Cet article fait suite à celui du 11 septembre 2018.
Précisons, à ce stade et sur ce sujet complexe, que les deux arrêts qui soutendent la jurisprudence en la matière sont très récents, pris en Grande Chambre par la Cour de Justice de l’Union européenne, et que ce sont des interprétations en réponse à deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne).
En ce sens ils s'imposent et il ne faut pas s’attendre à un potentiel revirement de jurisprudence en la matière. Ces arrêts sont importants juridiquement dans leur(s) effet(s).
La problématique analysée découle du contrôle juridictionnel de la mise en oeuvre et de l'application dans un Etat de la directive 2000/78 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ; cette directive prévoit que dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu'une caractéristique liée à la religion (ou aux convictions, à un handicap, à l'âge ou à l'orientation sexuelle) constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée.
Rappelons tout d’abord que lorsqu’une église (ou une autre organisation dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions) fait valoir, au soutien d’un acte ou d’une décision tel le rejet d’une candidature à un emploi en son sein (arrêt dans l’affaire C-414/16 Vera Egenberger/Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung eV17 avril 2018) ou le respect des exigences d’un Code de la religion concernée inscrite comme une clause du contrat de travail (arrêt dans l’affaire, C‐68/17, 11 septembre 2018), que, par la nature des activités concernées ou par le contexte dans lequel ces activités sont amenées à être exercées, la religion constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de cette église ou organisation, une telle allégation doit pouvoir, le cas échéant, faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif . Et la Cour de préciser que l’article 17 Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) n’est pas de nature à infirmer cette conclusion.
L’article 17 du TFUE, édicte que :« L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »
Ce caractère de « contrôle effectif » a conduit la Cour de Justice de l’Union européenne à préciser que « l’examen de la légalité en la matière ne saurait donc s’effectuer uniquement au regard du droit national, mais doit tenir compte des dispositions de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 ainsi que des critères qui y sont énoncés, dont le respect ne saurait être soustrait à un contrôle juridictionnel effectif. »
En suivant ce raisonnement et de jurisprudence classique, mais adaptée aux spécificités du cas d’espèce, on peut clairement affirmer que les juridictions nationales ont un rôle essentiel à tenir. Ce rôle a été précisé et « encadré » par la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne.
L’obligation pour le juge national de se référer au droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêts Impact, C‑268/06, point 100 ; Dominguez, C-282/10,point 25, et Association de médiation sociale, C-176/12, point 39).
Il n’incombe pas, en principe, aux juridictions nationales de se prononcer sur l’éthique en tant que telle, qui est à̀ la base de l’exigence professionnelle invoquée (arrêt C-414/16 point 61).
Il appartient, par contre, aux juridictions nationales, en tenant compte de l’ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d’être interprétée en conformité avec l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale (arrêt C‑414/16 précité, point 71 et arrêt C‐68/17 précité, point 63) ;
Il appartient donc au juge national, seul compétent pour apprécier les faits, de déterminer si l’imposition d’une attitude de bonne foi et de loyauté sur lesquelles est fondée l’éthique de l’église ou de l’organisation concernée correspond aux critères cumulatifs suivants :
- exigence professionnelle
- essentielle
- légitime
- justifiée.
(arrêt C‐68/17 précité points 61 et 64)
Il appartient aux juridictions nationales de vérifier si l’exigence professionnelleen question correspond aux critères cumulatifs suivants :
- ne couvre pas des considérations étrangères à cette éthique ou au droit à l’autonomie de cette église ou de cette organisation (point 69).
- respecte le principe de proportionnalité tel que défini par la jurisprudence c’est-à-dire si, de façon cumulative:
- elle est appropriée
- elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.
(arrêt C‐68/17 précité points 68 et 69).
Dans ce contexte, il importe de préciser que l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (arrêt Centrosteel, C‑456/98, point 17).
Une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt C‑414/16 précité point 73 et arrêt C‐68/17 précité point 65) ; dès lors, il appartient, en l’occurrence, à la juridiction de renvoi de vérifier si la disposition nationale en cause au principal se prête à une interprétation conforme à la directive 2000/78 (arrêt C‐68/17 précité point 66).
Mais la juridiction de renvoi, à son tour, ne saurait, dans l’affaire au principal, valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter la disposition nationale en cause en conformité avec le droit de l’Union, en raison du seul fait qu’elle a, de manière constante, interprété cette disposition dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (affaire C‑441/14, 19 avril 2016,Dansk Industri (DI) contre Succession Karsten Eigil Rasmussen, point 34.)
Par conséquent, l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (arrêt C‑414/16 précité point 72 et arrêtC‐68/17 précité, point 63).
Dans ce cas particulier, car ce n’est pas général, la Cour de Justice a précisé que si la juridiction nationale, se trouve dans l’impossibilité d’interpréter le droit national applicable de manière conforme en utilisant les critères repris ci-dessus découlant de la directive 2000/78, elle doit alors assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant pour les justiciables des articles 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de ces articles en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire (conclusion de l’aff. C-414/16); plus précisément, dès lors que la Charte trouve à s’appliquer, la juridiction nationale doit assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions (consacrée à l’article 21 de la Charte, cette interdiction revêtant un caractère impératif en tant que principe général du droit de l’Union) et du droit à une protection juridictionnelle effective (consacré à l’article 47 de la Charte).
Tant cette interdiction de discrimination que le droit à une protection juridictionnelle effective se suffisent à eux-mêmes pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose à un autre particulier dans un domaine couvert par le droit de l’Union (arrêt C-414/16 précité) même lorsque les dites discriminations résultent de contrats conclus entre particuliers (voir, par analogie, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, EU:C:1976:56, point 39 ; du 6 juin 2000, Angonese, C‑281/98, EU:C:2000:296, points 33 à 36 ; du 3 octobre 2000, Ferlini, C‑411/98, EU:C:2000:530, point 50, ainsi que du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, points 57 à 61 ; arrêt C-414/16 précité, point 77).
Lorsque le juge national est appelé à veiller au respect des articles 21 et 47 de la Charte, tout en procédant à une éventuelle mise en balance de plusieurs intérêts en présence, tels que le respect du statut des églises consacré à l’article 17 TFUE, il lui appartient de prendre en considération, notamment, l’équilibre établi entre ces intérêts par le législateur de l’Union dans la directive 2000/78, afin de déterminer les obligations résultant de la Charte (arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C‑144/04, EU:C:2005:709, point 76, et ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 31 ; arrêt C-414/16 précitée point 81).
La Cour de Justice de l’Union européenne, quant à elle, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été ou lui sont soumises, de nature à permettre à ce même juge de statuer dans le litige concret dont il est saisi (arrêt du 11 septembre 2018 précité point 56).
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