Par Karen Mendiola & Jean-Philippe Mabru, Bonnard Lawson Paris

Les relations franco-mexicaines se développent de manière constante depuis de nombreuses années. La coopération entre les deux pays en matière commerciale, culturelle et scientifique ne cesse d’accroitre, impulsée par une association stratégique des gouvernements qui se matérialise par la signature de plus d’une centaine d’accords bilatéraux depuis 2015. La communauté française, l’une des plus importantes communautés étrangères au Mexique, était évaluée à un total de 30,000 personnes en janvier 2018, dont près de 19,000 étaient inscrits au registre des Français établis au Mexique .

Le registre officiel de mexicains résidant en France compte quant à lui près de 3,000 personnes, bien que le chiffre réel aurait avoisiné les 5,000 en 2017 .

La présence française au Mexique est aujourd’hui très importante, avec environ 500 entreprises françaises y implantées (dont la plupart des grands groupes français) sur une gamme sectorielle très ample dont notamment le secteur industriel et commercial, les services financiers et la manufacture aérospatiale. La France est le 11ème fournisseur mondial et le 4ème fournisseur européen du Mexique, avec une part de marché qui se maintient autour de 1 %.

Pour la France, le Mexique est 34ème fournisseur mondial, et 2ème d’Amérique latine. Plus modéré, l’investissement mexicain en France connaît une augmentation constante et un développement accéléré, qui découle principalement d’opérations de fusions et acquisitions. Le premier investisseur mexicain est le cimentier Cemex, deuxième producteur de béton malaxé en France, qui y emploie environ 2000 personnes.

La coopération culturelle, scientifique et technique est aussi une source d’échanges entre ces deux pays.

Avec plus de 700 accords interuniversitaires et un accord de reconnaissance mutuelle de diplômes, la France est le 3ème pays d’accueil des étudiants mexicains (près de 3 000 étudiants) et 2ème pays d’origine des étudiants étrangers au Mexique (1500 étudiants). La France est aussi 3ème partenaire scientifique du Mexique.

Les relations étroites entre la France et le Mexique impliquent une forte mobilité de ses citoyens, et avec eux, leur famille et leur patrimoine.

Dans ce contexte, la planification patrimoniale et l’anticipation de sa transmission s’avèrent cruciales.

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Comment faut-il appréhender les successions impliquant ces deux pays ?

Lorsqu'une succession contient un élément d'extranéité, la difficulté tient principalement i) à la détermination de la loi applicable et, ii) au besoin de connaître et, quand il est possible, de maitriser la fiscalité qui sera appliquée.

i) LA LOI APPLICABLE

Du point de vue français, la loi applicable à l’ensemble de la succession est en principe celle de la dernière résidence habituelle du défunt, depuis l’entrée en vigueur, le 17 août 2015, du règlement européen n° 650/2012 dit « Règlement Successions », applicable aux Etats membres de l’Union Européenne à l’exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark.

La loi de la dernière résidence habituelle du défunt est donc appliquée à l’ensemble des opérations successorales, peu important qu’il s’agisse d’un Etat partie au règlement ou d’un Etat tiers.

Le texte du Règlement Successions ne définit cependant pas la « résidence habituelle ». Tout comme dans de nombreuses autres conventions, il s'agit d'une notion autonome, c'est-à-dire qu'elle ne se définit pas par renvoi au droit de l'un des États membres.

Dans l’attente de jurisprudences de la CJUE, le préambule du règlement fourni les lignes directrices auxquelles il convient de se référer : Il faut « procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence », la résidence habituelle devant « révéler un lien étroit et stable avec l'État concerné »  .

En outre, s’il s’avère qu’au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un Etat autre que celui de sa dernière résidence habituelle, le Règlement Successions prévoit, à titre exceptionnel, l’application de la loi de cet autre Etat  (cas, par exemple, du défunt qui établit sa résidence habituelle dans un autre Etat, juste avant son décès). 

