La liquidation judiciaire est une procédure collective qui vise à mettre fin à l’activité d’une entreprise en cessation des paiements et à réaliser son patrimoine pour désintéresser ses créanciers. Mais que se passe-t-il lorsque la liquidation judiciaire est clôturée pour insuffisance d’actif, c’est-à-dire lorsque les biens du débiteur sont insuffisants pour payer tous les créanciers ? Les créanciers peuvent-ils encore agir contre le débiteur après la clôture pour insuffisance d’actif ? Quelles sont les conditions et les limites de ces actions ?

  • Le principe : l’interdiction de la reprise des poursuites individuelles

Le principe de l’interdiction de la reprise des poursuites individuelles après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif est posé par l’article L. 643-11, I du Code de commerce, qui dispose que « Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ». Ce texte signifie que les créanciers qui n’ont pas été payés pendant la procédure collective ne peuvent pas reprendre leurs poursuites individuelles contre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. Ils perdent donc définitivement leur droit de recouvrer leur créance sur le patrimoine du débiteur.

Ce principe vise à protéger le débiteur qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire, en lui permettant de bénéficier d’un « effacement » de ses dettes et de repartir sur de nouvelles bases. Il vise également à garantir l’égalité entre les créanciers, en évitant qu’un créancier ne puisse obtenir un avantage sur les autres en agissant individuellement contre le débiteur.

  • Quelles sont les exceptions à ce principe ?

Ce principe souffre cependant plusieurs exceptions qui sont prévues par l’article L. 643-11, II du Code de commerce. Selon ce texte :  « Les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s’ils ont payé à la place de celui-ci ».

Ces exceptions concernent les personnes qui sont liées au débiteur par une obligation solidaire. Elles peuvent agir contre le débiteur pour se faire rembourser ce qu’elles ont payé à la place de celui-ci, même après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. Ces exceptions visent à protéger les coobligés et les garants du débiteur, qui ont assumé la dette de celui-ci et qui risquent de subir un préjudice financier.

 

L’arrêt de la Cour de cassation du 19 avril 2023 (Com., 19 avril 2023, n° 21-19.563) illustre l’application de ces conditions à un cas particulier : celui du recours d’un codébiteur solidaire contre un autre codébiteur solidaire, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif.

En l’espèce, M. U. et Mme H., alors mariés sous le régime de la communauté, ont acquis un fonds de commerce à l’aide de deux prêts consentis par une banque. Le divorce a été prononcé en 2013 et un acte authentique de partage de communauté a attribué à M. U. la propriété de l’immeuble et du fonds de commerce, à charge pour lui de rembourser les prêts souscrits par les deux époux pendant le mariage ainsi que le passif grevant le fonds de commerce.

Les 27 novembre 2015 et 20 mai 2016, M. U. a été mis en redressement puis liquidation judiciaire, cette dernière ayant été clôturée pour insuffisance d’actif le 27 avril 2018.

Le 4 septembre 2018, faisant valoir qu’elle était l’objet de mesures d’exécution forcée de la part de la banque, Mme H. a assigné M. U. pour le voir déclaré seul tenu de rembourser l’intégralité des emprunts contractés pour le fonds de commerce et en garantie de toutes les mesures d’exécution forcée qui seraient engagées contre elle. M. U. a opposé l’irrecevabilité de la demande.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. U. et a confirmé la recevabilité de la demande de Mme H. Elle a considéré que l’action en garantie de paiement exercée par un coobligé du débiteur soumis à la procédure collective, qui a payé à la place de ce dernier une somme d’argent fondée sur une créance née antérieurement au jugement d’ouverture, action qui a été arrêtée par ce dernier, peut être reprise à la clôture de la liquidation judiciaire.

La Cour de cassation a donc appliqué l’exception prévue par l’article L. 643-11, II du Code de commerce au cas du recours d’un codébiteur solidaire contre un autre codébiteur solidaire. Elle a estimé que Mme H., qui avait payé à la place de M. U. les prêts souscrits pour le fonds de commerce, disposait d’une créance de recours contre lui, qui avait son origine dans l’engagement solidaire et non dans le paiement effectué entre les mains du créancier. Elle a également constaté que cette créance était née antérieurement au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de M. U. et que l’action de Mme H. avait été arrêtée par ce jugement. Elle a enfin relevé que Mme H. avait repris son action à la clôture de la liquidation judiciaire de M. U.

Guillaume Lasmoles

Avocat en droit des affaires 

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