Bail à construction et sous-location à bail commercial

Le locataire dans le cadre d'un bail à construction est souvent amené à consentir à son tour des baux à des sous-locataires. Le législateur a défini les conditions de fin du bail à construction en ces termes : "les baux et titres d'occupation de toute nature portant sur les constructions, s'éteignent à l'expiration du bail sauf pour les contrats de bail de locaux d'habitation" (Code de la construction et de l'habitation, article L251-6).

Hors le cas particulier des locataires à bail d'habitation, le sort des sous-locataires en fin de bail à construction est particulièrement sévère. Le sous-locataire, quand bien même il bénéficie d'un bail commercial, est privé de son droit au renouvellement ou à une indemnité d'éviction (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 novembre 2007, 06-18.133, Publié au bulletin).

C'est pourquoi la fin du bail à construction est souvent source de litige pour les sous-locataires, ainsi que l'illustrent deux jurisprudences récentes.

 

En principe, le sous-locataire perd son bail et est expulsable dès l'expiration du bail à construction

Dans une affaire jugée par le Tribunal Judiciaire de Créteil, le juge rappelle les conséquences de l'expiration du bail à construction sur le sous-locataire à bail commercial :

  • le bail commercial consenti à ce sous-locataire a expiré avec le bail à construction, sans formalité particulière,
  • le sous-locataire est devenu un occupant sans droit ni titre et son expulsion peut être prononcée par le juge,
  • le sous-locataire n'ayant pas droit à une indemnité d'éviction, il ne peut prétendre à se maintenir dans les lieux jusqu'au versement d'une telle indemnité, 
  • le sous-locataire est redevable d'une indemnité d'occupation, dont le locataire à bail à construction est solidaire vis-à-vis du bailleur principal.

"Conformément à ce que fait soutenir Valophis Habitat, et en application de ce qui précède, le bail commercial consenti à La SAS SNACK TIMS par Mme [J] [X] et M. [B] [K] a été résilié de plein droit le 14 janvier 2020 à minuit. À compter de cette date, La SAS SNACK TIMS est devenue occupante sans droit ni titre du lot n°15. En tant qu’occupant sans droit ni titre à l’égard de L'Etablissement public VALOPHIS HABITAT, la SAS SNACK TIMS ne peut prétendre à aucune indemnité d’éviction ni demander à se maintenir dans les lieux tant que cette indemnité ne lui sera pas versée. Par conséquent, il est justifié de faire droit à la demande d’expulsion formée par L'Etablissement public VALOPHIS HABITAT, à l’encontre de La SAS SNACK TIMS et de tous occupants de son chef comme du chef de Mme [J] [X] et M. [B] [K] dans les conditions fixées au dispositif de ce jugement." (Tribunal judiciaire de Créteil, 11 octobre 2024, n°21/02150)

"En tant qu’occupante sans droit ni titre du local commercial récupéré par L'Etablissement public VALOPHIS HABITAT, La SAS SNACK TIMS commet une faute qui engage sa responsabilité délictuelle à l’encontre du propriétaire. La réparation se fait par l’octroi d’une indemnité d’occupation qui doit être, compte tenu des circonstances de l’espèce, fixée à la somme de 1 450 € hors taxes et hors charges à compter du 15 janvier 2020, date de la récupération des lieux par L'Etablissement public VALOPHIS HABITAT et ce sans qu’aucune circonstance ne justifie de prononcer un abattement de précarité à hauteur de 80 % comme demandé par La SAS SNACK TIMS, le caractère précaire de l’occupation des lieux n’étant pas un motif justifiant d’appliquer un abattement sur l’indemnité d’occupation. Le preneur du bail à construction qui a manqué à son obligation de restitution des locaux vides doit lui aussi être condamné au préjudice résultant pour le propriétaire de l’absence de restitution (CA Versailles, 4e chambre, 22 Janvier 2018 – n° 15/07142). Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation en date du 4 avril 2019 (Cass. Civ., 4 avril 2019, n°18-14.049)." (Tribunal judiciaire de Créteil, 11 octobre 2024, n°21/02150)

 

Par exception, le locataire peut obtenir son maintien dans les lieux, par exemple lorsque les clauses des actes successifs révèlent un engagement du propriétaire bailleur en ce sens

Dans une autre affaire, jugée par la Cour d'appel de Rouen, le sous-locataire a pu se maintenir dans les lieux malgré l'expiration du bail à construction.

Il est parvenu à démontrer que le droit au renouvellement lui avait était reconnu par le locataire principal, mais également par le bailleur.

En particulier, une clause du bail indiquait que les propriétaires promettaient de louer les locaux aux personnes qui les occuperaient à la date de l'expiration du bail à construction et promettaient de poursuivre les baux en cours aux mêmes clauses et conditions que celles des baux de sous-location en vigueur à l'expiration du bail à construction :

"Par la signature de son représentant légal, la société civile CCLB s'engage d'ores et déjà à maintenir dans les locaux sus- désignés, qui seront achetés par le bailleur, la SCI ACAF, les preneurs de tout baux, locations ou conventions d'occupation qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction. De même, par sa signature, M. [J] s'engage d'ores et déjà à maintenir dans les locaux sus-désignés qui seront achetés par le preneur, la SCI ACAF, les preneurs de tout baux, location ou conventions d'occupation qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction. A cette fin, et par les présentes, la CCLB et M [J] promettent de louer les locaux considérés dont ils seront devenus propriétaires à la date de l'expiration du bail à construction aux personnes physiques ou morales qui les occuperait encore à cette date. Ils promettent en particulier aux preneurs de poursuivre les baux dont ces preneurs seront titulaires à cette époque aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur." (Cour d'appel de Rouen, 30 mai 2024, n°23/02632).