Enfin, le règlement contient une innovation majeure : la possibilité pour une personne de choisir la loi applicable (on parle de « professio juris ») à l'ensemble de sa succession . Ce choix ne pouvant porter que sur la loi dont elle possède la nationalité soit au moment où elle fait ce choix, soit au moment de son décès. Si la personne possède plusieurs nationalités, son choix pourra se porter indifféremment sur l'une de ces lois.

Sur le fond, la validité du choix est appréciée au regard de la loi désignée. En la forme, le choix doit être formulé (et aussi modifié ou révoqué) dans une déclaration revêtant la même forme qu'une disposition à cause de mort.

De sorte que, du point de vue français, si une personne de nationalité française décède au Mexique, où elle avait sa résidence habituelle, sa succession sera par principe soumise à la loi mexicaine, pour l’ensemble de ses biens quel que soit le lieu où ils se trouvent, à moins qu’elle n’ait désigné sa loi nationale pour régir sa succession.

Il sera à ce stade relevé que la France accepterait un éventuel renvoi de la loi mexicaine, à moins que l’application de cette dernière loi ait été établie conformément au Règlement Successions, soit au regard des liens manifestement plus étroits, soit par un choix désignant la loi mexicaine comme applicable à la succession.

De son côté, le Mexique ne dispose pas d’une règlementation internationale qui solutionne la question de la loi applicable aux successions internationales, tel qu’il n’existe point de système unique de conflit de lois en droit interne. En effet, le Mexique est une République fédérale composée de 32 entités fédératives, disposant chacune d’une faculté souveraine, octroyée par la Constitution Politique des Etats Unis Mexicains, pour légiférer en matière civile.

Les règles de conflit en la matière sont dès lors prévues par le Code Civil de chacun des Etats Fédérés, bien que la majorité des Etats ait adopté des règles similaires à celles contenues dans le Code Civil de l’ordre fédéral (CCF), lequel, dans son article 12 admet l’application du droit étranger à condition qu’elle soit prévue, soit par le droit interne, soit par des conventions internationales signés par le Mexique, lesquelles conventions sont à ce jour inexistantes pour la matière qui nous occupe.

Les hypothèses d’application des lois étrangères, admises par le droit interne, sont prévues par le CCF même, qui en décrit les modalités  :

i. Les situations juridiques valablement créées dans les entités de la République ou dans un Etat étranger conformément au droit, doivent être reconnues. ii. L’état et la capacité des personnes physiques sont régis par le droit de leur domicile. iii. La constitution, le régime et l’extinction de droits réels immobiliers, les contrats de bail immobilier et d’usage temporaire de tels biens, et les biens meubles, sont régis par le droit de leur lieu situation, même si le titulaire desdits droits est étranger. iv. La forme des actes juridiques sera régie par la loi du lieu où l’acte est célébré. L’acte pourra revêtir la forme prescrite par le CCF s’il a vocation à produire ses effets dans l’entité fédérative ou dans toute la République s’il s’agit d’une matière Fédérale. (…).

Dans le système mexicain, la loi successorale est définie comme étant celle du lieu de situation des biens mobiliers et immobiliers composant la succession.   Dès lors, du point de vue mexicain, si la personne concernée de nationalité française décède au Mexique, où elle avait sa résidence habituelle, sa succession sera par principe soumise à la loi du lieu de situation de ses biens.

De sorte que si cette personne détenait des biens (mobiliers ou immobiliers) situés en France, la loi successorale applicable audits biens, conformément au droit interne mexicain, serait la loi française. Comme vu plus haut, la France acceptera ce renvoi.

S’il s’agit en revanche d’un national mexicain ayant sa résidence habituelle en France, et qui détient des biens au Mexique, d’un point de vue français, c’est la loi successorale française qui trouvera à s’appliquer à l’ensemble de ses biens. Or, le Mexique rattachera aussi la succession à sa loi nationale, en tant que pays de situation des biens du défunt. Les règles de rattachement pratiquées par chacun des deux pays ont pour effet de donner compétence à leur propre loi interne dans cette espèce.

