La convention pluriannuelle de pâturage est un contrat par lequel un propriétaire ou un exploitant agricole met à la disposition d’un éleveur une parcelle de terre à vocation pastorale pour y faire paître son troupeau. Ce contrat est soumis au régime des baux à ferme, sauf si les parties en conviennent autrement. Toutefois, il peut arriver que le preneur invoque la qualification de bail rural pour bénéficier des dispositions protectrices du statut du fermage. Dans ce cas, il doit agir en requalification de la convention dans le délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 2224 du Code civil. Mais à compter de quand ce délai commence-t-il à courir ? De la conclusion du contrat initial ou de chaque tacite reconduction ? La Cour de cassation a tranché cette question dans un arrêt du 16 novembre 2023 (Civ. 3ème, 16 novembre 2023, n°21-18360).

I. Le bail tacitement reconduit, un nouveau bail distinct du bail initial

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un propriétaire avait conclu avec un éleveur une convention pluriannuelle de pâturage pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction. Après plusieurs reconductions, l’éleveur avait assigné le propriétaire en requalification de la convention en bail rural. Le propriétaire avait soulevé la prescription de l’action, en soutenant que le délai de cinq ans courait à compter de la conclusion du contrat initial, nonobstant sa tacite reconduction.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait accueilli ce moyen et déclaré l’action prescrite. Elle avait estimé que le bail tacitement reconduit n’était pas un nouveau bail, mais la prolongation du bail initial, et que le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de la conclusion du contrat initial, sauf fraude.

La Cour de cassation a censuré cette décision, en relevant d’office le moyen tiré de la violation de l’article 2224 du Code civil. Elle a rappelé que le bail tacitement reconduit est un nouveau bail, distinct du bail initial, et que cette règle est désormais consacrée par les articles 1214 et 1215 du Code civil, issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Elle a donc jugé que l’action en requalification de chaque convention née par tacite reconduction se prescrit à compter de sa prise d’effet.

II. La prise d’effet de la convention tacitement reconduite, le point de départ de la prescription

La solution retenue par la Cour de cassation est conforme à sa jurisprudence antérieure, qui considérait déjà que le bail tacitement reconduit est un nouveau bail, et non la prolongation du bail initial (Civ. 3ème, 10 juin 1998, n° 96-15.626). Cette solution s’explique par le fait que la tacite reconduction n’est pas une prorogation du contrat, mais une nouvelle formation du contrat, qui suppose l’accord des parties sur les mêmes éléments essentiels que le contrat initial. Ainsi, le bail tacitement reconduit peut comporter des modifications par rapport au bail initial, notamment en ce qui concerne la durée, le loyer ou les charges.

En conséquence, le point de départ de la prescription de l’action en requalification ne peut pas être fixé à la date de la conclusion du contrat initial, car cela reviendrait à nier la réalité juridique du bail tacitement reconduit. Le point de départ doit être fixé à la date de la prise d’effet de la convention tacitement reconduite, c’est-à-dire au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, conformément à l’article 2224 du Code civil. Ainsi, le preneur dispose d’un délai de cinq ans à compter de chaque tacite reconduction pour agir en requalification de la convention en bail rural.

La Cour de cassation a donc affirmé le principe selon lequel le bail tacitement reconduit est un nouveau bail, distinct du bail initial, et que l’action en requalification de chaque convention née par tacite reconduction se prescrit à compter de sa prise d’effet. Cette solution est favorable au preneur, qui dispose d’un délai de prescription plus long pour faire valoir ses droits. Elle est également cohérente avec la nature juridique de la tacite reconduction, qui implique une nouvelle formation du contrat.

Guillaume Lasmoles

Avocat en droit des affaires 

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