« Nous avons travaillé avec des déclarations de la Commission et du Conseil. Nous en avons même écrites certaines nous-même. Le Parlement wallon tient désormais la plume de la Commission et du Conseil » affirmait sans modestie Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, devant son parlement, le 28 octobre 2016. Comment un si petit État fédéré a-t-il pu devenir le héros d’un jour de la croisade contre l’AEGC (CETA en anglais) ?

 

 

Incompétence de l’UE et unanimité au Conseil, deux obstacles

 

Comprendre le rôle de la Wallonie impose de s’intéresser au rôle des États dans le processus d’approbation des accords commerciaux signés par l’Union européenne (UE). Traditionnellement, en droit international, un traité est d’abord négocié par les représentants d’un État, signé au terme de ce processus, puis ratifié selon les procédures internes à cet État. La ratification est ainsi l’acte par lequel l’État valide la signature de ses représentants. Or, l’UE adopte un système analogue en matière d’accords commerciaux : le Conseil de l’UE autorise la Commission à ouvrir des négociations, puis à signer l’accord. Dans certaines matières, le Parlement doit approuver le principe de l’accord. Puis le Conseil adopte une décision portant conclusion de l’accord, équivalant à ratifier ledit accord.

 

Cependant, deux incertitudes jonchent ce parcours : d’une part, l’UE est-elle bien habilitée à prendre un tel accord ? En l’occurrence, l’UE ne peut conclure un accord avec des pays tiers que dans les matières relevant de ses compétences exclusives ou partagées avec les États. Dans toutes les autres matières, telles la culture, l’éducation, la santé humaine, etc., seuls les États membres sont fondés à agir et, ainsi, à conclure un traité international. Certes, le commerce relève de la compétence exclusive de l’UE. Cependant, l’affaire se complique lorsqu’un accord commercial relève également de matières réservées aux États. On parle alors d’accord mixte : l’UE conclut l’accord parallèlement aux États membres, qui doivent chacun le ratifier dans leur ordre interne.

 

D’autre part, à quelle majorité le Conseil – qui réunit un ministre de chaque État membre – statue-t-il ? En principe, le Conseil statue à une majorité dite qualifiée, i.e. de 55 % des États sauf opposition d’au moins quatre États (donc de quatre ministres) représentant plus de 35 % de la population européenne. Cependant, l’unanimité est requise dans certains cas : non seulement dans le domaine des services sociaux, d’éducation et de santé lorsque des conditions très strictes sont réunies, mais également en cas de conclusion d’accords d’association. Aussi, l’opposition d’un seul État bloque le processus d’approbation de l’accord.

 

 

L’AECG réclame une double approbation des États

 

Le hic, avec l’AECG, tient à ce que ces deux obstacles sont potentiellement constitués. En ce qui concerne le caractère mixte de l’accord, celui-ci fait débat. En effet, si les États membres voient dans l’AECG un accord mixte, la Commission affirme qu’il relèverait des seules compétences de l’UE. Un problème analogue s’est posé en ce qui concerne un accord de libre échange avec Singapour, encore en négociation : l’UE peut-elle seule conclure un tel accord, sans co-approbation des États ? Cette question est aujourd’hui pendante devant la Cour de justice de l’UE (CJUE), l’audience s’étant tenue le 13 septembre dernier. De l’arrêt rendu dépendra en tout ou partie la réponse à la question de la mixité de l’AECG.

 

Si la Commission avait voulu passer en force, au moins un ministre du Conseil se serait probablement opposé à l’AECG en tant que cet accord n’était pas considéré comme mixte. L’application provisoire d’une partie de l’accord se serait retrouvée empêchée.

