Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation n°20.86-216 du 29 novembre 2022, rendu après avis de la CJUE (arrêt du 14 juillet 2022, [O] [N], C-168/21) vient préciser la nation de double incrimination.

Un mandat d’arrêt européen permet d’extrader, selon une procédure simplifiée, une personne interpellée sur le territoire d’un Etat de l’Union européenne vers un autre Etat de l’Union qui en fait la demande.

Pour le mandat d’arrêt européen puisse s’appliquer une condition concernant la double incrimination est posée.

La question à laquelle la Cour de cassation vient de répondre, après avoir sollicité interrogé par une question préjudicielle la Cour de justice de l’Union européenne, concerne l’interprétation de la notion de double incrimination.

Pour mémoire la double incrimination signifie que l’infraction doit exister dans le pays qui demande l’extradition et dans le pays sur le territoire duquel la personne a été interpellée.

En l’espèce, il s’agissait d’une demande présentée par l’Italie pour exécuter une peine prononcée, notamment pour des faits de « dévastation et pillage ».

La Cour d'Appel avait refusé la demande de l’Italie en considérant que « deux des sept agissements sous-jacents à cette infraction ne sont pas susceptibles de constituer une infraction en droit pénal français »

La Cour d'Appel avait ajouté « que la cour d'appel de Gênes et la Cour suprême de cassation italienne ayant « exprimé la volonté non équivoque » d'analyser les sept faits poursuivis sous la qualification de dévastation et pillage comme formant un ensemble indissociable, la condition de double incrimination impose d'écarter l'ensemble des faits indissociables sanctionnés sous cette qualification par l'article 419 du code pénal italien »

En résumé, la Cour d'Appel avait recherché les éléments constitutifs de l’infraction et estimé que certains de ces éléments n’existent pas dans le droit français et qu’il ne pouvait pas y avoir de double incrimination, en l’absence d’infraction équivalente dans notre droit.

Avant de se prononcer la Cour de cassation a saisi de questions préjudicielles la CJUE (cour de Justice de l’Union Européenne).

Dans son arrêt précité, la CJUE rappelle que le mandat d’arrêt européen est la pierre angulaire de la coopération judiciaire, et répond aux questions posées par la Cour de cassation.

La CJUE répond ensuite aux questions.

Question n° 1 : « Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination du fait est satisfaite dans la situation où un mandat d’arrêt européen est émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée pour des faits qui relèvent, dans l’État membre d’émission, d’une infraction nécessitant que ces faits portent atteinte à un intérêt juridique protégé dans cet État membre, lorsque de tels faits font également l’objet d’une infraction pénale au regard du droit de l’État membre d’exécution pour laquelle l’atteinte à cet intérêt juridique protégé n’est pas un élément constitutif. »

La réponse est la suivante : « afin de déterminer si la condition de la double incrimination du fait est satisfaite, il est nécessaire et suffisant que les faits qui ont donné lieu à l’émission du mandat d’arrêt européen constituent également une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution. Il s’ensuit qu’il n’est pas exigé que les infractions soient identiques dans les deux États membres concernés (voir par analogie, à propos de l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale, arrêt du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 34). » (…)

« Il en résulte que, lors de l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait, afin de déterminer s’il existe un motif de non‑exécution du mandat d’arrêt européen au titre de l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, il incombe à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier si les éléments factuels de l’infraction ayant donné lieu à l’émission de ce mandat d’arrêt européen seraient également, en tant que tels, constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution dans l’hypothèse où ils se seraient produits sur le territoire de ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 38) »

La CJUE rappelle ensuite que « les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent, en principe, refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre 2002/584 et que l’exécution de celui-ci ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision-cadre »

Et poursuit en ajoutant « une interprétation de la condition de la double incrimination du fait en ce sens que cette condition exigerait qu’il existe une correspondance parfaite entre les éléments constitutifs de l’infraction telle que qualifiée dans le droit de l’État membre d’émission et ceux de l’infraction prévue dans le droit de l’État membre d’exécution, ainsi qu’en ce qui concerne l’intérêt juridique protégé dans les droits de ces deux États membres, porterait atteinte à l’effectivité de la procédure de remise

La CJUE a ensuite regroupé les questions 2 et 3.

« Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée, dans l’État membre d’émission, pour la commission, par la personne recherchée, d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution »

La réponse apportée est la suivante : « En premier lieu, il découle de la réponse à la première question qu’il n’est pas pertinent, aux fins de l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait, que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis ont été qualifiés d’infraction unique au regard du droit de l’État membre d’émission.» (…)

« En second lieu, s’agissant du point de savoir si l’autorité judiciaire d’exécution est susceptible de trouver un motif de non-exécution du mandat d’arrêt européen dans la circonstance que seule une partie desdits faits constitue une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il est indiqué au point 43 du présent arrêt, que la condition de la double incrimination du fait compte parmi les motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, énumérés à l’article 4 de cette décision-cadre, lesquels doivent être interprétés de manière stricte, afin de limiter les cas de non‑exécution du mandat d’arrêt européen »

La CJUE adopte la position de l’avocat général selon laquelle « la circonstance que seule une partie des faits composant une infraction dans l’État membre d’émission constitue également une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution ne saurait permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen. »

La CJUE conclu « il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée, dans l’État membre d’émission, pour la commission, par la personne recherchée, d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution. »

Dans son arrêt le communiqué de presse, la Cour de cassation précise que « l’interprétation que donne la CJUE d’une règle issue du droit de l’Union européenne s’impose aux juridictions des États membres de l’UE »

C’est donc de façon logique que la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d'Appel et renvoi l’affaire devant une autre Cour d'Appel.

La cour de cassation censure l’arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d'Appel en ces termes :

« En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes sus-énoncés, pour les motifs qui suivent 

18. D'une part, l'élément factuel d'atteinte à la paix publique que la Cour d'appel de Gênes et la Cour suprême de cassation italienne ont retenu à l'encontre de M.[N] comme un élément essentiel de l'infraction de dévastation et pillage, alors même que cet élément n'est pas requis en droit français pour que les mêmes faits puissent faire l'objet d'une infraction, est dépourvu de pertinence pour apprécier l'existence d'une double incrimination.

19. D'autre part, dès lors qu'elle constatait qu'une partie des faits visés sous la qualification de dévastation et pillage constituait une infraction pénale en France, elle devait en déduire que la condition de double incrimination du fait ainsi qualifié était satisfaite.

20. Il s'ensuit qu'elle ne pouvait refuser la remise de M.[N], le caractère éventuellement disproportionné de la peine prononcée dans l'État membre d'émission ne figurant pas parmi les motifs de non-exécution obligatoire ou facultative d'un mandat d'arrêt européen, prévus aux articles 3, 4 et 4 bis de la décision cadre 2002/584/JAI.

21. La cassation est dès lors encourue. »

Dans la présentation de la décision par le communiqué de presse de la Cour de cassation est le suivant :

  • l’absence en droit français de notion « d’atteinte à la paix publique » ne fait pas obstacle à l’existence d’une double incrimination ;
  • il n’est pas nécessaire que chacun des actes auxquels s’est livré ce ressortissant italien et qui conduisent son pays à le condamner pour « dévastation et pillage » corresponde à une infraction en droit français. Peu importe que seuls certains de ces agissements puissent être incriminés en France sous la qualification de vol avec dégradation et en réunion. »

Ci-joint arrêt de la CJUE, arrêt de la cour de cassation