Dans un arrêt du 5 avril 2022, pourvoi n° 20-81.775, publié au Bulletin, la chambre Criminelle de la Cour de cassation a été amenée à examiner les nouveaux modes de communication et les pratiques en lien avec les réseaux sociaux.

Cet arrêt a été prononcé après avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation (avis du 15 décembre 2021 Cour de cassation Pourvoi n° 20-81.775).

Cette décision est intéressante.

Comme cela a déjà été le cas par le passé, l’évolution de notre société est plus rapide que l’évolution du droit.

En l’espèce l’apparition de nouvelles pratiques de communication permet d’ouvrir des brèches dans la législation du travail, sans l’enfreindre. Cette affaire illustre l'une de ces nouveautés.

De quelle pratique s’agissait-il en l'espèce ?

Une société avait pour activité de collecter puis de traiter, pour le compte de marques ou d'enseignes, des données commerciales dites de « terrain » recueillies par des particuliers à partir d’une application gratuite téléchargée sur leur téléphone.

En contrepartie ces particuliers recevaient des points cadeaux ou du numéraire après vérification du respect de la mission qui était de fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, émettre un avis ou prendre des photographies sur les supports de communication des clients, vérifier dans les magasins la présence, le prix et la visibilité des produits, les supports commerciaux ou la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la société.

Une enquête préliminaire avait conclu que ces particuliers devaient être assimilés à des salariés, la société qui a été poursuivie, ainsi que ses dirigeants pour travail dissimulé par dissimulation d'emplois salariés, par défaut de déclaration nominative préalable à l'embauche, de déclarations sociales et fiscales et de remise de bulletins de paie, en raison des missions exécutées par vingt-huit salariés ayant perçu chacun plus de 600 euros en 2015 ou 2016.

En première instance une relaxe avait été prononcée et sur appel du Parquet la Cour d'Appel avait prononcé une condamnation par la Cour d'Appel.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt sans renvoi, c'est à dire a considéré qu’il n’existait aucune infraction.

L’analyse de la chambre criminelle se fonde sur le rappel des règles applicables en droit du travail pour caractériser l’existence d’un contrat de travail.

Rappelons qu’en droit pénal les textes sont d’application stricte, ce qui signifie que seules les pratiques interdites peuvent être sanctionnées.

Il est donc normal que la chambre criminelle ait sollicité un avis de la chambre sociale afin de savoir si la pratique décrite pouvait être qualifiée de contrat de travail.

L’arrêt de la Cour d'Appel, pour condamner la société et ses dirigeants, avait estimé que :

« les missions qui leur [les particuliers] sont confiées ainsi que les consignes et directives pour les exécuter peuvent être très précises (…) la société contrôle la bonne exécution de la prestation, afin de vérifier qu'elle correspond à la commande de son client. (…) ce contrôle s'accompagne d'un pouvoir de sanction puisque si la mission est rejetée, celui qui l'a exécutée ne sera pas rémunéré et ses frais ne seront pas remboursés. (…) même si les conditions générales de la plate-forme ne le prévoient plus depuis 2014, la mauvaise exécution répétée des missions a entraîné la clôture du compte de certains utilisateurs en 2015. (…) les utilisateurs de la plate-forme exécutent une prestation de travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et qu'ainsi la qualification de contrat de travail doit être retenue »

La chambre sociale a répondu dans son avis du 15 décembre 2021 par la négative.

Sans surprise la chambre sociale a repris le critère habituel caractérisant une relation de travail, à savoir l’existence d’un lien de subordination.

Selon la chambre sociale considère que « n'exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination, le particulier qui accepte, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique gérée par une société, d'exécuter des missions consistant à lui fournir des données sur ses habitudes de consommation, à recueillir des informations ou à prendre des photographies, dans la rue ou dans des magasins, de produits ou de supports de communication de marques et d'enseignes, en contrepartie de points-cadeaux ou de quelques euros, dès lors qu'il est libre d'abandonner en cours d'exécution les missions proposées, ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l'exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l'exécution de ses directives et d'en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l'objet d'une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d'exécution non conforme. »

Suivant cet avis la Chambre criminelle a donc accueilli et le pourvoi et censuré l’arrêt d’appel.

l'avis de la chambre sociale et l'arrêt de la chambre criminelle en fichiers joints