Le droit français prévoit que l’exercice du droit d’action civile se réalise par voie d’intervention ou par voie d’action. En ce dernier cas, la victime peut saisir la juridiction d’instruction par le biais d’une plainte avec constitution de partie civile ou bien la juridiction de jugement par voie de citation directe. Cependant, la citation directe ne doit pas permettre de contourner une ordonnance de non- lieu rendue au cours d’une procédure antérieure et son exercice est soumis au respect du principe du non bis in idem.

La Cour observe qu’à la suite de l’arrêt Botrans rendu en 1961, la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué selon deux tendances.

  • Une première tendance a limité l’interdiction faite à la partie civile d’user de la voie de la citation directe aux personnes dont le statut pénal est clair : témoin assisté, personne mise en examen ou nommément désignée dans une plainte avec constitution de partie civile ;
  • Une seconde tendance a élargi l’interdiction de nouvelles poursuites par la partie civile aux personnes simplement « impliquées » dans la procédure antérieure.

La Cour en déduit que la jurisprudence de la Cour de cassation était hésitante au moment où l’ordonnance de non-lieu du 13 juillet 2005 a été rendue. Mme Allègre ne pouvait donc pas exclure que les juridictions nationales déclarent sa citation directe irrecevable en l’absence d’appel de l’ordonnance de non-lieu devenue définitive.

La Cour considère qu’en faisant le choix de ne pas faire appel de l’ordonnance de non-lieu, et de ne pas poursuivre la procédure déjà engagée à l’initiative du ministère public, Mme Allègre s’est placée dans une situation en laquelle elle risquait de se voir opposer l’irrecevabilité de la citation directe délivrée à l’encontre du CEA. Dès lors, elle estime que l’interprétation de l’article 188 du code de procédure pénale par les juridictions nationales et l’autorité de chose jugée de l’ordonnance de non- lieu qui a été opposée à la requérante n’ont pas porté atteinte à son droit d’accès un tribunal.

En ce qui concerne la question du principe de la sécurité juridique, la Cour rappelle qu’il n’existe pas, au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de droit acquis à une jurisprudence constante. En accord avec le Gouvernement, la Cour estime que le second arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 octobre 2011, ne constituait pas un revirement de jurisprudence imprévisible, la Cour de cassation ayant fait application de son arrêt du 2 décembre 2008 qui fixait la jurisprudence dans le sens d’un élargissement des bénéficiaires du non-lieu et donc d’un contrôle plus étroit de la liberté d’agir de la partie civile. Par ailleurs, la Cour observe que l’arrêt du 11 octobre 2011 n’a pas été rendu par l’assemblée plénière même si les textes pertinents relatifs à la saisine de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation prévoient le renvoi d’une affaire devant celle-ci lorsqu’un premier arrêt a fait l’objet d’une cassation et que la décision rendue par la cour de renvoi est attaquée par les mêmes moyens. Elle rappelle cependant qu’elle doit éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice des fonctions juridictionnelles ou dans l’organisation juridictionnelle des États, que les juridictions nationales sont les premières responsables de la cohérence de leur jurisprudence et que l’intervention de la Cour doit rester exceptionnelle.

La Cour considère donc que la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 octobre 2011 répondait aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il n’y a pas eu méconnaissance du principe de sécurité juridique.

(ABSTRACT  communiqué de Presse CEDH 256 (2018) 12.07.2018 ; arrêt de chambre, rendu ce jour dans l’affaire Allègre c. France (requête no 22008/12), Cour européenne des droits de l’homme.)