Par deux arrêts du 21 décembre 2023, la Cour de cassation donne d'utiles précision sur l'application de la garantie des vices cachés en matière de vente immobilière.

1. Dans une première affaire, il a été retenu que l'acquéreur ayant mandaté un ingénieur conseil pour réaliser une étude sur les fissures postérieurement à la promesse de vente, avait connaissance du vice si bien que la garantie des vices cachés n'était pas due :

"6. La cour d'appel, après avoir constaté que l'expert judiciaire avait indiqué que les fissures, d'ordre structurel, étaient présentes lors de la signature de la promesse de vente et avaient conduit les bénéficiaires à faire réaliser une étude par un ingénieur-conseil, a souverainement retenu que, par leur importance et leur étendue, elles n'avaient pu échapper à un acquéreur normalement diligent. 7. Elle a pu déduire de ce seul motif, abstraction faite du motif surabondant selon lequel les bénéficiaires auraient dû réaliser des investigations pour en connaître l'exacte étendue et les conséquences prévisibles, avant la signature de la promesse de vente, et non après, que la garantie des vices cachés n'était pas due." (Cour de cassation, 21 décembre 2023, n°22-21.234)

Cela est d'autant plus important que selon la jurisprudence bien établie de la Cour, l'acquéreur n'est pas tenu de s'entourer d'un homme de l'art et ne commet aucune négligence en s'en abstenant (Cour de Cassation, 27 octobre 2006, n°05-18.977). Dans ces conditions, une visite avec un professionnel ou un sachant peut influer sur l'application de la garantie des vices cachés, qui peut être déniée du fait que l'acquéreur s'est entouré d'un professionnel. Il serait également intéressant pour les vendeurs de pouvoir les prouver et d'en conserver des traces, par exemple en cas de demande de visite par écrit précisant le motif.

 

2. Dans une deuxième affaire, la Cour précise que le devoir de conseil de l'agent immobilier lui impose d'informer l'acquéreur de l'existence de désordres apparents qu'il ne peut ignorer en sa qualité de professionnel de l'immobilier, sans quoi il engage sa responsabilité vis-à-vis de l'acquéreur :

"4. La cour d'appel, après avoir exactement rappelé que le devoir de conseil auquel était tenu l'agent immobilier lui imposait d'informer l'acquéreur de l'immeuble, vendu par son entremise, de l'existence des désordres apparents affectant celui-ci, qu'en sa qualité de professionnel de l'immobilier, il ne pouvait ignorer, a constaté que l'immeuble était affecté d'importantes traces d'infiltrations et que les menuiseries des deux chiens assis et lucarnes étaient fort dégradées avec des infiltrations visibles sur la façade principale. 5. Elle a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige, dès lors que, dans ses conclusions, l'acquéreur s'était prévalu de l'ensemble des désordres décrits par l'expert, notamment des fuites en toiture, que l'agent immobilier, qui pouvait, en raison de la présence d'importantes traces d'infiltrations, soupçonner un défaut d'étanchéité de la toiture, avait manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de celui-ci. 6. Le moyen n'est donc pas fondé." (Cour de cassation, 21 décembre 2023, n°22-20.045)

Cette solution, si elle est protectrice pour l'acquéreur a priori, pourrait également complexifier l'application de la garantie de vice caché, en lien avec la décision ci-avant. Si l'agent est regardé comme un professionnel de l'immobilier qui doit attirer l'attention sur les vices apparents et peut soupçonner des défauts, il est probable qu'il conseille un diagnostic plus poussé pour se prémunir d'une action en responsabilité, ce qui pourrait conduire également à ce que la garantie des vices cachés soit écartée, comme dans l'espèce ci-avant.

 

3. Dans cette même affaire, la Cour retient la bonne foi du vendeur et confirme la Cour d'appel qui a refusé d'écarter l'application de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés. Le vendeur avait recueilli le bien par succession suite au décès de sa mère. Les vices découlaient de travaux de rénovation réalisés par les parents du vendeur, alors que le vendeur avait 12 ou 13 ans et a toujours connu le bien avec son défaut de ce fait :

"8. En premier lieu, la cour d'appel, après avoir rappelé que l'acte de vente comportait une clause d'exonération de la garantie des vices cachés, à laquelle il ne pouvait être dérogé que par la preuve de la connaissance, par la venderesse, de l'existence de tels vices, a constaté que, selon le rapport d'expertise, les désordres affectant le plancher et les murs avaient été causés par les travaux de rénovation réalisés par les parents de celle-ci alors qu'elle était âgée de douze ou treize ans, et souverainement retenu, sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, qu'ayant toujours connu un plancher déformé, elle n'avait pu en déduire l'existence de désordres qui ne se sont révélés qu'après démontage de faux plafonds. 9. En second lieu, la cour d'appel a constaté que le défaut d'étanchéité de la toiture terrasse était établi par un rapport d'expertise d'assurance réalisé un mois après la vente, que d'importantes traces d'infiltrations étaient visibles sur le plafond du rez-de-chaussée, mais encore que selon l'expert judiciaire, ce défaut causait une humidité ancienne importante sur le mur de cloison, ce dont elle a pu déduire que le vice était apparent le jour de la vente, et a, ainsi, légalement justifié sa décision." (Cour de cassation, 21 décembre 2023, n°22-20.045 ; voir également l'arrêt d'appel qui détaille les faits de l'espèce : Cour d'appel d'Amiens, Chambre 1, 28 avril 2022, 21/00932).

Sur ce dernier point, la réponse de la Cour de cassation est d'autant plus intéressante que l'appréciation des Cour d'appel varie s'agissant des vices cachés affectant des biens receuillis en succession, les juges retenant tantôt la responsabilité des héritiers (voir par exemple : Cour d'appel de Toulouse, 11 mai 2015, n°14/02241) et tantôt prenant en compte le fait que l'héritier soit entré en possession par succession pour en déduire l'absence de connaissance du vice et la bonne foi du vendeur (voir par exemple : Cour d'appel de Grenoble, 10 Janvier 2017, n°14/03501). Il pourrait donc y avoir une inflexion dans cette direction de la part des tribunaux, bien qu'il soit probable que les circonstances précises de chaque espèce continuent de faire varier les positions.

 

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Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

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