Le droit de se taire ou de garder le silence est un droit qui permet à une personne mise en cause dans une procédure pénale de ne pas répondre aux questions posées.
Ce droit correspond au droit de ne pas s’auto incriminer, c'est à dire de ne pas communiquer de renseignements ou indications permettant d’établir sa propre culpabilité.
Son application en droit français est relativement récente et son domaine est en extension, à la différence du droit anglo-saxon qui consacre depuis longtemps ce droit;
L’intégration de ce droit dans le droit applicable a été longue et donne encore lieu à de nombreux recours.
Si avec la loi du 15 juin 2000 n° 2000-516, renforçant la présomption d’innocence, le droit de se taire avait été intégré dans le droit français, ce droit a été rapidement modifié.
Le droit de garder le silence, et surtout la notification de ce droit sont pourtant essentiels pour le respect de la présomption d’innocence et un procès équitable.
Quelle est l’étendue de se droit à garder le silence ?
Son application première est lors d’une garde à vue :
Aujourd’hui l’article 63-1 du Code de Procédure Pénale (dans la rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 article 63) est rédigé de la façon suivante :
« La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu au treizième alinéa :
1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l'objet ;
2° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6° de l'article 62-2 justifiant son placement en garde à vue ;
3° Du fait qu'elle bénéficie :
-du droit de faire prévenir un proche et son employeur ainsi que, si elle est de nationalité étrangère, les autorités consulaires de l'Etat dont elle est ressortissante, et, le cas échéant, de communiquer avec ces personnes, conformément à l'article 63-2 ;
-du droit d'être examinée par un médecin, conformément à l’article 63-3
-du droit d'être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3
-s'il y a lieu, du droit d'être assistée par un interprète ;
-du droit de consulter, dans les meilleurs délais et au plus tard avant l'éventuelle prolongation de la garde à vue, les documents mentionnés à l'article 63-4-1 ;
-du droit de présenter des observations au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat se prononce sur l'éventuelle prolongation de la garde à vue, tendant à ce qu'il soit mis fin à cette mesure. Si la personne n'est pas présentée devant le magistrat, elle peut faire connaître oralement ses observations dans un procès-verbal d'audition, qui est communiqué à celui-ci avant qu'il ne statue sur la prolongation de la mesure ;
-du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
Si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.
Si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.
Mention de l'information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue et émargée par la personne gardée à vue. En cas de refus d'émargement, il en est fait mention.
En application de l’article 803-6, un document énonçant ces droits est remis à la personne lors de la notification de sa garde à vue. »
Ce droit de se taire n’est apparu dans la rédaction de l’article 63-1 du Code de Procédure Pénale qu’avec la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 article 3.
Cette modification est intervenue à la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, qui a jugé inconstitutionnelles les dispositions relatives à la garde à vue et permis aux avocats d’assister les personnes.
Ce droit de garder le silence devait-il se limiter à la garde à vue ?
La réponse est négative et les dernières décisions consacrent l’extension de ce droit de garder le silence.
Dans un arrêt n°366 du 24 février 2021 n° 20686.537 de la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que ce droit doit être rappelé lors de l’audience devant le Juge des Libertés et de la Détention.
Ce magistrat est chargé de se prononcer sur une mesure de sureté pendant la durée de l’instruction ou dans l’attente d’un jugement.
Ce juge doit contrôler l’existence d’indices de participation aux faits de la personne mise en cause.
La Cour de cassation ajoute qu’en l’absence de notification de ce droit de se taire, la procédure ne serait pas nulle mais mes déclarations du mis en cause ne pourraient pas être utilisées contre lui par lors du jugement de culpabilité.
En pièce jointe l’arrêt de la Cour de Cassation n° 366 du 24 février 2021.
Depuis cet arrêt de la chambre criminelle, 3 décisions du Conseil constitutionnel sont intervenues et complètent le domaine du droit de garder le silence.
Le Conseil Constitutionnel rappelle « l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. »
Le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021 : procédure devant la JLD examine pour la première fois sur les circonstances dans lesquelles, en dehors du cadre particulier de la garde à vue, une personne mise en cause dans une affaire pénale doit être informée de son droit de se taire :
En ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit. Ces dispositions sont contraires à la Constitution.
