Vous êtes naturellement hostile à la violence et ne supportez pas la cruauté mais… vous avez suspendu vos principes fondamentaux en voyant une vidéo moquant – en musique – Manuel Valls se faisant gifler. Même si ce geste fut perpétré par surprise, ne lui laissant pas le temps de se défendre, vous avez pouffé et avez partagé avec vos amis l’enregistrement, que vous avez parfois agrémenté d’une petite émoticône riant aux larmes. MDR.
Vous oubliiez tout de même qu’une infraction fut introduite en 2007 dans le code pénal, « l’enregistrement et de la diffusion d’images de violence » (art. 222‑33‑3) destinée à réprimer le « happy slapping » (gifle joyeuse). Écartons tout de suite vos deux premières réactions non juridiques :
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que tout le monde l’ait fait avant vous n’ôte en rien le caractère illégal de votre action. Un policier peut vous choisir, aléatoirement, dans une foule d’automobilistes ayant dépassé les limites de vitesse autorisées. Vous n’avez aucun droit à vous prévaloir des infractions commises par les autres, et l’on peut toujours vous choisir au hasard, pour l’exemple ;
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que le happy slapping corresponde exactement à ce que vous venez d’accomplir (joyeusement diffuser une gifle) ne signifie pas que vous ayez nécessairement commis l’infraction. Il faut vous intéresser à l’article 222-33-3.
Vous comprenez lentement que la frontière entre bien et mal se révèle peu facile à percevoir, en tout cas moins que lorsque vous invoquez l’utilité du religieux dans la société.
1) L’alinéa 2 de l’article 222-33-3 dispose que « Le fait de diffuser l’enregistrement de telles images est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». Fichtre ! Mais, de quelles images ? Celles relatives à la commission d’infractions listées aux articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31 et 222-33. Large panoplie ? Pas vraiment : ces numéros ne sont pas précédés d’un « R. ». Cela signifie que seule la diffusion d’images de délits est prise en compte.
Or, Manuel Valls n’a pas reçu d’interruption temporaire de travail (ITT). Ne s’agissait-il pas de violences légères définies par l’article R. 624-1 du code pénal, punies d’une contravention de 4e classe (750 € au plus d’amende) ?
2) A priori, non, car l’auteur des faits fut « condamné » à six mois de prison avec sursis ainsi qu’à des travaux d’intérêt général, ce qui n’est possible qu’en cas de commission d’un délit. Et a postériori ? La peine infligée à l’auteur signifie-t-elle qu’un délit a vraiment été commis ?
Les débats parlementaires relatifs à la diffusion d’images de violence nous apprennent que le législateur a voulu calquer cette infraction sur le recel : elle n’existe que si l’infraction principale existe. Il faut donc toujours se demander quel fut le sens du jugement de l’auteur de l’infraction principale. Or, le gifleur de M. Valls n’a pas, à proprement parler, été condamné : il a reconnu sa culpabilité préalablement et a ensuite négocié une peine avec le procureur, avant qu’un juge n’homologue l’accord.
On peut tout à fait imaginer que si cette personne s’était défendue, elle aurait pu être relaxée du délit. Il n’y a pas eu de procès, au sens strict. Pourquoi, dans ces conditions, devriez-vous être jugé coupable uniquement parce que le mouflet de 18 ans n’avait pas souhaité aller au procès et a réduit vos propres chances de défense ?
3) Intéressons-nous à l’infraction de violences de l’article 222-13. Manuel Valls n’ayant pas reçu d’ITT, il faut caractériser au moins une circonstance parmi celles de la longue liste de l’article, pour qu'un délit existe. Deux retiendront notre attention :
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la préméditation (9°) : même si cette circonstance ressort de l’accord conclu, celui-ci ne vous lie pas ;
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un acte commis sur « toute autre personne dépositaire de l’autorité publique » « dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur » (4°) : au fait, Manuel Valls exerce-t-il encore des fonctions publiques ? Le Journal officiel du 10 janvier nous apprend qu’il a repris, le 7 janvier, l’exercice d’un mandat de parlementaire.
4) Poursuivons la comparaison avec le recel : on doit distinguer deux facettes de l’infraction principale :
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les circonstances de l’infraction : si l’auteur est inconnu, ou s’il est en fuite, ou encore jugé après acquisition de la prescription, etc., il n’y aura pas eu de condamnation. Mais ces circonstances n’enlèvent en rien l’existence de l’infraction ;
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les éléments constitutifs de l’infraction.
La préméditation (9°) et la qualité de la victime (4°) sont-elles de simples circonstances ? Non, elles constituent des éléments d’un délit. Lors de votre propre procès, il faudrait idéalement entendre l’auteur parler de ses desseins. Mais on ne pourrait pas lui demander de prêter serment en tant que témoin… de lui-même ! Il faudrait dès lors relever des indices extérieurs de sa volonté. Pas facile, car attendre l’arrivée de quelqu’un ne signifie pas qu’on veuille le gifler.
Et savait-il que l’ancien Premier ministre était redevenu parlementaire ? La qualité de député de M. Valls est certes publique (Journal officiel), mais pas nécessairement apparente au sens du droit pénal, et rien ne laisse penser que l’auteur l’ait giflé de ce fait.
5) Vous prétendez alors avoir agi dans un but informatif, car « l’enregistrement » initial « résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public » (alinéa 3). Mais vous ne convainquez que vous-même : votre vidéo est accompagnée d’une petite musique rigolote, qui démontre bien que votre intention n’était pas l’information du public (c’est le « happy » du « slaping ») mais l’humiliation.
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Ainsi, vous constatez que l’auteur de l’infraction, bien défendu, aurait pu écoper d’une simple peine d’amende. Et que vous risquez, à cause de son immaturité – l’immaturité de s’être mal défendu, car vous estimez encore que rediffuser les images n’était pas immature de votre part –, de vous retrouver poursuivi pour la diffusion d’images relatives à un délit (alors qu’il ne s’agissait que d’une contravention). Vous réalisez alors que, décidément, rire n’est pas simple lorsque Manuel Valls et le droit pénal sont en jeu.
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