Par un arrêt en date du 13 juin 2022 mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat juge de manière inédite que, dans certaines circonstances, le renonciation du titulaire du droit de préemption à acquérir l’immeuble après exercice du droit de préemption peut constituer un préjudice grave revêtant un caractère spécial fondant un régime de responsabilité sans faute.

La portée de cette décision doit néanmoins être appréciée au regard des faits particuliers de l’espèce.

Dans cette affaire, la commune de Saverne avait exercé le droit de préemption urbain le 28 août 2012 sur un bien immobilier composé d’un ancien hôtel pour un prix de 800 000 euros, après réception d’une déclaration d’intention d’aliéner pour un montant de 1 095 000 euros. Suite au désaccord des parties, le juge de l’expropriation a fixé le prix de ce bien à 915 573,90 euros par un jugement en date du 17 mai 2013 soulignant la dégradation déjà avancée du bien.

Conformément aux dispositions de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme, le titulaire du droit de préemption a choisi de renoncer à l’aliénation par une décision du 17 juillet 2013.

La société venderesse a saisi le juge administratif aux fins de rechercher la responsabilité de la commune en réparation du préjudice résultant notamment des dommages subis du fait de ces décisions de préemption et de renonciation. La requérante démontrait devant les juges du fond que de « de nouvelles dégradations consécutives à la présence d'occupants illégaux et le pillage du mobilier ont eu lieu entre juillet et août 2013. Une adjudication infructueuse de l'hôtel a eu lieu le 16 mai 2014 pour un montant de 500 000 euros. La société a ensuite cédé son bien pour un montant de 400 000 euros le 7 août 2014. »

Le Conseil d’Etat a jugé que, dans ces circonstances, la société venderesse avait « subi, du fait des décisions de préemption et de renonciation de la commune de Saverne, un préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial et doit être regardé comme excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine, sans que d'autres circonstances, notamment le fait que la société n'ait mis en place un dispositif de gardiennage de l'immeuble qu'à compter de septembre 2013, soient de nature, dans les circonstances particulières de l'espèce, à écarter totalement la responsabilité de la commune ».

Réglant l’affaire au fond, la Haute juridiction retient l’existence d’un préjudice de 250 000 euros compte tenu du « caractère suffisamment probable de la vente initialement prévue pour un prix de 1 095 000 euros, au prix fixé par le juge de l'expropriation à 915 573,90 euros et au prix de 400 000 euros auquel le bien a été cédé un an après ainsi que des caractéristiques hôtelières du bien en cause et du marché immobilier local ».

En dernier lieu, le Conseil d’Etat choisit de minorer ce préjudice considérant que « l'abstention de la société à prendre des mesures destinées à assurer le gardiennage de son bien avant le mois de septembre 2013 doit être regardée comme une imprudence dans l'appréciation des risques de nature à exonérer la commune d'une partie des conséquences dommageables de la renonciation à la préemption, qui doit être évaluée à 100 000 euros. ».

Par cette décision, motivée par des faits peu ordinaires ayant permis de caractériser la gravité et le caractère spécial du préjudice, le Conseil d’Etat ouvre néanmoins la possibilité de rechercher désormais la responsabilité sans faute du titulaire du droit de préemption en cas de renonciation à l’aliénation, après exercice de son droit de préemption, alors que cette faculté lui est pourtant offerte – à l’instar du vendeur – par l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme « en cas de fixation judiciaire du prix, et pendant un délai de deux mois après que la décision juridictionnelle est devenue définitive ».

Conseil d’Etat, 1ère – 4ème chambres réunies, 13 juin 2022, n°437160, mentionné aux tables du recueil Lebon