S'agissant des effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel juge que l'abrogation immédiate des dispositions contestées, qui aurait pour effet de supprimer la possibilité pour le prévenu de présenter des observations devant le juge des libertés et de la détention avant que ce dernier ne statue sur les réquisitions du procureur de la République aux fins de détention provisoire, entraînerait des conséquences manifestement excessives. Il reporte en conséquence au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
En revanche le Conseil constitutionnel juge que, jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, le juge des libertés et de la détention doit informer le prévenu qui comparaît devant lui en application de l'article 396 du code de procédure pénale de son droit de se taire.
Deux décisions ont été rendues par le Conseil Constitutionnel le 9 avril 2021.
Décision n° 2021-895/901/902/903 QPC du 09 avril 2021 Information de la personne mise en examen du droit qu'elle a de se taire devant la chambre de l'instruction
La décision relève que la chambre de l’instruction en raison de la contestation portée devant elle est amenée à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charges contre la personne mise en examen.
La personne qui comparait devant la chambre de l’instruction, en réponse aux questions qui lui sont posées, peut reconnaître les faits qui lui sont reprochés. Or, les déclarations ou les réponses apportées par la personne mise en examen aux questions de la chambre de l'instruction sont susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement.
Le Conseil constitutionnel abroge les dispositions de l’article 199 du Code de Procédure Pénale mais à compter du 31 décembre 2021 afin de permettre la publication d’une nouvelle loi et dans cette attente la chambre de l’Instruction devra informer la personne de son droit de se taire.
Décision n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021 Information du mineur du droit qu'il a de se taire lorsqu'il est entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse
Cette décision a une grande importance et va avoir un impact sur la réforme du Code pénal de la justice des mineurs, voir article sur ce blog) qui systématise le RRSE : recueil de renseignements sociaux éducatifs.
Le Conseil constitutionnel estime que :
« L'agent compétent du service de la protection judiciaire de la jeunesse chargé de la réalisation de ce rapport a la faculté d'interroger le mineur sur les faits qui lui sont reprochés. Ce dernier peut ainsi être amené à reconnaître sa culpabilité dans le cadre du recueil de renseignements socio-éducatifs. Or, si le rapport établi à la suite de cet entretien a pour finalité principale d'éclairer le magistrat ou la juridiction compétent sur l'opportunité d'une réponse éducative, les déclarations du mineur recueillies dans ce cadre sont susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement lorsqu'elles sont consignées dans le rapport joint à la procédure.
Dès lors, en ne prévoyant pas que le mineur entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution. »
Le Conseil constitutionnel reporte les effets de cette abrogation jusqu’au 30 septembre 2021, date de l’entrée en vigueur du code Pénal de la Justice des Mineurs mais en imposant au service de la protection judiciaire de la jeunesse doit informer le mineur avec lequel il s'entretient en application de l'article 12 de l'ordonnance du 2 février 1945 de son droit de se taire.
Le commentaire publié par le Conseil constitutionnel sur cet arrêt précise que « même si l’article 12 de l’ordonnance de 1945 ne lui confère pas cette appellation, ce rapport, autrefois intitulé « enquête rapide », correspond bien au RRSE prévu par le CJPM.
Et ajoute que « le CJPM, qui entrera en vigueur le 30 septembre 2021, consacre l’appellation de RRSE et conserve en plusieurs articles le cadre qui était le sien sous l’empire de l’ordonnance de 1945. L’article L. 322-3 du CJPM le définit comme « une évaluation synthétique des éléments relatifs à la personnalité et à la situation du mineur. Il donne lieu à un rapport contenant tous renseignements utiles sur sa situation ainsi qu’une proposition éducative ou une proposition de mesures propres à favoriser son insertion sociale. / Il est ordonné par le procureur de la République, le juge d’instruction et les juridictions de jugement spécialisées ». L’article L. 322-4 du même code prévoit que, « Lorsque le procureur de la République saisit le juge des enfants, le juge d’instruction ou le tribunal pour enfants, il ordonne un recueil de renseignements socio-éducatifs. / Le recueil de renseignements socio-éducatifs est joint à la procédure ». Enfin, aux termes de l’article L. 322-5 : « Le recueil de renseignements socio-éducatifs est obligatoire avant toute réquisition ou décision de placement en détention provisoire ou de prolongation de la détention provisoire d’un mineur mis en examen ou convoqué devant une juridiction de jugement »
En conséquence on peut en déduire que lors de l’établissement du RRSE il sera nécessaire de notifier au mineur son droit de se taire.
Pour aller plus loin :
Master de droit pénal et sciences pénales Dirigé par Monsieur Yves Mayaud 2011 Quel droit au silence en procédure pénale ? Elsa Monceaux Sous la direction de Monsieur Didier Rebu
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