Attention, l’article est un peu technique mais pour aller à l’essentiel : les sociétés ayant placé leur trésorerie dans des usufruits de parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) dont l’échéance est intervenue depuis le 1er janvier 2022 ont vraisemblablement un peu d’impôt à récupérer. Les moins courageux peuvent se contenter de lire l’exemple final !

Il est un produit financier prisé de certaines sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés qui souhaitent placer leur trésorerie à moyen ou long terme : l’usufruit de parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). En pratique, la nue-propriété des parts est acquise par une personne physique soumise à l’impôt sur le revenu, tandis que l’usufruit de ces parts est acquis par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés. Pendant toute la durée du démembrement, la personne morale perçoit les dividendes versés par la SCPI, tandis que la personne physique ne perçoit généralement aucun revenu. Au terme du démembrement, la pleine propriété est reconstituée au bénéfice de la personne physique, qui commence alors à encaisser les dividendes versés par la SCPI, tandis que l’ex-usufruitier cesse de recevoir tout revenu.

Sur le plan fiscal, la SCPI est soumise au régime des sociétés de personnes : l’article 239 septies du code général des impôts énonce en effet que « les sociétés civiles de placement immobilier (...) n'entrent pas dans le champ d'application du 1 de l'article 206 [en d’autres termes, ne sont pas assujetties à l’impôt sur les sociétés], mais chacun de leurs membres est personnellement passible, pour la part des bénéfices sociaux correspondant à ses droits dans la société, soit de l'impôt sur le revenu, soit de l'impôt sur les sociétés s'il s'agit de personnes morales relevant de cet impôt ».

L’article 8 du code général des impôts prévoit en outre que « (...), les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. En cas de démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, l'usufruitier est soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d'usufruitier. Le nu-propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier. ».

La conséquence du régime des sociétés de personnes est bien connue : l’associé en pleine propriété est imposé sur la quote-part du bénéfice réalisé par la société qui pourrait lui revenir, et non sur les dividendes qu’il a perçus – lesquels dividendes ne sont pas imposables. Pour une année donnée, le revenu imposable dans le chef de l’associé peut ainsi être supérieur ou inférieur à son revenu réel, selon que la société a distribué moins que son bénéfice distribuable (en inscrivant l’excédent en report à nouveau ou en réserves) ou plus que son bénéfice distribuable (en puisant dans son report à nouveau ou ses réserves). En revanche, sur le long terme, il est à peu près certain que le revenu imposé dans le chef de l’associé sera supérieur ou égal à son revenu réel.

Dans une décision « Etablissements Quéméner » du 16 février 2000 (n° 133296), le Conseil d’État a jugé qu’en cas de cession de parts de sociétés de personnes, « le résultat de cette opération (...) doit être calculé (...) en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part de la quote part des bénéfices de cette société ou de ce groupement revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, et d'autre part des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société ou le groupement en France et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif, et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société ou le groupement et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé ».

L’effet pratique de cette jurisprudence est de conduire à ce que sur toute la durée de détention des parts de la société de personnes, de leur acquisition jusqu'à leur revente, le propriétaire aura, en fin de compte, été imposé uniquement sur son enrichissement réel (plus-value réelle et dividendes réellement perçus) ; l’imposition annuelle sur la quote-part des bénéfices réalisés par la société de personnes apparaîtra alors comme une imposition temporaire - une sorte d'acompte.

Cette jurisprudence a connu divers raffinements en vingt-cinq ans, sur lesquels nous ne nous attarderons pas. Bien que théoriquement applicable aux cessions de parts de SCPI, cette jurisprudence a dû cependant avoir peu de portée pratique dès lors qu’au moment de la cession, le particulier peut bénéficier d’un abattement pour durée de détention susceptible de réduire à zéro l’impôt dû sur l’éventuelle plus-value. Et en cas de cession accélérée, ou en cas de cession par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés qui aurait détenu des parts de SCPI en pleine propriété, nul doute que cette jurisprudence soit en partie passée à l’as.

Dans un arrêt « Pierre et Vacances Financement » du 22 juillet 2025 (n° 489283), le Conseil d’État a jugé que les principes dégagés par l’arrêt « Etablissements Quéméner » « s’appliquent également en cas de démembrement de propriété, à raison de la quote-part des résultats revenant respectivement à l'usufruitier et au nu-propriétaire, des parts ».

Or, autant la cession de parts de SCPI par une personne qui les détient en pleine propriété est hypothétique, autant la cession de l’usufruit des parts de SCPI par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés est certaine : elle interviendra à l’expiration du démembrement, lorsque l’usufruit sortira du bilan de la personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés. Et si l’usufruit est suffisamment long, il est presque certain que les distributions cumulées de la SCPI auront été moindres que ses bénéfices cumulés, de sorte que l’application de la jurisprudence « Etablissements Quéméner » procurera une économie d’impôt sur les sociétés à l’ex-usufruitier.

Illustrons-en les conséquences par un exemple.

La part de la SCPI vaut 204 euros. La clé de répartition sur l’usufruit à 10 ans est de 65,5 % pour le nu-propriétaire et 34,5 % pour l’usufruitier. Le nu-propriétaire a souscrit 1000 parts en nue-propriété pour un montant de 133 620 €, tandis que l’usufruitier a souscrit 1000 parts en usufruit, pour un montant de 70 380 €, avec une date d’entrée en jouissance au 1er janvier 2015. Chaque année, la SCPI a distribué un dividende égal à 5 % du montant de la part, tout en inscrivant en report à nouveau 0,5 % du montant de la part. L’usufruitier a donc touché chaque année 10 200 euros de dividendes, mais a été imposé sur 11 220 euros.

A l’expiration de l’usufruit le 31 décembre 2024, son prix de cession est de zéro euro. Mais son prix d’acquisition est non pas de 70 380 €, mais de 70380 + 10 * 11220 – 10 * 10200 = 80 580 euros. L’usufruitier pourra ainsi constater une moins-value non pas de 70 380 €, mais de 80 580 euros ! Il ne récupérera toutefois pas entièrement l’impôt sur les sociétés payé durant le démembrement, du fait de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés sur la période.

Restent les problèmes pratiques : retrouver en 2025 les éléments ayant servi aux déclarations d'impôt entre 2015 et 2024 ; obtenir de la SCPI distributrice des éléments permettant de distinguer, de 2015 à 2024, la part des dividendes afférente à des bénéfices réalisés et imposables en France de la part des dividendes afférente à des bénéfices réalisés à l'étranger et non-imposables en France.

Autant dire, une double gageure !