Les Comités d’entreprise sont rarement parties ou parties intéressés dans les procédures devant les tribunaux de l’Union européenne, Tribunal ou Cour de Justice ou même dans le cadre des procédures de contrôle des aides d’Etat .

Dans le cadre de la jurisprudence d’origine françaises, on trouve un Comité d’entreprise devant les tribunaux de l’Union européenne, pour la première fois lors de l’ordonnance du Tribunal du 18 février 1998 ECLI:EU:T:1998:38  confirmée par l’arrêt de la Cour du 23 mai 2000 ECLI:EU:C:2000:277, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a contre Commission . L’ordonnance écartera le Comité d’entreprise car  «    …… au regard de la motivation de la décision litigieuse, il convient de considérer que la qualité de négociateurs des aspects sociaux au sein de la SFP invoquée par les requérants ne présente qu'un lien ténu avec l'objet même de ladite décision . »

La qualité de « négociateur des aspects sociaux » ne constitue pas intérêt direct à agir.

En matière de contrôle des aides d’Etat, la position de la Commission européenne a toujours été très restrictive à l’encontre des syndicats et des Comités d’entreprises .

De position constante, elle considère qu’en la matière il convient d'éviter une multiplicité d'interventions individuelles qui, selon elle,  compromettraient l'efficacité et le bon déroulement de la procédure d’examen des aides d’Etat.

L’intervention des Comités d’entreprise n’est donc pas encouragée par la Commission. A tout le moins. Dans le cadre du contentieux affaire C-410/15 P(I), Comité d’entreprise de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) contre Commission européenne la Commission maintiendra sa position et rappellera que pour elle, le fait qu’un Comité d’entreprise soit représentatif, et en charge de la défense des intérêts des salariés de l’entreprise lui confère uniquement un caractère d’intérêt indirect  à la procédure; elle justifie  en général sa position par l’ordonnance du Tribunal du 16 septembre 2013 dans l’affaire T-385/12, Orange contre Commission  concernant la représentativité des syndicats. A tors, la Commission assimile , dans son approche, syndicats et Comités d’entreprise.

La position traditionnellement défendue par la Commission en la matière est  proche de celle qu’elle développe régulièrement concernant les syndicats et qui consiste à affirmer qu’un syndicat ne justifie que d'un intérêt indirect et lointain et que en matière d’aides d’Etat c'est uniquement l'entreprise concernée par la procédure qui a un intérêt direct à l'annulation de la décision. 
Elle se fonde en général sur l'ordonnance de la Cour du 8 avril 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 1041, points 8 et 9, et arrêt CCE de Vittel e.a./Commission, point 52  et sur le point 50 de l'ordonnance du Tribunal, Comité d'entreprise de la Société française de production et autres contre Commission .

 

Il faut attendre l’Ordonnance du vice-Président de la Cour du 6 octobre 2015 Comité d’entreprise de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) contre Commission européenne affaire C-410/15 P(I), EU:C:2015:669, pour assister à une évolution notoire qui a été gardée bien trop discrète .

Il fallut un pourvoi pour obtenir cette évolution .

En effet, le Tribunal dans son ordonnance du 07 juillet 2015 querellée en pourvoi et la Commission européenne fidèle à sa position, affirmaient que le fait qu’un Comité d’entreprise représente l’intérêt collectif des salariés de la SNCM n’est pas de nature, par lui‑même, à fonder un intérêt direct et actuel de celui‑ci à la solution au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice  et que le fait que le comité d’entreprise pouvait éventuellement être considéré comme une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ne suffisait pas pour que celui‑ci justifie d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige pendant devant le Tribunal au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice.

 

Dit plus simplement le Tribunal estimait qu’il y avait en droit une double interprétation possible de la notion de partie intéressée en matière de contrôle des aides d’Etat : l’une au titre du Traité (article 108-2) et une autre au titre de la procédure devant les tribunaux de l’Union européenne (article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice)  .

 

Le Vice Président de la Cour va rejeter cette approche comme comportant une erreur de droit et dire clairement au point 11 de son ordonnance « une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui vise à intervenir dans le cadre d’un tel recours en annulation au soutien des conclusions de la partie requérante, justifie d’un intérêt à la solution du litige en cause au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice. » (point 11 de l’ordonnance) ».

 

La Cour le démontre fort simplement :

Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, toute personne peut intervenir devant les juridictions de l’Union européenne si elle peut justifier d’un intérêt à la solution du litige soumis à l’une d’entre elles.


