« Ce décret a été pris en douce par le ministre de l’intérieur, un dimanche de la Toussaint, en pensant que ça passerait ni vu ni connu » affirme sans rire Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, au sujet du métafichier devant réunir les données personnelles communes aux passeports et aux cartes d’identité. Il est fort rare qu’un membre d’un gouvernement en accuse un autre d’avoir édicté subrepticement une norme empiétant de surcroit sur ses compétences. Mais est-ce bien la vérité ? Les visas (« Vu... ») ouvrant le « décret métafichier » et les contreseings le closant démentent largement l’indignation de Mme Lemaire.
La secrétaire d’État devait-elle être consultée ?
Contrairement à la présentation retenue par Mme Lemaire, un décret n’est pas pris par un simple ministre. Il est soit édicté par le Président de la République s’il s’agit d’un décret pris en conseil des ministres, soit par le Premier ministre dans tous les autres cas. À ce propos, le décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016, publié au Journal officiel la veille de la Toussaint, est un décret édicté par le Premier ministre et contresigné par plusieurs ministres.
En vertu de l’article 22 de la Constitution, un tel décret doit être signé par les ministres qui auront la charge de prendre les mesures juridiques nécessaires à son application. Contrairement aux décrets édictés par le Président de la république, il ne s’agit pas des ministres responsables de la matière, mais de ceux qui devront se charger de son exécution concrète. Ainsi, un ministre peut être responsable d’un domaine en question sans contresigner un décret. En l’occurrence, des mesures d’application du « décret métafichier » devront être édictées par les ministres de l’intérieur, des affaires étrangères, de la défense et de l’outremer : il s’agit bien des cosignataires du décret.
Certes, la secrétaire d’État a compétence (décret n° 2014-435 du 29 avril 2014) en matière de « droits et libertés fondamentaux dans le monde numérique et à la sécurité des échanges, des réseaux et des systèmes d’information ». Mais rien n’imposait au Premier ministre de la consulter. Cela n’aurait été rendu obligatoire que si le décret avait été édicté par le Président de la République.
Comment A. Lemaire aurait-elle pu savoir ce qui se tramait ?
Les visas du « décret métafichier » indiquent une série d’organismes ayant été consultés avant son édiction. Certes, le Conseil d’État rend un avis généralement non publié et réservé à l’auteur du décret, de sorte que Mme Lemaire n’aurait pas pu savoir, avant édiction, qu’il avait été saisi sur cette question et avait rendu un avis (d’ailleurs positif) à la création de ce fichier.
En revanche, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, consulté par le gouvernement français, rendit un avis – d’ailleurs positif – le 16 août 2016, publié sur son site internet peu après cette date. Le cabinet de la secrétaire d’État aurait tout à fait pu instaurer une veille de recherche automatique sur tout ce qui concerne les données à caractère personnel traitées par les collectivités d’outremer, puisque celles-ci doivent toujours donner leur avis préalable. Il ne semble pas bien difficile, pour un cabinet se targuant d’avoir un haut niveau en matière de numérique, d’introduire un tel moteur de recherche automatique pour être informé des réformes et évolutions en cours.
Par ailleurs et surtout, la CNIL rendit un avis lors de sa séance du 29 septembre 2016. Un commissaire du gouvernement assiste à l’ensemble des séances de cette commission et y représente l’État. Or, tous les sujets traités par la CNIL entrent dans ce qui relève de la secrétaire d’État au numérique. Il apparait donc saugrenu que celle-ci et le commissaire du gouvernement ne fussent pas convenus d’échanger systématiquement pour que la position de la secrétaire d’État au numérique y soit soutenue, et que le commissaire rapporte ce qu’il entend. Ce type de procédure semble constituer le minimum de ce que l’on peut exiger d’un ministre correctement organisé.
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Mme Lemaire, en se plaignant de ne pas avoir été consultée, montre sa désorganisation. Il ne tenait qu’à elle de s’informer correctement des textes préparés par le gouvernement auquel elle appartient. Pour autant, le pouvoir réservé au Premier ministre, qui peut prendre seul – après quelques consultations qui ne le lient pas – des décisions d’une première importance, devrait généralement nous inquiéter. La concentration des pouvoirs entre une seule main est une caractéristique très fâcheuse de la Ve République, fondée sur une conception toute militaire du pouvoir, et manifestement en décalage avec les impératifs démocratiques actuels. Ce type de manière de prendre les décisions, monarchique, ne peut généralement que nourrir – à très juste titre – la défiance des citoyens à l’égard des institutions, ainsi que nous interroger particulièrement sur la manière autoritaire de M. Valls de gouverner.
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