On notera enfin que la professio juris  caractéristique du Règlement Successions est, sauf atteinte à l’ordre public et fraude à la loi (art. 15 CCF), admise par le CCF, qui dispose dans son article 13-V que « (…) les effets juridiques des actes et contrats sont régis par le droit de leur lieu d’exécution, à moins que les parties aient désigné valablement l’application d’un autre droit. ».

Quelles sont alors les incidences de la loi applicable à une succession ?

La loi qui aura été définie comme applicable à une succession sera déterminante de questions majeures telles que la désignation des héritiers, leur part dans la succession, la protection du conjoint et des enfants, le partage, etc.

On remarque qu’au Mexique, contrairement à ce qui est la norme en France, un concubin, libre de mariage par ailleurs, a vocation successorale par application des dispositions relatives aux successions entre conjoints , sous réserve du respect de certaines conditions dont un délai de vie commune de 5 années précédant le décès, qui ne trouve pas à s’appliquer dans le cas où il existe des enfants communs.

En outre, le Mexique respecte le principe de la libre disposition testamentaire. Le testateur peut ainsi disposer de tous ses biens en faveur de ses parents ou de tiers, la seule restriction, d’une portée assez limitée, étant l’obligation alimentaire envers certaines personnes énumérées par l’article 1368 du CCF, parmi lesquelles figurent les descendants mineurs ou majeurs incapables, le conjoint ou concubin incapable, non remarié, dans le besoin et qui vit honnêtement, etc.

Parallèlement, si le droit français est applicable, les enfants seront héritiers réservataires, ce qui signifie que l’on ne peut les priver d’une part de la succession (calculée en fonction du nombre d’entre eux et de la présence ou non d’un conjoint). S’il n’est pas interdit à deux époux de disposer l’un en faveur de l’autre en présence de descendant, le conjoint survivant ne pourra toutefois recueillir la totalité du patrimoine que si les enfants renoncent à exercer la réduction de la libéralité pour obtenir leur réserve.

Il est évident que l’insécurité juridique découlant de la diversité de lois successorales et de systèmes de droit international privé impose une planification réfléchie. La préparation d’une succession a pour but de permettre la transmission la plus favorable du patrimoine dans un contexte international, par moyen d’arbitrages sur le plan civil, mais aussi sur le plan fiscal.

ii) LA FISCALITÉ APPLICABLE

Il n'existe pas à ce jour de convention signée entre la France et le Mexique destinée à éviter les doubles impositions en matière de succession. Le Mexique n’en a d’ailleurs conclu aucune.

Les règles d’assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit restent ainsi fixées par la législation interne de chacun des Etats.

En droit interne français, il y a lieu de se référer aux dispositions posées à l’article 750 ter du CGI.

Dans le cas où le défunt était domicilié en France, tous les biens meubles et immeubles sont imposables en France, quelles que soient leur nature ou leur situation. Dans cette hypothèse, l’intégralité des biens composant la succession, y compris tout bien situé à l’étranger, sera soumise aux droits de succession français.

Lorsque le défunt n’était pas domicilié en France et qu’il est impossible de se prévaloir des dispositions d’une convention fiscale, il convient d’opérer une distinction en fonction de la qualité du bénéficiaire :

  • Le bénéficiaire (héritier, donataire ou légataire) est domicilié en France au jour de la transmission et l’a été pendant au moins 6 ans au cours des 10 dernières années : tous les biens meubles ou immeubles reçus par lui, situés en France ou hors de France sont imposables en France ;
  • Le bénéficiaire est domicilié hors de France : seuls les biens français qu’il reçoit sont imposables en France ; Sont considérés comme biens français tous ceux ayant une assiette matérielle ou fictive en France.

Si l'héritier est domicilié en France depuis au moins six années au regard des dix dernières années précédant le décès, la France peut dès lors imposer l'ensemble des biens situés à l'étranger.

