La prorogation d’une société est une opération qui consiste à prolonger la durée de vie d’une société au-delà du terme initialement prévu. Cette opération nécessite le respect de certaines conditions et formalités prévues par le Code civil. Toutefois, il peut arriver que les associés oublient ou négligent de proroger la société avant l’expiration du délai. Dans ce cas, la loi prévoit une possibilité de régularisation par le biais d’une requête au président du tribunal judiciaire. Mais quels sont les pouvoirs du juge dans cette situation ? La Cour de cassation a apporté des précisions sur ce point dans un arrêt du 30 août 2023.

Faits et Solution :

Dans cette affaire, une société avait été constituée en 1979 pour une durée de quarante ans expirant en 2019. Or, les associés n’avaient pas procédé à la consultation nécessaire pour décider de la prorogation de la société avant l’arrivée du terme. Un associé a alors saisi le président du tribunal judiciaire sur le fondement de l’article 1844-6, alinéa 4 du Code civil, qui dispose que “si la société n’a pas été prorogée dans les conditions prévues à l’alinéa premier, tout associé peut demander au président du tribunal, statuant sur requête, d’autoriser la consultation des associés à titre de régularisation dans l’année qui suit la date d’expiration de la société”. Le président du tribunal a accueilli la demande et a constaté l’intention des associés de proroger la société. Il a également autorisé la consultation des associés à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Un autre associé a contesté cette décision et a demandé sa rétractation, mais sa demande a été rejetée par le président du tribunal, puis par la cour d’appel.

L’associé mécontent a formé un pourvoi en cassation en invoquant deux moyens. Il soutenait d’une part que le président du tribunal ne pouvait constater l’intention des associés de proroger la société que si ceux-ci avaient omis de bonne foi de le faire avant l’expiration du délai. Il soutenait d’autre part que le président du tribunal ne pouvait autoriser la consultation des associés que si tous les associés consentaient à la prorogation.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et a confirmé la solution retenue par la cour d’appel. Elle a rappelé que l’article 1844-6, alinéa 1 du Code civil prévoit que la prorogation de la société est décidée à l’unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification de ceux-ci. Elle a ensuite précisé que l’article 1844-6, alinéa 4 du Code civil n’impose pas de rechercher si les associés ont omis de bonne foi ou non de proroger la société, ni n’exige l’intention unanime des associés. Il suffit que le juge constate que l’intention de proroger la société est partagée par les associés représentant l’unanimité ou la majorité requise par les statuts. En l’espèce, les statuts de la société prévoyaient que la prorogation pouvait être décidée par la majorité en nombre des associés représentant au moins les trois quarts du capital social. Or, il avait été établi que des associés représentant au moins cette majorité avaient l’intention de proroger la société.

Conclusion :

La Cour de cassation a donc adopté une interprétation souple et pragmatique de l’article 1844-6 du Code civil, en permettant au président du tribunal judiciaire d’autoriser la consultation des associés pour proroger la société à l’expiration du terme, sans exiger de conditions particulières de bonne foi ou d’unanimité. Cette solution vise à faciliter la régularisation de la situation des sociétés qui n’ont pas été prorogées dans les délais, et à éviter leur dissolution anticipée. Elle témoigne également du respect du principe d’autonomie de la volonté des associés, qui sont libres de fixer les modalités de prorogation de leur société dans les statuts.

Guillaume Lasmoles

Avocat en droit des affaires 

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