Le bail emphytéotique administratif (Code général des collectivités territoriales, article L1311-2) est un dérivé du bail emphytéotique de droit commun (Code rural, article L451-1), dont le régime a été aménagé pour le rendre compatible avec le régime du contrat administratif, déséquilibré en faveur de l'administration contractante. 

L'administration contractante dispose en particulier du pouvoir de résilier unilatéralement le bail emphytéotique pour motif d'intérêt général ou pour faute. Si une indemnisation du locataire est en principe due, les clauses contractuelles peuvent l'exclure ou réduire les droits indemnitaires du locataire.

C'est ce qu'illustre l'affaire jugée récemment par la Cour administrative d'appel de Lyon concernant un établissement hôtelier de thermalisme.

Calcul de l'indemnité due au locataire emphytéote en cas de résiliation pour faute

Le contrat comportait une clause d'indemnisation en cas de résiliation pour faute prévoyant l'indemnisation, après réduction de 15% en cas de résiliation pour faute, selon trois formules de calcul différentes, les parties s'engageant à retenir celle aboutissant à la somme la plus élevée :

  • soit une somme égale à la valeur nette comptable non amortie des investissements réalisés et financés par l'emphytéote (lesquels sont mentionnés à l'article 11) déduction faite des amortissements et des provisions pour dépréciations déjà réalisés et figurant au bilan ; 
  • soit le remboursement du capital restant au titre des emprunts engagés par l'emphytéote et la société d'exploitation pour financer ses investissement, y compris les indemnités et pénalités dues pour leur remboursement anticipé ; 
  • soit une somme égale à la valeur vénale établie au prix du marché des investissements réalisés et financés par l'emphytéote et la société d'exploitation fixée, à défaut d'accord amiable, à dire d'expert.

Pour déterminer l'indemnité de résiliation, le juge est contraint d'interpréter la clause. Il va écarter la valeur vénale, faute de marché de l'occasion pour le thermalisme permettant des comparaisons et écarter le recours au capital restant au titre des emprunts, puisqu'aucun emprunt n'avait été souscrit.

Cela va le conduire à exclure l'indemnisation des investissements non listés à l'article 11 du bail, et dont le locataire demandait l'indemnisation.

"2. Dès lors que ni l'emphytéote ni la société d'exploitation n'ont allégué avoir contracté d'emprunts pour financer leurs investissements, l'indemnité due par le bailleur en raison de la résiliation prononcée pour faute doit être égale, avant réfaction de 15 %, à la somme la plus élevée résultant de la comparaison entre la valeur nette comptable non amortie des investissements que l'article 11 du BEA obligeait l'emphytéote à financer, d'une part, et la valeur vénale établie au prix du marché des mêmes investissements, d'autre part. En outre, l'article 23.3 faisant expressément et exclusivement référence aux dépenses énumérées à l'article 11, l'indemnité de résiliation ne peut intégrer le montant des investissements consentis par l'emphytéote non définis à l'article 11. Il suit de là que, quelle que soit la méthode d'évaluation retenue, ne sauraient être intégrées à la liquidation de l'indemnité les dépenses dites hors tranches dont se prévaut la SCI Thermes de Divonne-les-Bains.

3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée avant-dire droit, qu'il n'existe pas de marché de l'occasion pour le matériel de thermalisme, le bienfondé de l'inventaire produit pour les besoins de la cause par la requérante de la valeur vénale des immobilisations n'ayant pu être vérifié contradictoirement au cours de la mesure d'instruction ordonnée avant-dire droit. En conséquence et d'une part, la SCI Thermes de Divonne-les-Bains n'est fondée à soutenir ni que la valeur vénale de ses investissements et de ceux de la société exploitante, qu'elle estime à 965 536 euros, devrait être retenue comme la méthode la plus avantageuse en vue du calcul de son indemnité, ni que les experts auraient incomplètement rempli leur mission en faisant le constat que la valeur qu'il leur était demandé de déterminer ne correspondait à aucune réalité économique.

