Depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, de nombreuses études sociologiques et psychologiques pronostiquent les conséquences de la proximité imposée par le confinement, sur les familles et plus particulièrement sur le couple. Bien qu’en début de crise certains misaient sur un phénomène de « baby-boom » comme conséquence de ce rapprochement, au fur et à mesure que les semaines défilent, l’épreuve du huit clos laisse la place aux difficultés et fatalement, à l’éclatement du couple, à l’instar de la tendance constatée en Chine où la fin du confinement s’est soldée par l’explosion de demandes de divorce et de plaintes pour violences domestiques.

Les couples de français (ou de franco-étranger) ayant choisi de se rapatrier de l’étranger et qui, au cours de leur confinement en France, réalisent qu’ils souhaitent divorcer, seront principalement confrontés à deux questions : (i) la juridiction qu’ils pourraient saisir, et (ii) la loi qui serait applicable à leur divorce.

 

  1. Sur la compétence juridictionnelle

Concernant la juridiction qui pourrait être saisie, du point de vue français, la compétence internationale est régie par le règlement dit « Bruxelles II bis[1] », qui s’applique au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, à l’exception des litiges relatifs aux obligations alimentaires et aux effets patrimoniaux du mariage. Ce règlement lie l’ensemble des Etats membres de l’UE, sauf le Danemark.

Le règlement prévoit une pluralité de chefs de compétence non hiérarchisés, selon lesquels peuvent être saisis les tribunaux de l’Etat de :

  • la résidence habituelle des époux ;
  • la dernière résidence habituelle des époux si l'un d'eux y réside encore ;
  • la résidence habituelle du défendeur ;
  • en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre époux ;
  • la résidence habituelle du demandeur s'il y réside depuis au moins un an au jour de l'introduction de la demande ;
  • la résidence habituelle du demandeur s'il y réside depuis au moins six mois au jour de l'introduction de la demande et qu'il est ressortissant de cet Etat ;
  • la nationalité commune des deux époux.

La résidence habituelle est ici comprise comme « le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts »[2]. Nous écarterons ce critère au cas d’espèce, les époux étant en principe rentrés en France, pays de nationalité d’au moins l’un d’entre eux, uniquement à l’occasion du confinement et peu important leur lieu de résidence habituelle, qui n’est par hypothèse pas la France.

L’application de ces règles a pour conséquence que, celui qui souhaite divorcer de son époux résident habituel ou ressortissant de l’UE, ne pourra l’assigner au sein de l’UE qu’en suivant les critères listés ci-dessus, lesquels, s’ils ne sont pas alternatifs, sont en revanche exclusifs : le droit interne français est écarté. Inversement, celui qui souhaite divorcer d’un époux qui n’a aucun lien avec l’UE, pourra se prévaloir des règles de droit interne.

Ainsi, un époux français confiné avec son épouse espagnole ne pourra donc se prévaloir de l’article 14 du Code Civil pour l’assigner devant le juge français, alors qu’ils résident habituellement en Espagne, à moins qu’ils ne possèdent tous deux la nationalité française[3].

Au contraire, l’épouse française ayant quitté sa résidence chinoise pour se confiner en France avec son époux chinois, pourra demander l’application des règles nationales de compétence, dès lorsqu’aucun tribunal de l'UE n'est compétent au titre des critères du règlement[4]. Son époux pourra d’ailleurs prendre les devants et l’assigner par application de l'article 15 du Code civil, qui permet aux étrangers d'assigner un Français devant les tribunaux français, à condition, en matière de divorce, qu'aucun critère de compétence du règlement susvisé ou de l'article 1070 du CPC ne soit rempli[5].

Dans l’hypothèse que nous analysons on peut considérer que, dans la mesure où les époux résident habituellement dans un pays étranger, le juge français ne sera compétent en vertu du règlement « Bruxelles II bis » que s’il s’agit d’un couple de nationaux français. Au cas contraire il conviendra d’examiner le lieu de résidence et la nationalité des époux pour déterminer la juridiction compétente pour les divorcer.

Il sera enfin souligné que les dispositions du règlement susvisé, ni d’ailleurs celles du nouveau règlement « Bruxelles II ter » qui se substituera au premier dès le 1er août 2022, n'accordent pas aux époux la faculté de choisir leur juge d'un commun accord.

La juridiction française qui se serait reconnue compétente en application des règles qui précèdent, procédera à la détermination de la loi applicable au divorce.

 

  1. Sur la loi applicable au divorce

Depuis 2012, la France applique le règlement « Rome III[6] » lequel a une portée universelle. Cela signifie qu'il a vocation à s'appliquer même si la loi désignée est celle d'un Etat étranger au règlement, et même si les époux n’ont aucun lien avec l'Union européenne. Son application en France intervient dès lors que le juge français est saisi d’une question comportant un élément d’extranéité, tel que la résidence habituelle étrangère dans l’hypothèse ici étudiée.

En application du règlement, la loi applicable au divorce[7] est en principe déterminée par le choix des époux qui peuvent, par moyen d’une convention conclue à tout moment avant la saisine du tribunal, désigner une des lois suivantes :

  • loi de l'Etat de la résidence habituelle des époux ;
  • loi de l'Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l'un d'eux y réside encore ;
  • loi de la nationalité de l'un des époux ;
  • loi de l'Etat où se trouve le tribunal saisi.

