Conditions suspensives et bail commercial
La condition suspensive est une technique fréquemment utilisée dans les baux commerciaux, pour éviter un engagement ferme du locataire tant que certaines conditions nécessaires à son installation ne sont pas réunies.
Qu'il s'agisse d'obtenir un financement ou encore une autorisation d'urbanisme, l'engagement du locataire est subordonné à la réalisation de la condition suspensive.
Si les conditions ne se réalisent pas dans le délai prévu, le contrat est caduc et le locataire n'est pas engagé (Code civil, article 1304-6).
Efficacité des conditions suspensives
Le Code civil prévoit toutefois des gardes fous. La condition suspensive ne produit ses effets que si :
- son accomplissement dépend d'un événement futur et incertain (Code civil, article 1304) ;
- sa réalisation ne dépend pas de la seule volonté du débiteur (Code civil, article 1304-2) ;
- si celui qui y avait intérêt n'en a pas empêché l'accomplissement (Code civil, article 1304-3) ;
- etc.
C'est souvent sur ces points qu'achope les conditions suspensives, qui n'ont pas été élaboré en prêtant suffisamment attention à la rigueur de ce cadre.
Exemple d'une condition suspensive se retournant contre le locataire
Dans une affaire récemment jugée par la Cour d'appel de Paris, les parties avaient conclu un bail commercial sous-conditions suspensives. En particulier, était stipulée une condition suspensive tendant à l'obtention d'un permis de construire.
La rédaction de cette condition était très cadrée, et imposait au locataire de remettre un dossier complet de demande de permis construire pour une date précise, étant précisé que le dossier devait être élaboré en collaboration avec le bailleur.
Le juge retient que le locataire a manqué à ses obligations contractuelles, pour ne pas avoir transmis le dossier complet à la date prévue. Le juge considère que la condition suspensive est de ce fait réalisée, le locataire ne pouvant faire valoir sa propre négligence pour prétendre que le bail n'avait pas pris effet.
"indépendamment des diligences entreprises par la SARL Kehina et de sa collaboration avec la SCI BVK Highstreet Retail Madeleine, la cour ne peut que constater, à l'instar du premier juge, que la SARL Kehina n'a pas transmis « tous les dossiers et documents nécessaires au dépôt de la demande de permis de construire » avant le 16 août 2018, qu'elle ne saurait invoquer les éventuels ajustements courants en matière d'instruction de permis de construire pour éluder tout manquement à son obligation contractuelle, pas plus qu'elle ne pourrait invoquer une rétention d'information fautive de la SCI BVK Highstreet Retail Madeleine ou le choix unilatéral de cette dernière de retirer sa demande de permis de construire pour en déposer une nouvelle, dès lors que ce retrait ne saurait éluder le manquement contractuel initial de la SARL Kehina dans la transmission d'un dossier complet avant le 16 août 2018.
[...]
Ainsi, la condition suspensive liée à la transmission du dossier de permis de construire étant réputée levée, le bail a donc pris effet le 30 avril 2019, comme prévu au contrat." (Cour d'appel de Paris, 23 mai 2024, n°22/11073).
Conseils pratiques
Les parties doivent en conséquence rédiger avec précision les conditions suspensives. Une erreur dans l'exécution du contrat peut se retourner contre la partie qui se pense protégée par une condition suspensive, qui est alors définitivement engagée.
La difficulté est d'autant plus grande en bail commercial qu'il n'y a pas de faculté de résiliation à l'initative du locataire avant 3 ans, ce qui implique que le loyer sera exposé à fonds perdu ou bien qu'un refus d'exécuter le bail conduise à une condamnation à des dommages intérêts.
C'est ce qui est arrivé au locataire dans l'affaire jugée par la Cour d'appel Paris :
"les manquements de la SARL Kehina ont conduit la SCI BVK Highstreet Retail Madeleine à devoir relouer le bien litigieux, à exposer de nouveaux frais de commercialisation dudit bien, à hauteur de 127.569,86 € en l'état des devis signés par elle avec la société Crescitz pour 7.300 €, la société Athem&Skertzo pour 95.269,86 € et la société Franklin Azzi design pour 25.000 €, devis versés aux débats.En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Kehina à verser à la SCI BVK Highstreet Retail Madeleine une somme de 127.569,86 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de frais de recommercialisation, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2019, date de la mise en demeure qui lui a été adressée par la SCI BVK Highstreet Retail Madeleine."(Cour d'appel de Paris, 23 mai 2024, n°22/11073).
L'indemnisation aurait pu être nettement supérieure, mais le bailleur n'a pas justifié de la date à laquelle il avait pu relouer les locaux, ne permettant pas au juge de calculer la perte de loyers.
Les conséquences indemnitaires sont donc très importantes pour le locataire.
Il est donc essentiel de faire rédiger, ou à tout le moins relire, le bail par votre conseil pour être parfaitement éclairé sur l'étendue de vos obligations.
Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :
- Dans la revue de titres d'occupation et de baux, en particulier pour vos clauses de conditions suspensives ;
- Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrats déjà conclus ;
- Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.
Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes
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