Cette question agite la communauté des juristes depuis un certain temps avec différentes décisions contradictoires.

L’arrêt de l’assemblée plénière rendu le 7 novembre 2022 par la Cour de cassation sous le numéro de pourvoi n° 21-83.146 était très attendu.

La réponse donnée par la cour de cassation est positive.

La réponse était loin d’être évidente et la question est actuellement en cours d’examen devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans une affaire Lamin MINTEH contre la France.

Pourquoi cette question a-t-elle suscité de si nombreux débats ?

L’obligation de communiquer le code de déverrouillage de son téléphone portable invoquée par le Parquet pour poursuivre les personnes mises en cause dans une enquête pénale se fonde sur les dispositions de l’article 434-15-2 du Code Pénal.

Le texte de cet article est le suivant  « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 270 000€ d'amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 450 000 € d'amende. »

Cet article a été modifié par une loi du 05 juin 2016 relative à la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.

Cet article a été créé après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, dans le cadre de réformes destiénes à lutter contre le terrorisme.

A l’époque les téléphones portables tels que nous les connaissons n’existaient pas. Il était donc impossible que le législateur ait prévu une disposition s’appliquant à nos actuels smartphones.

Les textes de droit pénal sont d’interprétation stricte et un débat est apparu sur l’application de ce texte, même modifié, à tous les téléphones portables alors qu’initialement ce texte a été créé pour les supports informatiques cryptés ;

D’autres arguments ont été avancés, notamment le droit de ne pas s’auto-incriminer, qui se traduit par le droit de garder le silence. en communiquant le code ne s'agit-il pas d'un acte d'auto-incrimination ?

La procédure qui a donné lieu à cet arrêt de l’assemblée plénière a été longue, avec un premier arrêt de la Cour de cassation auquel la Cour d'Appel de DOUAI a résisté en relaxé le prévenu de cette infraction.

La Cour d'Appel de DOUAI, avait considéré que « le code de déverrouillage d'un smartphone n'est pas une convention secrète de chiffrement sans effectuer l'analyse des caractéristiques techniques du téléphone concerné I-phone 4 »

Le Procureur Général a formé un pourvoi contre cet arrêt et la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière a censuré cette décision.

La cour de cassation vise les articles 434-15-2 du code pénal et 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Elle motive sa décision en ces termes :

« 10. Selon le premier de ces textes, est punissable toute personne qui, ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, refuse de la remettre aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

11. Selon le second, un moyen de cryptologie s'entend de tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu'il s'agisse d'informations ou de signaux, à l'aide de conventions secrètes ou pour réaliser l'opération inverse avec ou sans convention secrète. Les moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d'assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité.

12. Pour l'application du premier de ces textes et au sens du second, une convention de déchiffrement s'entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d'une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l'occasion de son stockage ou de sa transmission. Il en résulte que le code de déverrouillage d'un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie.

13. Dès lors, il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est équipé d'un tel moyen et si son code de déverrouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu'il contient ou auxquelles il donne accès.

14. Pour confirmer la relaxe, l'arrêt retient que la clé de déverrouillage de l'écran d'accueil d'un smartphone n'est pas une convention secrète de déchiffrement, car elle n'intervient pas à l'occasion de l'émission d'un message et ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données, au sens de l'article 29 de la loi du 21 juin 2004, mais tend seulement à permettre d'accéder aux données et aux applications d'un téléphone, lesquelles peuvent être ou non cryptées.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Afin d’accéder à plus de précisions juridiques, vous trouverez en lien en dessous de cet article : le texte de l’arrêt, le communiqué de presse, le rapport du conseiller et l’avis de l’avocat général qui reprennent l’historique du texte d’incrimination.

La question de savoir si la Cour Européenne va revenir sur cette interprétation du texte se pose. A suivre donc.