Le juge va aller jusqu'à enjoindre sous astreinte au propriétaire de rédiger et signer un bail pour titrer les sous-locataires :

"Dans la mesure où Monsieur et Madame [Z] avaient droit à la poursuite de leur bail '' aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur.'' à l'expiration du bail à construction soit le 29 août 2021, il convient de condamner la SCI CCLB à effectuer cette régularisation de bail portant sur un local commercial constitué de deux cases commerciales portant les n° 14 et 15 pour une superficie d'environ 116 mètres carrés (comme indiqué dans le bail du 1er juin 2015) et situé dans le centre commercial lieudit [14] à [Localité 18], et ceci avec effet au 29 août 2021. Ce bail sera régularisé aux mêmes clauses conditions et charges que le bail du 1er juin 2015 y compris celles relatives au montant du loyer sous réserve des dispositions légales et réglementaires impératives intervenues depuis cette date. Cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de trois mois au-delà de laquelle il sera à nouveau fait droit.* La SCI CCLB sera condamnée à prendre en charge le coût de rédaction et des frais d'enregistrement du bail à intervenir." (Cour d'appel de Rouen, 30 mai 2024, n°23/02632).

Il est frappant dans cette affaire de constater qu'un engagement souscrit dans les années 1980 a produit ses effets en 2021. Le juge considère qu'il ne s'agissait pas d'un engagement perpétuel et qu'il n'était pas possible au propriétaire de s'y soustraire pour ce motif :

"Cet engagement à l'égard des preneurs se trouvant dans les lieux au 29 août 2021 n'était pas à durée indéterminée ou illimitée dans le temps comme soutenu par la SCI CCLB mais limité aux occupations en cours au 29 août 2021 et ne pouvait être dénoncé par la SCI CCLB." (Cour d'appel de Rouen, 30 mai 2024, n°23/02632).

 

En toute hypothèse, la bonne information des parties est essentielle, en particulier en cas de cession du fonds de commerce ou du droit au bail

Alors que le bail commercial a pour vocation de permettre au locataire de bénéficier de la propriété commerciale, c'est-à-dire par principe d'un droit au renouvellement ou à une indemnité d'éviction, ce n'est pas le cas lorsque le bail commercial est en réalité une sous-location d'un bail à construction et que ce dernier expire.

Sauf clause particulière dont les effets seraient assimilables à l'espèce jugée par la Cour d'appel de Rouen permettant un maintien du locataire, cette précarité est de nature à vicier la vente du fonds de commerce si l'acquéreur n'est pas correctement informé.

Ainsi, est nulle pour vice du consentement la cession du bail commercial alors que ni la promesse de vente du bail, ni le bail ne mentionnaient que le bailleur n'était pas propriétaire de l'immeuble mais seulement d'un droit temporaire, en l'espèce un bail à construction :

"6. L'erreur qui porte sur l'objet même du contrat fait obstacle à la rencontre des consentements, de sorte que, fût-elle inexcusable, elle entraîne la nullité de la convention.

7. Premièrement, la cour d'appel a constaté que l'objet de la convention portait sur la cession d'un droit au bail, lequel s'entend principalement comme le droit au renouvellement de ce bail découlant du statut des baux commerciaux, et que ni la promesse de cession, ni le bail consenti le 12 septembre 2011 à la cessionnaire ne mentionnaient que la bailleresse n'était pas propriétaire mais preneur à bail à construction du local concerné.

8. Deuxièmement, elle a relevé que le projet de bail commercial au profit de la cessionnaire, mentionnant l'origine de propriété de la bailleresse, avait été établi postérieurement au contrat litigieux.

9. *Ayant souverainement relevé que le droit réel temporaire dont disposait la bailleresse sur le local affectait directement l'objet même du contrat de cession, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux moyens inopérants visés par les première et quatrième branches, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, par ces seuls motifs et sans inverser la charge de la preuve, retenir que le consentement de la cessionnaire avait été vicié." (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 novembre 2023, 22-11.275, Inédit)

Une attention particulière doit être portée à la situation locative du fonds ou aux conditions du droit au bail pour éviter que la cession ne soit annulée. 

Les locaux situés dans des centres commerciaux ou des bâtiments issus d'opérations d'aménagement menées par les collectivités territoriales où les acteurs du logement social sont les plus fréquemment concernés.

 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :

  • Dans la revue de titres d'occupation et de baux à droits réels tels les baux emphytéotiques ou à construction, et plus généralement dans la définition du montage juridique de votre opération afin de s'assurer de leur conformité et de leur efficacité au regard de l'évolution jurisprudentielle ;
  • Vous accompagner dans la rédaction, l'analyse ou la cession de vos baux commerciaux ou contrats de sous-location ;
  • Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
  • Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

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