 

C’est pourquoi la commissaire Malmström déclara : « d’un point de vue strictement juridique, la Commission considère que cet accord relève de la compétence exclusive de l’Union. Toutefois, la situation politique au Conseil est claire, et nous comprenons la nécessité de le proposer comme un accord “mixte” afin qu’il puisse être signé rapidement ». Double conséquence : le Conseil a autorisé la signature de l’accord au nom de l’UE, et les États seront voués – sous réserve encore une fois du résultat de l’avis concernant l’accord avec Singapour – à adopter cet accord selon leurs règles internes.

 

 

Le parlement wallon consulté dès avant l’étape de la signature

 

Or, cette position « accord mixte » laisse la porte ouverte aux autorités internes des États de refuser de délivrer leur approbation. Si ces refus sont généralement du fait des parlements nationaux ou des peuples (Constitution européenne rejetée en France en 2005, accord UE-Ukraine rejeté par les Pays-Bas en 2016) au stade de la ratification, une particularité belge étonne : l’étape de la signature réclame une procuration interne. En effet, le même type de répartition des compétences qu’au sein de l’UE existe au sein de la Belgique (compétences exclusives fédérales, exclusives fédérées, partagées).

 

Or, l’AECG relève des compétences partagées belges, de sorte que le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères belges ne peuvent pas le signer seuls : ils requièrent les pouvoirs des chefs de six gouvernements, i.e. ceux des trois communautés linguistiques et ceux des trois régions. Si l’on sait que le parlement wallon s’est opposé à la signature de son ministre-président Magnette, on sait moins que celui-ci aurait pu se passer de l’autorisation de son parlement et donner procuration sans le consulter. Cependant, pour des raisons de démocratie interne, le ministre-président était moralement tenu de respecter les résolutions (facultatives) votées par le parlement wallon.

 

Pour résumer, les chefs de six gouvernements devaient donner leur procuration de signature à un septième (le chef du gouvernement fédéral belge) ; l’un d’entre eux, le chef du gouvernement régional wallon, était moralement lié par le refus de son parlement ; deux autres – les chefs des gouvernements de la région de Bruxelles-Capitale et de la communauté linguistique française – refusaient de donner pouvoir à la Belgique pour approuver l’accord.

 

 

Un passage en force théoriquement possible, moralement incertain

 

Le député européen Verhofstadt, amoureux du déni de démocratie, avait rappelé que l’UE pouvait passer en force. Si l’on considère l’accord non mixte, aurait-il été possible au ministre des affaires étrangères belge, siégeant au Conseil de l’UE, de donner son approbation à la signature de l’AECG sans accord des autorités fédérées belges ?

 

C’est là que réside une subtilité : le ministre belge requiert les pouvoirs des gouvernements locaux pour signer un traité international. Mais, lorsqu’il siège au Conseil de l’UE, il ne signe pas le traité : il donne son approbation à ce que l’UE fasse signer le traité au nom de l’UE. Et cette approbation ne relève pas des compétences internationales de la Belgique, mais de compétences européennes, d’une autre nature. Il peut alors décider en parfaite absence de démocratie interne.

 

Cependant, cette façon de procéder aurait été moralement difficile à supporter : cela serait revenu, au sein de la Belgique, à estimer insignifiante la voix des autorités fédérées, ouvrant certainement la porte à une nouvelle crise de régime. Par ailleurs, cela aurait excessivement mis à jour que l’UE constitue une superbe boite noire destinée à contourner l’avis des peuples, en confiant les compétences parlementaires nationales à des ministres dont les choix sont quasiment secrets. En effet, les décisions du Conseil ne sont pas toutes publiées, et il faut aux citoyens demander à son secrétariat de les déclassifier pour connaitre les résultats d’un vote…

 

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C’est ainsi en profitant d’un millefeuille de normes d’habilitation que le parlement wallon a pu décider de la vie et de la mort du traité transatlantique euro-canadien. Cependant, mis sous pression, ses députés n’ont pas été en mesure de négocier des textes à la hauteur des enjeux (voir la suite de l’article (2/3) : « Que la Wallonie a-t-elle gagné ? »).