilité de reconnaître un droit d’accès d’une partie intéressée à la procédure contentieuse lorsque ce droit d’accès lui est fermé par la non réouverture d’une procédure non contentieuse de contrôle des aides d’Etat par la Commission en une troisième ; c’est cette troisième qui a été reconnue par la Cour dans son ordonnance précitée de 2015.

 

Si effectivement il est légitime de penser qu’une réouverture de la procédure d’examen aurait pu permettre à l’entreprise de définir les nouveaux éléments de preuve qu’elle aurait pu apporter en cas de réouverture de la procédure formelle d’examen, elle n’a pas démontré - ni plus fait que l’Etat ou le Comité d’entreprise lui même- dans le cadre de la procédure contentieuse que ces preuves existaient à suffisance pour que le Tribunal ait un doute suffisant le conduisant alors à considérer que la procédure aurait dû être rouverte .

 

Il aurait été intéressant, pour la bonne compréhension juridique, qu’il y ait pourvoi sur ce point afin de ne pas « hypothéquer » les futures procédures de remplacement d’une décision de la Commission en matière d’aide d’Etat, suite à une annulation par le Tribunal de la dite décision, par une autre décision sans repasser par la procédure d’examen .

 

Dans cet arrêt le Tribunal ne dit pas qu’il ne faut pas rouvrir de procédure d’examen après l’annulation d’une décision par le Tribunal ou par la Cour et la reprise d’une autre décision par la Commission . Il dit seulement que dans le cas d’espèce ce n’était pas nécessaire. C’est la démonstration qu’il en fait qui nous intéresse ici, sous l’angle d’analyse de procédure et non pas quant au fond du cas d’espèce.

 

Aux points 69 et 70 de son arrêt le Tribunal  va développer le principe d’une procédure formelle d’examen non systématique reposant sur un « choix » donné à la Commission d’ouvrir ou non la procédure .

 

  • Le Tribunal affirme d’abord le caractère non obligatoire de la procédure formelle d’examen lorsqu’il dit au point 69 « qu’il ne ressort aucunement de la jurisprudence  que l’annulation en raison d’erreurs de droit ou d’erreurs manifestes d’appréciation, et non d’un défaut de motivation, d’une décision de la Commission en matière de contrôle des aides d’Etat, implique nécessairement la réouverture de la procédure formelle d’examen » . Il s’agit cependant plus d’un constat de carence jurisprudentielle en la matière que d’une analyse juridique. C’est ce que l’on peut regretter et même reprocher au Tribunal.

 

  • Ce caractère non obligatoire, le Tribunal le justifie au même point 69 de son arrêt « Il convient par ailleurs d’observer qu’aucune disposition du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), ne spécifie les cas dans lesquels la Commission est dans l’obligation de rouvrir la procédure formelle d’examen. » On pourrait inversement dire que ce même règlement ne dit pas dans quels cas la Commission peut se priver de la réouverture d’une procédure formelle d’examen. Ceci constitue à tout le moins une nouvelle évolution des pouvoirs de la Commission en matière d’aide d’Etat, un recul du droit au contradictoire, et au plus une violation des droits des entreprises . Le nouveau règlement (UE) 2015/1589 JOUE L 248/9 du 24.9.2015 entré en vigueur le 14 octobre 2015, qui a abrogé et remplacé le règlement de 1999 , et qui est un texte codifié, n’est pas plus prolixe en la matière. Son article 4 4-4 dit que «  Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du TFUE (ci-après dénommée «décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen»). » et son article 6 « 1.   La décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d'une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur. La décision invite l'État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai. 2.   Les observations reçues sont communiquées à l'État membre concerné. Toute partie intéressée peut demander, pour cause de préjudice potentiel, que son identité ne soit pas révélée à ce dernier. L'État membre concerné a la possibilité de répondre aux observations transmises dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai. »  Toutefois au considérant 8 du règlement de 1999 on peut lire « Dans tous les cas où la Commission, à l'issue de son examen préliminaire, ne peut conclure à la compatibilité d'une aide avec le marché intérieur, la procédure formelle d'examen devrait être ouverte afin de permettre à la Commission de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour évaluer la compatibilité de l'aide, et aux parties intéressées de présenter leurs observations. La procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du TFUE offre le meilleur moyen de garantir les droits des parties intéressées. » alors que au même considérant du règlement de 2015 on peut lire « devrait » au lieu de « doit. Mais rien ne dit non plus si en cas d’annulation d’une décision suite à un arrêt du Tribunal ou de la Cour la Commission « doit » ou « devrait » ou même peut s’abstenir d’ouvrir une nouvelle procédure formelle . On aurait aimé une interprétation plus précise de la Cour sur ce point.

