…et ce alors qu’il est impossible d’intenter une action contre lui ou de le requérir comme témoin pendant son mandat. La CEDH l’a jugé aujourd’hui, confirmant la position de la Cour de Cassation en 2012 .
Commençons par rappeler rapidement les faits :
Le 24 septembre 2008, la banque Société Générale déposa plainte contre X des chefs de faux, usage de faux et escroquerie ; monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République alors en exercice ayant contesté l’imputation au débit de son compte bancaire de quatre écritures émanant de sociétés de téléphonie mobile pour un montant de 176 euros (EUR).
Le 25 septembre 2008, l’enquête préliminaire fut confiée conjointement à la brigade financière et à la brigade criminelle. Le même jour, monsieur Sarkozy déposa une plainte qui fut jointe à l’enquête. Le 23 octobre 2008, le procureur de la République de Nanterre ouvrit une information judiciaire des chefs d’escroquerie en bande organisée commises au préjudice des sociétés, de monsieur Sarkozy et de huit autres personnes dont des membres de la famille de ce dernier. Au cours de l’instruction, monsieur Sarkozy se constitua partie civile.
Par arrêt du 15 juin 2012, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation avait considéré que le Président de la République, en sa qualité de victime, était recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Elle estima que dans le cas d’espèce, le prévenu ne démontrait pas avoir souffert d’une atteinte portée par les institutions françaises au droit au procès équitable dès lors que la seule nomination des juges par le Président de la République ne crée pas pour autant une dépendance à son égard et que chacune des parties avait pu présenter ses arguments et discuter ceux de son adversaire tout au long de l’instruction préparatoire et des débats devant le tribunal puis devant la cour d’appel.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé aujourd’hui 18 octobre 2018, dans l’affaire Thiam c. France (Requête no 80018/12), que « l’intervention de monsieur Sarkozy alors Président de la République, en tant que partie civile dans la procédure pénale visant monsieur Thiam n’a pas eu pour effet de créer un déséquilibre dans les droits des parties et le déroulement de la procédure. »
En effet, la Cour juge d’abord que « la participation à la procédure d’une personnalité ayant un rôle institutionnel dans le déroulement de la carrière des juges est susceptible de créer un doute légitime sur l’indépendance et l’impartialité de ceux-ci. »
Cependant, la Cour juge aussi, au point 85 de son arrêt, qu’après examen du mode de nomination des magistrats, de leur condition statutaire et des circonstances particulières de l’espèce, elle n’aperçoit aucun motif de constater que les juges appelés à statuer sur sa cause n’étaient pas indépendants au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
Pour ce faire la Cour a d’abord rappelé le cadre de sa jurisprudence, à savoir que :
- c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation nationale ainsi que de décider des questions de constitutionnalité (Henryk Urban et Ryszard Urbanc. Pologne, no 23614/08, § 51, 30 novembre 2010
- il n’est pas question d’imposer aux États un modèle constitutionnel donné réglant d’une manière ou d’une autre les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques (Savino et autres c. Italie, nos17214/05 et 2 autres, § 92, 28 avril 2009). « Le choix du législateur français de permettre au Président de la République d’agir en justice au cours de son mandat ne saurait ainsi constituer en soi un objet de contestation devant la Cour. Si la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire tend à acquérir une importance croissante dans la jurisprudence de la Cour, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre. »
- s’agissant des principes généraux gouvernant la question de l’impartialité d’un tribunal, la Cour s’est déjà exprimée, notamment au travers de l’arrêt Morice c. France [GC], n° 29369/10, §§ 73 à 78, CEDH 2015. "L’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité" (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], n° 73797/01 § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC] n°17056/06, § 93,-96-97-98 CEDH 2009 ; Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32-38).
- les concepts d’indépendance et d’impartialité sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines, c. France, n° 65411/01, § 62).»
- lorsqu’elle a eu à déterminer si un tribunal pouvait passer pour «indépendant» – notamment à l’égard de l’exécutif et des parties – « elle a tenu compte de facteurs tels que le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y avait ou non apparence d’indépendance. L’inamovibilité des juges en cours de mandat est en général considérée comme un corollaire de leur indépendance et par conséquent comme l’une des exigences de l’article 6 § 1 (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 78, Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], n° 2312/08 et 34179/08, § 49, et Haarde c. Islande, no 66847/12, § 103, 23 novembre 2017). La nomination de juges par l’exécutif est admissible, pourvu que les juges ainsi nommés soient libres de toute pression ou influence lorsqu’ils exercent leur rôle juridictionnel (Sacilor-Lormines c. France, n° 65411/01, § 67 CEDH 2006-XIII, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, n° 23614/08, § 49, 30 novembre 2010). »
Appliquant sa jurisprudence au cas d’espèce, elle a jugé que :
- « pour condamner le requérant, les juridictions nationales n’ont fait référence à aucune preuve à charge déterminante que la partie civile, dont la plainte et la constitution de partie civile ont suivi la plainte du directeur de la banque et la mise en mouvement de l’action publique par le procureur de la République, aurait pu apporter et dont il aurait fallu vérifier la crédibilité et la fiabilité au cours d’un interrogatoire ou d’une audience.
- « La Cour observe à cet égard que la Cour de cassation a constaté que la cour d’appel avait à raison considéré que « la culpabilité du [requérant] résulte tant de ses aveux que des déclarations d’autres prévenus et des éléments découverts en cours de perquisitions ». Ainsi, la nature de l’affaire, les preuves disponibles et les versions non contradictoires du prévenu, le requérant, et de la partie civile, n’imposaient pas l’audition de cette dernière en tout état de cause. »
Une jurisprudence à utiliser prudemment car de droit elle repose sur des conditions de faits très restreintes.
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