4. En revanche, il résulte de l'exploitation des factures recueillies au cours de l'expertise et retraçant l'achat d'équipements ou la réalisation de travaux prévus par l'article 11 du BEA, que la valeur nette comptable de ces investissements s'établit, à fin septembre 2018, à 80 877 euros. Cette somme ne pouvant être comparée, ainsi qu'il est dit aux points 2 et 3, ni à des reliquats d'emprunt ni à une valeur nette d'usage, elle doit être retenue pour déterminer l'indemnité de résiliation qui, après application de la réfaction de 15 % prévue par le dernier alinéa de l'article 23.3, s'élève à 68'745,45 euros." (CAA Lyon, 19 septembre 2024, n°20LY02538).

Déduction des sommes restant dues à la collectivité bailleresse en raison des fautes du locataire

La Cour va toutefois retrancher de l'indemnité fixée au profit des locataires le montant des travaux nécessaires pour remédier au défaut d'entretien fautif, lequel a justifié la résiliation du bail emphytéotique aux torts du locataire.

La Cour admet que la créance d'indemnité du locataire peut être compensée avec la créance du bailleur au titre des dommages et intérêts pour faute contractuelle.

"5. La commune de Divonne-les-Bains soutient, il est vrai, que l'emphytéote n'a pas entretenu normalement l'ouvrage pris à bail, ce que confirme l'expertise qui a chiffré le montant des travaux de remise en l'état à 502 244 euros. Si les conclusions présentées reconventionnellement par la commune, le 29 avril 2024, tendant à la condamnation de la SCI Thermes de Divonne-les-Bains au versement de la somme de 433 498,55 euros représentant le reliquat de moins-value après imputation de l'indemnité de résiliation doivent être rejetées comme nouvelles en appel, l'indemnité de résiliation et la moins-value représentant un défaut d'entretien fautif du fonds trouvent leur cause dans l'exécution du même contrat et ont vocation à se compenser.

6. En admettant, ainsi que le soutiennent les appelantes, que l'estimation de 502 244 euros fasse masse de travaux dont la réalisation aurait eu vocation à être étalée au cours de l'exécution du BEA, si elle s'était poursuivie, et que la totalité de cette somme ne puisse être regardée comme représentative du comportement fautif de l'emphytéote, elles n'établissent pas que les travaux d'entretien qui pouvaient être raisonnablement différés aboutiraient, une fois leur montant déduit, à réduire la moins-value à un montant inférieur à celui de l'indemnité de résiliation, dégageant ainsi un solde créditeur pour la SCI Thermes de Divonne-les-Bains. Enfin, la circonstance que la commune de Divonne-les-Bains ait entrepris de substituer aux thermes anciens un nouveau complexe est, en elle-même, sans incidence sur la perte de valeur du fonds résultant d'un manque d'entretien" (CAA Lyon, 19 septembre 2024, n°20LY02538).

Au final, le locataire en sera de sa poche pour plus de 430 000 euros. 

 

La rédaction des clauses indemnitaires doit être soignée

Pour se prémunir de ces difficultés, les parties auraient pu gagner à clarifier le contrat :

  1. En déterminant une méthode précise et cohérente par rapport au plan de financement réel des investissements, afin d'éviter le recours à une expertise onéreuse pour chiffrer l'indemnité de résiliation ;
  2. En clarifiant contractuellement la question de la compensation avec des éventuels dommages et intérêts, puisqu'il est surprenant que le juge admette une compensation sans vérifier pour autant que les dommages et intérêts dont se prévaut le bailleur sont bien liquides et exigibles, ce qu'une clause aurait pu utilement aménager.

Pour éviter un litige complexe, impliquant une expertise, les parties ont tout à gagner à se faire assister par un conseil préalablement à la conclusion du contrat, pour s'assurer de la cohérence et de la pertinence de sa rédaction. 

 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :

  • Dans la revue de titres d'occupation et de baux à droits réels tels les baux emphytéotiques ou à construction, et plus généralement dans la définition du montage juridique de votre opération afin de s'assurer de leur conformité et de leur efficacité au regard de l'évolution jurisprudentielle ;
  • Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
  • Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

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