 

  • Puis le Tribunal va donner à la Commission, en la matière, un pouvoir d’appréciation . Au point 70 le Tribunal va dire que « la Commission peut, en fonction des circonstances de l’espèce, être contrainte de rouvrir la procédure formelle d’examen, d’une part, en vue de recueillir les éléments nécessaires à la nouvelle analyse et, d’autre part, pour donner la possibilité aux tiers intéressés de faire valoir leurs arguments sur les nouvelles analyses menées par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2011, Région Nord-Pas-de-Calais/Commission, T‑267/08 et T‑279/08, EU:T:2011:209, point 83). » On peut s’interroger sur l’effectivité juridique d’un droit conféré sur « la possibilité d’être contrainte » .  On peut tout autant s’interroger sur la réalité opérationnelle de cette possibilité lorsque dans le même temps le Tribunal offre à la Commission la possibilité de ne pas rouvrir la procédure d’examen et lorsque l’on a pu lire dans les mémoires de la Commission le peu de considération concernant la présence et la reconnaissance des Comités d’entreprise comme partie intéressée à la procédure contentieuse . La Commission a donc, là bien le choix d’ouvrir ou non la procédure formelle d’examen .  On peut s’interroger également sur la portée effective de cette possibilité puisque dans la présente affaire Corsica Ferries était bien un tiers intéressé, Corsica Ferries ayant déposé plainte contre la SNCM, mais pour autant, et bien que Corsica Ferries ait gagné son contentieux et soit directement intéressé à la solution, la Commission n’a pas pour autant rouvert la procédure formelle d’examen . Peut être la Commission avait elle estimé que Corsica Ferries avait à suffisance fait valoir ses arguments.  On peut enfin s’interroger sur le fait de donner ce choix de réouverture ou non à la Commission qui ouvrirait ou non aux « tiers intéressés » lorsque l’on n’a pu que constater dans les affaires  concernant la demande d’intervention du Comité d’entreprise SNCMque la Commission a une vision essentiellement « entreprises » des tiers intéressés . En effet, dans le cadre de la procédure contentieuse,  Corsica Ferries sera reconnue sans opposition aucune par la Commission comme partie intéressée à son soutien alors que la Commission s’opposera à reconnaître le Comité d’entreprise comme partie intéressée tant en première que en seconde instance. Peut-on donc lui laisser l’appréciation d’une ouverture ou non en fonction des « tiers intéressés » lorsqu’elle a démontré dans le cadre de la présente affaire qu’elle a tendance à préférer les parties intéressées qui la soutiennent. Mais il s’agissait certainement d’un défaut de jeunesse la Commission sous l’influence de l’ordonnance de la Cour de Justice devant désormais avoir une vision plus large du champs des « tiers intéressés ».

 

La position du Tribunal est donc de considérer qu’il n’y a pas automaticité de réouverture d’une procédure formelle d’examen d’aide d’Etat en cas d’annulation d’une décision de la Commission en la matière par le Tribunal ou la Cour de Justice de l’Union européenne.

 

La position du Tribunal est aussi de considérer  que l’appréciation de l’opportunité de rouvrir une procédure formelle d’examen appartient à la Commission.

 

La position du Tribunal est également de dire que  l’appréciation de cette opportunité ne peut reposer sur une référence sommaire à la jurisprudence mais doit clairement reposer sur une appréciation conjointe des motifs de l’arrêt d’annulation de la décision et des circonstances de l’espèce (point 71) .

En ce sens, la circonstance que après l’arrêt d’annulation la Commission ait demandé et « permis » aux autorités de l’Etat et aux représentants de la requérante de déposer des observations , « loin de constituer une violation des droits procéduraux, contribue au contraire à en assurer le respect »; la circonstance que au cours de cet échange ni les autorités de l’Etat concerné ni la requérante n’ont remis en cause le cadre d’analyse de la Commission ; ces deux circonstances conjuguée avec le fait que il y a que la requérante est restée en défaut de définir les nouveaux éléments de preuve qu’elle aurait pu apporter en cas de réouverture de la procédure formelle d’examen légitime selon le Tribunal la non réouverture d’une procédure formelle.

 

Cette position est intéressante. En l’état elle pourrait faire jurisprudence . Mais cette position est prise sans le dire à suffisance et sans en définir les strictes conditions.

C’est peut être aller un petit peu vite et l’on aurait, là aussi, apprécié les nécessaires précisions de la Cour sur ce « changement » , sur la mise en place de cette « nouvelle procédure adaptée ».

 

Le Tribunal va, aussi et surtout, aussi considérer  qu’il existe un cas où la réouverture de la procédure formelle n’est pas nécessaire : lorsque l’arrêt qui annule la première décision a clairement identifié les erreurs d’analyse de la Commission et les nouvelles analyses à produire, sous réserve que la Commission les reprenne et bâtisse sa nouvelle décision sur cette base. Dans ce cas une nouvelle procédure d’examen n’est pas nécessaire (point 73 de son arrêt). Mais c’est encore donner un nouveau et subtil pouvoir d’interprétation à la Commission, pouvoir qui ne pourrait plus être démontré et éventuellement contré que dans le seul cadre contentieux .

 

Il est fort à penser que dans cette affaire il n’y aura pas pourvoi et pourtant, à elle seule cette approche nouvelle de la procédure le mériterait bien .

 

Maitre Christine Bonnefoi