Le management de la production viticole est un élément tout aussi essentiel que sa qualité et sa typicité, en particulier si vous souhaitez exporter au-delà des frontières de l’Union Européenne.

C’est un sujet vaste que je vous propose de traiter en quatre billets consécutifs, cette introduction vous fera un rappel de l’évolution du vin. Elle vous démontrera toute l’importance d’une préparation minutieuse de vos circuits de distribution en dehors de nos frontières.

La loi actuelle réglant les dispositions concernant la viticulture date de 1935 et la réglementation qui a depuis lors été mise en place par l’INAO, a amélioré la qualité de la production de façon générale et augmenté la protection contre les fraudes.

Ceci concernait surtout la France.

Celle-ci a été assez rapidement imitée dans ses critères de classement AOC, par l’Italie, l’Espagne, puis par d’autres Etats membres de la CEE devenue depuis Union Européenne.

Les décennies suivant la seconde guerre mondiale ont engendré un surplus de production et incité à la production d’un vin d’une relative mauvaise qualité, et ce, pendant un temps suffisamment long pour devenir nocif pour la réputation et les pratiques de certaines régions de notre pays.

Les critères retenus de l’INAO quant au cahier des charges se sont avérés bien trop complexes pour le Nouveau Monde, dont les acteurs principaux sont aujourd’hui les deux Amériques, l’Argentine, l’Asie et l’Afrique du Sud.

Dans un premier temps les producteurs, notamment des États-Unis et du Canada, évitaient les critères complexes du Vieux continent en nommant leurs vins en fonction des seuls cépages : merlot, syrah, chardonnay et autres. Ils créaient ainsi un produit simple dont l’appellation était aisée à comprendre et une concurrence efficace par la simplicité de son positionnement et sa qualité rassurante et stable.

Bien que très consuméristes, les célèbres guides Parker participaient pleinement à l’éducation des goûts des consommateurs du Nouveau Monde. Cependant, selon certains, ces guides avaient trop tendance à ériger en dogme ses propres critères d’appréciation.

On peut, aujourd’hui, aller jusqu’à conclure que le palais du consommateur du Chablis californien n’est plus comparable à celui du Chablis bourguignon.

L’usage du cépage à titre distinctif était concomitant ou a même précédé une usurpation d’ampleur des vins français de réputation internationale, tels le Chablis, le Bourgogne (ou « Burgundy »), les Bordeaux et les Champagnes.S’en suivra ensuite les procédures judiciaires de tout bord dont vous avez certainement entendu parler.

Après la deuxième guerre mondiale, le besoin de productivité se faisait sentir, et de ce fait, la chimie et la modification génétique faisaient leur entrée dans la production viticole.

Vint ensuite le besoin d’une production de meilleure qualité mettant, dans le vieux monde, les adeptes du terroir en position difficile vis-à-vis des partisans de la technologie et des vins homogénéisés.

Depuis lors, vous avez vu se profiler « deux types » de consommateurs : ceux qui recherchent la typicité des vins et ceux qui boivent un vin de consommation courante, facile et festif,.

Les producteurs français et européens d'aujourd'hui doivent en tenir compte. Le choix ou l’ambition de vouloir produire l’un ou l’autre type de vin est de toute évidence essentielle, car il relève d’une décision stratégique selon que l’approche du marché sera française ou internationale : produire « seulement » un vin de qualité n’est plus suffisant dans un marché devenu mondial.

Rares sont ceux qui réussissent en se passant de classification – tout comme sont rares ceux qui ont le courage d’en sortir pour mieux avancer!

Rares aussi sont ceux qui n’aspirent à une médaille, à la mention dans un guide ou aux éloges d’un grand Chef en vogue. Ce sont les signaux qui doivent convaincre un marché en permanente évolution, sujet aux politiques divergentes, aux protectionnismes et aux modes souvent dictées par une poignée de critiques reconnus dans le monde entier.

Produire un vin « facile à boire » fera certainement moins concurrence aux producteurs dans le Nouveau Monde, mais la stratégie marketing des derniers, de plus en plus offensive, se fait nécessairement sentir en France. Les conventions bilatérales de reconnaissance de nos indications géographiques (IG) sont devenues monnaie d’échange avec d’autres prérogatives souvent reconnues comme plus importantes.

Et surtout : ne figurent pas sur les listes de ces conventions internationales tous les IG dont l’enregistrement est devenu effectif en Europe, loin s’en faut !

Ainsi l’indication géographique en tant que telle n’est d’aucune garantie pour les exportateurs potentiels. 

Par exportateurs potentiels, j’entends la majorité des producteurs de vins « de terroirs ». Tous ceux qui sont obligatoirement pénalisés en renonçant aux efforts nécessaires pour se développer sur un marché international de plus en plus politisé.

Pour ceux qui ne se sentiraient pas concernés, juste quelques chiffres pour bien montrer que le cours des choses a considérablement changé depuis les années 80, surtout du fait de l’inversement de quelques courbes fondamentales :

  • entre 1986 et 1990, l’Europe –la France bonne première – réalise près de 95 % des exportations mondiales en termes de volume.
  • Cependant en 2015, la part de l’Europe dans la production mondiale a baissé de plus de 10 % par rapport à l’an 2000, ne représentant aujourd’hui qu’environ 62 %, les 38 % restants sont produits aux Amériques, en Asie, en Océanie et en Afrique du Sud principalement.
  • Une trentaine de pays importe 95 % de la production mondiale aujourd’hui.

Cette concentration de la demande - qui se déplace donc de plus en plus en dehors de l’Union européenne - est un atout considérable pour les potentiels exportateurs, que vous visiez les élites avec une typicité déjà formellement reconnue en France, ou un vin festif qui trouvera facilement preneur auprès des étrangers du fait de son AOC ou d'autres signes distinctifs d’ordre « commercio-qualitatif » encore trop souvent méconnus - voir méprisés ! - dans le milieu viticole.

Dans un monde globalisé aux offres pléthoriques, les consommateurs sont multiples et changeants dans leurs goûts et leurs attentes. Tout producteur de vin apprécié par l’une ou l’autre de ces catégories de consommateurs doit cependant, dès aujourd’hui, réfléchir à la place qu’il occupera demain.

D’autant plus que l’évolution des habitudes de consommation future reste toujours une grande inconnue. Les moyens sont à la disposition de tous.

Les nouveaux dispositifs communautaires agricoles sont là pour faciliter vos initiatives lorsqu’elles visent à la fois la qualité et l’exportation.

Je reviendrai sur la gestion du développement  dans un prochain article.

*Petra CRAMER conseille les professionnels de la terre et de l’élevage en matière de développement international, les procédures de classement INAO et la protection de produits alimentaires hors UE. 

Elle est ancien membre du service juridique du Parlement européen, ancien PDG d’un GIP et membre de l’Association Internationale Droit Vigne et Vin.