Dans un arrêt du 18 mai 2022[1], la chambre commerciale de la Cour de la Cour de cassation est venue mettre un coup d’arrêt à la protection de la résidence principale de l’entrepreneur. Confrontée à une procédure de divorce et à une liquidation judiciaire, la protection consacrée par la « loi Macron » du 06 août 2015 connaît désormais une sévère exception qui touche à la fois l’entrepreneur individuel et son conjoint.
L’article L526-1 du Code de commerce, issu de la loi n°2015-990 du 06 août 2015, dite Loi Macron, pose un principe d’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel à l’égard de ses créanciers professionnels. Il faut entendre par là les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur. Il peut s’agir d’établissements de crédit, de banques, de fournisseurs ou autres clients.
Cette disposition avait fait sensation en ce qu’elle permettait à l’entrepreneur exerçant en son nom personnel, sans l’intermédiaire d’une personne morale, de protéger ce qui représente bien souvent la majeure partie de son patrimoine personnel : sa résidence principale.
Cette thématique résonne d’autant plus à l’heure actuelle qu’un nouveau statut de l’entrepreneur individuel est désormais en vigueur[2], et qui s’attache particulièrement aux conséquences d’une activité individuelle qui périclite.
La Cour de cassation s’est prononcée sur une question qui, en pratique, n’a rien d’inédit : quid de la protection de la résidence principale de l’entrepreneur lorsque la jouissance de celle-ci est attribuée à son conjoint dans le cadre d’une procédure de divorce ?
La chambre commerciale nous apprend que, si l’entrepreneur est placé en liquidation judiciaire, l’insaisissabilité de ses droits sur sa résidence principale, bien souvent domicile de la famille, ne peut plus être garantie, dans la mesure où l’entrepreneur n’y réside plus.
En effet, l’article 255 3° et 4° du Code civil donne compétence au juge du divorce, dans le cadre des mesures provisoires, d’attribuer la jouissance du logement familial à un des époux et de constater la résidence séparée de ces derniers.
La résidence principale de l’entrepreneur individuel, au sens du Code de commerce, peut ainsi être attribuée à son conjoint dans le cadre de l’instance en divorce, l’entrepreneur devant résider ailleurs.
Dès lors, les droits de l’entrepreneur sur l’immeuble ne sont plus couverts par les dispositions de l’article L526-1 du Code de commerce. Les créanciers professionnels seront donc en droit de demander leur saisie.
Le conjoint, occupant les lieux en vertu d’une décision du Juge aux Affaires familiales, ne pourra s’y opposer.
La protection de la résidence principale de l’entrepreneur individuelle n’est pas tant attachée à l’immeuble en lui-même qu’à la personne de l’entrepreneur qui occupe les lieux.
La conséquence directe de cet arrêt consiste, paradoxalement, à la fragilisation de la situation du conjoint de l’entrepreneur individuel.
Celui-ci est directement impacté par la procédure collective, alors qu’il aurait pensé bénéficier d’une protection de son logement en vertu de l’ordonnance sur mesures provisoires prononcée par le Juge aux Affaires familiales.
La Cour de cassation rejette l’argumentation selon laquelle l'arrêt retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille au conjoint est sans effet sur les droits de l’entrepreneur sur le bien et sur son insaisissabilité légale.
Tout au contraire, l’attribution de la jouissance du domicile conjugal au conjoint, lorsqu’il s’agit également de la résidence principale de l’entrepreneur, signe la fin de l’insaisissabilité prévue par le Code de commerce.
Cet arrêt suscitera à n’en pas douter le débat, que ce soit dans le cadre du divorce, ou dans celui de la procédure collective.
[1] Cour de cassation, chambre commerciale, 18 mai 2022, pourvoi n°20-22.768 : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 mai 2022, 20-22.768, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[2] Loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.
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