En modifiant l’article L1235-3 du Code du travail, les ordonnances Macron (n° 2017-1387) du 22 septembre 2017 ont instauré un barème d’indemnisation des salariés dans le cas où leur licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

Ce barème, très critiqué lors de la publication des ordonnances, est fonction exclusivement de l’ancienneté du salarié. Il est prévu, entre 0 et 29 ans d’ancienneté (rien de plus au-delà !), un seuil minimal et un plafond maximal en nombre de mois de salaires (pour les entreprises de moins de 11 salariés, le barème prévoit uniquement un seuil minimal).

 

Le problème est que ce barème ôte au juge son pouvoir d’appréciation souveraine des conséquences du licenciement et ne distingue pas selon les situations individuelles des salariés licenciés à tort.

 

En effet, le préjudice subi, essentiellement économique, n’est pas le même selon que le salarié est jeune ou âgé, qu’il est en bonne santé ou en situation de handicap, qu’il vit seul ou est chargé de famille, ou encore qu’il a retrouvé très rapidement un emploi ou soit resté longtemps au chômage.

 

Ainsi, depuis maintenant plusieurs mois, les défenseurs des salariés, dont je suis, ont soulevé dans des litiges prud’homaux l’inconventionnalité du barème à certaines règles internationales, spécialement :

 

- l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989, prévoyant que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

 

- l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999, qui prévoit « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) : b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »

 

Les premières décisions ne se sont pas fait attendre. Le conseil de prud’hommes de Troyes a ainsi écarté le 13 décembre 2018 le barème en reconnaissant l’effet direct horizontal de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT et de l’article 24 de la Charte sociale européenne. Ont suivi les Conseils de prud’hommes d’Amiens (19 décembre 2018), Lyon (21 décembre 2018 et 7 janvier 2019), Angers (17 janvier 2019), Grenoble (18 janvier 2019), Paris (22 novembre 2018 notifié le 1er mars 2019), ainsi qu’une décision rendue en départage par Agen (5 février 2019). Certes d’autres juridictions prud’homales ont jugé conforme le barème (CPH Mans 26 septembre 2018, Caen 18 décembre 2018), mais ces décisions restent minoritaires.

 

C’est dans ce contexte que j’ai obtenu pour la défense d’un salarié que le Conseil de prud’hommes de DIJON juge, à son tour, le barème non conforme tant à l’Organisation Internationale du Travail qu’à la Charte sociale européenne, et ce par jugement du 19 mars 2019 rendue en section industrie.

 

Dans cette affaire, certes le licenciement a à titre principal été jugé nul pour violation du statut protecteur (mandat de délégué du personnel), de sorte que le barème ne s'imposait pas, mais le Conseil de prud'hommes a souhaité s'emparer de mon subsidiaire (cas où le licenciement n'était pas nul) pour se positionner sur le barème indemnitaire. Ainsi, il a rappelé qu'au regard de l'ancienneté du salarié (5 ans et demi), il avait droit à 6 mois de salaires maximum à titre de dommages et intérêts en application du barème MACRON (en réalité 6 mois de salaire minimum compte tenu que le licenciement était nul). Les juges ont alors indiqué qu'il convenait d'octroyer 7 mois en écartant le barème MACRON instauré par l'article L1235-3 du code du travail  au motif d' une « indemnité adéquate et une réparation appropriée » prévus par les articles 10 de la convention 158 de l’OIT et 24 de la charte sociale européenne.

 

Et dans son dispositif (par ces motifs), c'est-à-dire la partie du jugement qui fait autorité, le Conseil de prud'hommes retient expressément " Dit et juge que l'application du barème résultant des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail doit être écartée comme non conforme aux engagements internationaux de la France, notamment de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail en son article 10 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996  en son article 24 ".

 

Rappelons en tant que de besoin que la décision rendue par Conseil Constitutionnel le 21 mars 2018 qui a validé les ordonnances MACRON de septembre 2017 en les jugeant « constitutionnelles » n’a opéré aucun contrôle desdites ordonnances à l’égard des traités et accords internationaux puisqu’il n’en a pas le pouvoir. De la sorte, la conformité du barème à l’OIT et la charte sociale européenne n’a pas été tranchée par le juge constitutionnel.

 

Le Conseil d’Etat n’a pas plus tranché cette question puisque la seule décision rendue, datée du 7 décembre 2017, l’a été en référé par un juge unique et n’est dans tous les cas aucunement opposable au juge judiciaire. D’ailleurs, le juge des référés devait nécessairement limiter son étude au cadre de sa saisine pour décider ou non de la suspension du texte, dans l’attente du contrôle approfondi à mener ultérieurement sur le recours au fond. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt rendu le 30 décembre 2002, a ainsi rappelé qu’en principe il n’appartient pas au juge des référés de se prononcer sur l’inconventionnalité d’une loi (CE, 30.12.2002, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement c/ M. Carminati, n°240430).

 

Aussi, il revient bien au juge judiciaire, d’abord les Conseils de prud’hommes, ensuite les Cours d’appel puis la Cour de cassation, de se prononcer sur le fond.

 

Le Conseil de prud’hommes en section industrie apporte donc, par son jugement du 19 mars 2019, une pierre supplémentaire à l’édifice de l’inconventionnalité du barème MACRON.

 

Jean-philippe SCHMITT

Avocat à DIJON (21)

Spécialiste en droit du travail

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