« Il fallait que le concept de ce traité, ce qu’il représente, corresponde à notre modèle de société » déclara triomphalement Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, après que son parlement eut finalement accepté, le 28 octobre 2016, d’autoriser la Belgique à signer l’AECG (dit « CETA »). Mais en quoi consiste véritablement l’avancée obtenue par la Wallonie ?

 

 

Comprendre les avancées wallonnes par la chronologie

 

Si l’on entend que le parlement wallon aurait obtenu des avancées, de quoi s’agit-il réellement ? D’une part, d’une déclaration interprétative annexée à l’AECG, d’autre part, d’un accord intra-belge.

 

Penchons-nous d’abord sur cette déclaration interprétative. Sa première évocation publique relève des services allemands et canadiens, reprise par la presse le 21 septembre 2016. Une première version de cette déclaration fut soumise au Conseil de l’UE le 13 octobre 2016 et annexée au projet de l’AEGC. Seule la presse allemande l’a publiée, en version allemande.

 

Le 21 octobre, le ministre-président Magnette soutenait devant son parlement : « Afin de lever toute ambigüité qu’il pourrait encore y avoir, sur un nombre limité de sujets, la Commission a, en étroite coopération avec les autorités canadiennes, poursuivi son travail sur un document interprétatif ayant valeur juridique, indiquant de manière claire et précise la volonté des parties ». Malgré ce document annexé à l’AECG, la Wallonie refusa encore de donner son approbation.

 

Finalement, une seconde déclaration interprétative fut soumise le 27 octobre au Conseil de l’UE. C’est cette déclaration qui, une fois soumise au parlement wallon, emporta l’approbation majoritaire. Si la Wallonie a exercé une influence sur l’AECG, il faut comparer la version refusée à la version approuvée pour en connaitre l’amplitude.

 

Or, cette comparaison des deux versions – 13 octobre et 27 octobre – laisse apparaitre de très maigres changements. Un § 5 relatif à la sécurité sociale (« L’Union européenne et ses États membres ainsi que le Canada confirment que les régimes de sécurité et d’assurance sociales obligatoires sont exclus de l’accord en vertu de l’article 13.2 ») a été ajouté, ainsi qu’un autre § 13 relatif aux PME dont la rédaction ressemble davantage à une brochure publicitaire (« L’AECG offre également des avantages aux petites et moyennes entreprises… ») qu’à un document juridique. Au surplus, la portée juridique de cette déclaration est critiquement analysée par la doctrine juridique.

 

 

La déclaration du royaume de Belgique, un contrat interne

 

L’accord intra-belge, dénommé déclaration du royaume de Belgique, relève de trois domaines. Premièrement, des passages indiquent l’interprétation que la Belgique se fait de certaines stipulations du traité. Ces déclarations, très floues (« La Belgique réaffirme que le CETA n’affectera pas la législation de l’Union européenne concernant l’autorisation, la mise sur le marché, la croissance et l’étiquetage des OGM… »), expriment tout au plus un avis juridique sans valeur, et plus certainement un bavardage inutile.

 

Deuxièmement, des engagements des autorités fédérales à adopter une certaine position à l’égard de l’UE sont proclamés. Ce type de stipulations n’a pas d’influence à l’égard de l’UE mais établit contractuellement une nouvelle répartition des compétences au sein de l’État belge. Si ceux-ci devaient être valables et respectés, l’État belge saisirait la CJUE, et dénoncerait possiblement l’accord si les autorités fédérées le lui demandaient.

 

Enfin, cinq gouvernements fédérés, à l’exception du gouvernement flamand, critiquent le mécanisme de règlement des conflits de l’Union et avertissent à l’avance qu’ils ne donneront pas en l’état l’autorisation de ratifier l’accord. Dans le même temps, tout en critiquant ce mécanisme, la région Bruxelles-Capitale félicite la Commission et le Conseil de l’avoir mis en place. Une contradiction inexplicable concernant une position future, révélatrice de l’empressement dans lequel ce texte fut adopté.

 

 

Des miettes pour un parlement méprisé

 

Ainsi, en admettant même que la Wallonie soit entièrement responsable du changement de rédaction de la déclaration interprétative entre le 13 et le 27 octobre, son influence sur l’AECG se révèle quasiment nulle. Cela n’est pas étonnant, si l’on considère les conditions dans lesquelles le parlement donna son approbation : après avoir reçu les textes au compte-goutte, non traduits en français et présentés comme le fruit de ses propres débats, et avoir été mis sous pression constante des institutions européennes, les parlementaires wallons ont fini par céder et approuver à la va-vite le principe d’un texte intra-belge sans intérêt.

 

Des miettes auront été jetées à la Wallonie. Triste constat de mépris, quand on peut lire à travers les travaux parlementaires de son assemblée que les débats ont été menés de manière fort démocratique et sérieuse. C’est d’autant plus frappant qu’on peut constater, au sein de l’AECG, de fermes réserves du Canada et de ses provinces, approuvées celles-là officiellement par l’UE et ayant une portée juridique. Ainsi, par exemple, l’annexe 10 de l’accord liste les réserves imposées par chacune des provinces canadiennes (ex : « Au moins 25 pour cent des administrateurs d’une société albertaine doivent être résidents du Canada »). On constate ainsi que chacune des provinces était associée à la négociation et pouvait décider d’y ajouter ses propres revendications, dans leur plus grand intérêt, ce que les entreprises et citoyens européens regretteront nécessairement, mais trop tard.

 

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Triste Union européenne, qui adopte des accords dans le plus grand secret, ne prend pas en compte les besoins des différents pays, et tient les peuples le plus éloigné possible du processus décisionnel. La leçon du Brexit n’aura manifestement pas servi à changer les habitudes royalo-technocratiques.