La notion d’«intérêt à la solution du litige», au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes «solution du litige» renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir (point 2 de l’Ordonnance qui a déjà fait jurisprudence au point 10 de l’Ordonnance du Président de la Cour du 09 juin 2016 , affaire C‑104/16 P dans le cadre du  recours du Conseil Européen contre la décision du Tribunal Européen de Justice d'annuler l'accord agricole avec le Maroc.)

À cet égard, l’Ordonnance rappelle la jurisprudence et ne s’inscrit pas en faux par rapport à elle : il doit notamment être vérifié que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention.


Dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision de la Commission en matière d’aides d’État, adoptée sans ouverture de la procédure formelle d’examen, dès lors qu’une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est recevable à demander l’annulation d’une décision prise par la Commission relative à une aide d’État si cette partie tend, par l’introduction du recours en annulation dirigé contre cette décision, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de cette disposition, une autre partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui vise à intervenir dans le cadre d’un tel recours en annulation au soutien des conclusions de la partie requérante, justifie d’un intérêt à la solution du litige en cause au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice. En effet, la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir, est de nature à modifier la position juridique d’un tel demandeur en intervention en ce que, d’une part, elle impliquerait l’obligation pour la Commission d’ouvrir, ou, le cas échéant, de rouvrir, la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, d’autre part, elle ouvrirait le droit au même demandeur, en sa qualité de partie intéressée, de participer à ladite procédure formelle d’examen.
(cf. points 4-6, 10, 11 de l’ordonnance) .

Le Vice Président de la Cour fait reposer clairement cette jurisprudence et le traitement particulier désormais réservé aux Comités d’entreprise, sur le fait que l’analyse de la compatibilité des aides  ne correspond pas uniquement aux seuls critères de concurrence directe entre entreprises mais comprend des considérations sociales et qu’ il ne peut pas être exclu qu’un comité d’entreprise, qui représente l’intérêt collectif de l’ensemble des salariés d’une entreprise bénéficiaire d’aides, puisse présenter à la Commission des observations sur des considérations d’ordre social susceptibles, le cas échéant, d’être prises en compte par celle-ci au cours de la procédure formelle d’examen prévue à l’article  108, paragraphe 2, TFUE. »

Il en tire la conclusion  que : « 
Dans ces conditions, un comité d’entreprise doit être considéré comme une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. »
(cf. points 12, 13 de l’ordonnance).


Continuons l’analyse : Que dit cet article 108.2 ? « Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. »


Ceci ouvre bien des perspectives, y compris dans le sens d’une nécessité pour la Commission de mettre les Comités d’entreprise des entreprises concernées par la procédure de contrôle des aides d’Etat en demeure de présenter leurs observations dans le cadre de la mise en demeure des intéressés  prévue à l’art 108 2 du TFUE.

 

Cette ordonnance est d’autant plus importante qu’elle différencie clairement les Comités d’entreprises des autres structures juridiques composées avec des salariés de l’entreprise qu’elle a été prise aux côtés d’une autre Ordonnance concernant Cap Actions dans l’affaire C-418/15 P(I) du même jour. Par son pourvoi, Cap Actions SNCM, un fonds commun de placement par l’intermédiaire duquel des salariés de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) détiennent 9 % du capital de cette société, demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 7 juillet 2015, SNCM/Commission ( T-1/15, EU:T/2015/489 portant rejet de sa demande d’intervention au soutien des conclusions de la partie demanderesse en première instance dans l’affaire T‑1/15, qui visent à l’annulation de la décision 2014/882/UE de la Commission, du 20 novembre 2013, concernant les aides d’État SA 16237 (C 58/2002) (ex N 118/2002) mises à exécution par la France en faveur de la SNCM (JO2014,l357,p.1).

Cette Ordonnance « Cap Actions » complète la jurisprudence.

Dans cette seconde Ordonnance le Vice-Président de la Cour va bien différencier l’approche et, préciser que « les intérêts économiques et financiers des actionnaires d’une société se confondent, en principe, avec ceux de la société elle‑même qui est partie principale dans un litige » ;« les intérêts économiques et financiers des dits  actionnaires ne sont affectés par la solution donnée à ce litige que de manière indirecte, par l’intermédiaire des conséquences que ladite solution présente à l’égard de cette partie principale . »

Il va également préciser : « Certes, les actionnaires dont Cap Actions représente les intérêts en l’espèce sont également des salariés de la SNCM, mais il y a lieu de souligner que Cap Actions représente leurs intérêts en qualité d’actionnaires, ainsi qu’il l’affirme explicitement dans le cadre de son pourvoi. »(points 20 et 30 de l’ordonnance du même jour concernant « Cap actions »).

Différence est faite entre les représentants des salariés et les salariés actionnaires. Les premiers ont bien un intérêt direct à agir là ou les autres n’ont qu’un intérêt indirect.

Voilà qui est clair.