A défaut de choix par les époux, la loi applicable est déterminée en fonction des critères suivants :

  • loi de l'Etat de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine du tribunal ;
  • à défaut, loi de l'Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l'un d'eux y réside encore et si cette résidence commune n'a pas pris fin plus d'un an avant la saisine du tribunal ;
  • à défaut, loi de la nationalité commune des époux au moment de la saisine du tribunal ;
  • à défaut, loi de l'Etat où se trouve le tribunal saisi.

Cette détermination « par défaut » devrait néanmoins avoir une portée limitée dans le cas des couples rapatriés qui nous occupe. En effet, s’il s’avère que le juge français est effectivement compétent pour connaître de leur divorce, ils auront tout intérêt à choisir la loi qui leur sera applicable en s’y informant auprès d’un professionnel du droit, afin d’éviter l’application de règles qui se heurtent à l'exception d'ordre public international ou qui contreviennent de manière plus générale aux standards européens en matière de droits fondamentaux (la loi de la nationalité de l'un des époux par exemple). 

 

Quid du divorce par acte d’avocat déposé au rang des minutes d’un notaire ?

L’efficacité du règlement « Bruxelles II bis » en matière de divorce non judiciaire[8] fait l’objet de débats portant notamment sur son champ d’application matériel : le notaire n’est pas une juridiction au sens du règlement et le dépôt de la convention de divorce au rang de ses minutes ne lui donne pas qualité d’acte authentique.

Or, ledit règlement prévoyant expressément que les accords exécutoires dans l'Etat membre d'origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que les décisions[9], de nombreux divorces internationaux sans juge ont lieu en France sur ce fondement. Le notaire français a même la possibilité de délivrer le certificat prévu par le règlement « Bruxelles II bis » qui permet la circulation des décisions[10].

 

La difficulté pourrait néanmoins avoir trait à l’étendue de sa reconnaissance à l’international. D’une part les Etats qui ne connaissent pas les divorces sans juge auront du mal à établir qu’un tel accord vaut bien divorce, et d’autre part, en cas de contestation de la convention de divorce ou de demande de modification ultérieure de celle-ci (nécessairement judiciaire, la modification conventionnelle n’étant pas prévue) le juge français saisi devrait vérifier sa compétence. Le choix de cette procédure suppose donc, à minima, de vérifier qu’une juridiction française serait compétente au regard des règles du règlement Bruxelles II bis, s’il était question d’une procédure judiciaire.

Il sera enfin relevé que le nouveau Règlement Bruxelles II ter entend s'appliquer non seulement aux actes authentiques mais aussi aux accords enregistrés par une autorité publique, y compris les notaires en exercice d’une profession libérale. Ce nouveau texte devrait être en mesure de garantir à l'avenir, à l'échelle de l'UE, l'efficacité du divorce par consentement mutuel non judiciaire de droit français[11]. L’un des objectifs de la refonte dudit règlement ayant été de clarifier ses dispositions, cette précision serait de nature à conforter les couples qui choisissent le divorce sans juge, quant à son efficacité à l’international.

Au-delà des frontières européennes cependant, le statut du divorce sans juge demeure à l'heure actuelle extrêmement précaire. La prudence demeure de mise dans ce domaine.

Il est de la responsabilité des époux et surtout de leurs avocats, lorsque la situation présente un élément d'extranéité, de vérifier les règles de compétence internationale, la loi applicable et, le cas échéant, d’évaluer l’opportunité d’un divorce par acte d’avocats. 

 


[1] Règlement 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Ce règlement lie l'ensemble des Etats membres de l'UE, à l'exception du Danemark.

[2] Cass. 1e civ. 14-12-2005 n° 05-10.951 : Bull. civ. I n° 506

[3] Cass. 1e civ. 15-11-2017 n° 15-16.265 FS-PBI : SNH 11/17 inf. 9

[4] Règl. 2201/2003 du 27-11-2003 art. 6 et 7

[5] Cass. 1e civ. 25-3-2015 n° 13-26.131 :  BPAT 3/15 inf. 88

[6] Règlement 1259/2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, entré en vigueur en France le 21/06/2012, concerne actuellement 15 autres pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Portugal, Roumanie et Slovénie).

[7] A l’exclusion de l'annulation du mariage et les questions relatives à son existence, validité ou reconnaissance (qui demeurent régies par la règle de conflit de lois de source nationale), ainsi que la procédure de divorce qui relève de la loi du juge saisi, tout comme les mesures provisoires et la publicité du jugement de divorce.

[8] Divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minute d'un notaire prévu aux articles 229-1 et suivants du Code civil

[9] Règl. 2201/2003 du 27-11-2003 art. 46

[10] CPC art. 509-3

[11] L'article 2 définit l'accord susceptible de bénéficier des règles de reconnaissance et d'exécution comme « un acte qui n'est pas un acte authentique, qui a été conclu par les parties dans les matières relevant du champ d'application du règlement et qui a été enregistré par une autorité publique.