A l'occasion de l'apport à une société foncière (Groupement Foncier Agricole, Société Civile Immobilière, ..) d'un bien rural peut se poser la question de l'exercice - ou non - par la SAFER de son droit de préemption.

Même si aucun texte ne l'interdit (sauf cas particuliers, cf ci-après), la SAFER, si elle souhaitait à cette occasion exercer son droit de préemption, se heurterait alors à une difficulté. En effet, elle ne pourrait pas offrir à l’apporteur les droits sociaux que celui-ci désire acquérir  Effectivement, si (en cas de vente) la SAFER peut être débitrice du du prix stipulé par le propriétaire vendeur, elle ne peut pas (en cas d'apport à une société) être débitrice des droits sociaux -> cf jurisprudence en matière d’exercice par le preneur à bail rural de son droit de préemption.

De plus, s’il s’agit d’un apport fait à une société déjà existante, la SAFER risque de se heurter également aux clauses d’agrément éventuellement insérées dans les statuts. En effet, les statuts peuvent prévoir que, en cas d'entrée d'un nouvel associé, les associés en place disposent de la faculté d'accepter ou de refuser le nouvel entrant et il y a de fortes chances que, dans ce cas, la SAFER soit considérée comme indésirable.

En tout état de cause, certaines opérations sociétaires sont formellement exclues du droit de préemption de la SAFER, en particulier :

- l’apport fait à un Groupement Foncier Agricole ou à un Groupement Foncier Rural de famille (constitué entre membres d’une même famille jusqu’au 4ème degré inclus),

- l’apport fait à un GFA réalisé par un propriétaire exploitant lesdits biens (le texte ne dit pas si l'apporteur doit continuer à exploiter, par la suite, les terres apportées).

Ceci étant, la pratique notariale tendait à insérer dans les compromis de vente des clauses suspensives de non-exercice par la SAFER de son droit de préemption. La finalité d'une telle clause était d'empêcher la SAFER de préempter dès lors que l'exercice de ce droit rendait, de facto, la promesse caduque.

Si l'article L 143-5 du Code Rural et de la Pêche Maritime répute non écrite ces clauses, il existe deux exceptions :

- les apports faits à une société,

- les échanges d’immeubles ruraux ne relevant pas de l’article L 124-1.

Ainsi, en présence d'une telle clause insérée dans le projet de statuts d'un GFA, si par extraordinaire la SAFER exerçait, malgré les écueils énoncés plus haut, son droit de préemption, cette décision aurait pour conséquence la défaillance de la condition se traduisant par la caducité de l'apport. Mais, dans cette hypothèse, si la SAFER ne peut préempter, le GFA ne peut être constitué puisque l'apport n'est pas réalisé.

Pour éviter les fraudes (notamment à l'occasion d'opérations sociétaires), l'article L 143-5 a été complété par la loi du 20 mars 2017 qui stipule que "Si la condition suspensive (de non-préemption par la SAFER) est satisfaite, l’apporteur doit s’engager à conserver la totalité de ses droits sociaux reçus en contrepartie pendant 5 ans à compter de la date de l’apport". En cas de non-respect, la SAFER pourra demander la nullité de l'apport.

Une approche littérale du texte laisse penser que, si le compromis de vente ne prévoit pas de clause suspensive de non-préemption par la SAFER, l'engagement de conservation des titres pendant 5 ans n'a pas à être respecté par l'apporteur. Cette interprétation reste toutefois à confirmer.

Enfin, l'insertion, dans une promesse de vente, d'une telle clause suspensive de non-exercice par la SAFER de son droit de préemption peut être contre-productif.

En effet, dans une affaire où une telle clause avait été insérée et où la SAFER avait, malgré tout, régulièrement exercé son droit de préemption, les acquéreurs (évincés), ayant engagé une action en nullité de la préemption, avaient été déboutés par la Cour d'appel au motif qu'ils n'avaient pas la qualité d'acquéreurs évincés (du fait de la caducité du compromis de vente). La Cour de Cassation a, toutefois, cassé cet arrêt, considérant que, clause ou pas clause, le bénéficiaire d'une promesse de vente a toujours intérêt et qualité à agir en vue de constester la légalité de la décision de préemption qui l'évince de l'opération (Cass. 3° civ., 23 janv. 2020, n° 19-12035).

Une décision salutaire.