La publication en pleine période de confinement du décret du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » est pour le moins malheureuse. 

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041763205&categorieLien=id&fbclid=IwAR0r6Urw-OVTkwrpSnT0C3PdQBt4dfbdSS3C9V-FN-7agvR-bOpx7zOOOaY

Elle ne peut qu'alimenter les soupçons de tous les complotistes qui vont hurler à la collecte d'informations sur les citoyens qui pourront être détournées selon les souhaits de nos gouvernants futurs.

Elle provoque une nouvelle réaction épidermique de nombreux professionnels du droit qui estiment qu'une fois de plus, le gouvernement profite de la période pour dissimuler un décret qui suscite la critique, voire l'opposition de beaucoup.

De quoi s'agit-il ?

Pour une durée provisoire - mais dont on sait qu'en général elle devient définitive - la création par la Chancellerie d'un fichier (appelons les choses par leur nom) qui a plusieurs objectifs :

- les statistiques

- la création d'un référentiel d'indemnisation (autant dire barême)

- l'information des parties sur ce qu'ils peuvent obtenir pour les inciter à transiger

- l'information des magistrats statuant en matière de préjudice corporel.

Mais soyons rassurés, il ne s'agit là que de créer un algorithme, les données seront ensuite effacées, et seuls y auront accès les agents habilités désignés par les services du ministère.

En réalité, au-delà de la question du recensement d'informations et de qui y a accès, se pose la question de l'utilisation de l'outil, qui est clairement indiquée.

L'algorithme donnera aux magistrats et aux justiciables des statistiques à valeur de référence pour déterminer leur indemnisation.

Le Ministère instaure donc un système similaire à celui créé il y a quelques années de manière privée, et qui peine à convaincre.

La base ministérielle se heurtera aux mêmes écueils, dont le principal est la deshumanisation et le secondaire l'inadaptation aux situations particulières, et toutes les situations sont particulières pour celui qui la vit.

Suffira-t-il de reporter dans l'application les conclusions de l'expertise rendue sur la base de la nomenclature Dintilhac pour avoir l'indemnisation de référence ? C'est probable.

Ensuite, qui osera dire autre chose que l'application fournie et développée par le ministère ?

Certainement pas les avocats, puisqu'ils auront fermé leurs cabinets depuis longtemps.

Les magistrats diront ne pas avoir de compétences médicales et qu'ils restent dans la jurisprudence, pour ne pas chercher plus loin que son application : les statistiques n'évolueront donc pas.

Les victimes auront une indemnité forfaitairement accordée, mais cela ne veut pas dire qu'elle sera juste et adaptée. C'est là le problème.

Sous couvert de transparence et de simplification, se cachent l'injustice (l'indemnisation est fixée selon des critères préétablis, celui qui fixe les critères tient tout) et la deshumanisation.

La publication de ce décret à ce moment - même si on savait depuis fort longtemps que ce projet était en cours d'élaboration - est donc particulièrement détestable.

Quel manque d'intelligence politique !

Et dire qu'il suffisait d'en PARLER de manière ouverte, claire, en y associant les acteurs intéressés - qui vont toujours chercher à sauver leur activité - au lieu de publier un tel décret en catimini !

Vraiment, rien n'est épargné à ma profession en ce moment.

Et le gouvernement fait tout pour s'attirer des critiques.