A ce propos, il est utile de rappeler que le domicile au sens de l’article 750 ter du CGI, est défini selon les critères de l’article 4B du même code, aux termes duquel une personne est considérée comme ayant en France son domicile fiscal lorsque :

  • Elle a son foyer en France, entendu comme le lieu où la personne ou sa famille  habite normalement, c'est-à-dire du lieu de la résidence habituelle, sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles ;
  • Elle a son lieu de séjour principal en France, quelles que soient les conditions de ce séjour et où que se trouve le lieu de séjour de sa famille. En règle générale, il suffit qu'une personne ait séjourné en France plus de 183 jours au cours d'une même année pour qu'elle soit réputée avoir eu son séjour principal dans ce pays au titre de l'année en cause.
  • Elle exerce une activité professionnelle en France, salariée ou non, à moins qu'elle ne justifie que cette activité y est exercée à titre accessoire.
  • Elle a le centre de ses intérêts économiques en France, entendu comme le lieu où l'intéressé a effectué ses principaux investissements, où il possède le siège de ses affaires, d'où il administre ses biens. Ce peut être également le lieu où il a le centre de ses activités professionnelles ou d'où il tire la majeure partie de ses revenus, telle une pension de retraite.

Les droits de succession en France sont calculés sur la part nette revenant à chaque héritier ou légataire, après éventuel abattement dont bénéficient certains redevables (p.ex. 100 000€ d’abattement sur la part de chacun des ascendants et sur la part de chacun des enfants vivants ou représentés), et sur la base d’un taux variant selon le lien de parenté unissant le défunt et le bénéficiaire.

Pour une succession en ligne directe, le barème est le suivant :

Part nette taxable Tarif applicable
Jusqu’à 8 072 € 5%
8 072 € - 12 109 € 10%
12 109 € - 15 932 € 15%
15 932 € - 552 324 € 20%
552 324 € - 902 838 € 30%
902 838 € - 1 805 677 € 40%
Au-delà de 1 805 677 € 45%

 

 

 

 

 

 

Il sera souligné qu’une succession entre concubins non pacsés est soumise en France à une imposition au taux de 60%.

L’éventuelle double imposition est évitée par l'imputation de l'impôt payé à l’étranger au titre des droits de succession, sur l'impôt exigible en France.

Au Mexique, d’un autre côté, il n’existe à ce jour aucune imposition sur les successions . Le pays subit toutefois, depuis quelques années, la pression internationale exercée notamment par l’OCDE qui recommande l’implémentation d’un impôt sur les successions .

Un projet de réforme  en ce sens a d’ores et déjà été présenté au Congrès de l’Union, qui résulterait en l’imposition des successions, selon un barème dont le taux va de 10% à 30%, avec un abattement de MXN 10M, soit environ 475K€, et une exonération en faveur des personnes handicapées.

Ledit projet de réforme n’ayant pas à ce jour recueilli l’approbation du Congrès, en l’état actuel, la succession d’une personne résidant au Mexique ne fait l’objet d’aucune imposition, sous réserve des éventuels héritiers résidant en France ou des biens situés en France.

Si l’on reprend l’exemple du défunt français domicilié au Mexique, où il avait son patrimoine mobilier et immobilier ainsi que ses héritiers et légataires, sa succession sortira du champ d’application des droits de succession français et ne fera l’objet d’aucune imposition au Mexique. La solution sera différente si le défunt laisse des biens en France, ou si l’un de ses successibles a son domicile en France.

Parallèlement, le défunt mexicain domicilié en France, verra l’ensemble de sa succession imposée aux droits de succession français, peu importe le lieu de situation des biens qui la composent.

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En présence d’éléments d’extranéité comportant les pays ci-dessus étudiés, il est indispensable d’anticiper l’organisation de la transmission de son patrimoine, en conformité avec les règles juridiques et fiscales complexes de chaque pays, et tenant compte des évolutions constantes à niveau interne et international.