Je débute mon propos avec une vieille histoire, le jambon de Parme.

Le combat mené par le consortium de producteurs et intermédiaires du commerce du jambon de Parme est une première illustration éloquente d’un simulacre d’escrime entre la propriété intellectuelle, notamment celle des marques d’une part, et les dénominations géographiques protégeant vins et autres produits de la terre et de l’élevage dans la communauté européenne, d’autre part.

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Ne devient pas  jambon de Parme n’importe quel petit cochon : il faut avoir son pedigree, ce qui commence avec une naissance dans une des fermes et régions où le produit est fabriqué.

Ses débuts sont suivis d’une vie festive pendant au moins quatre mois dans le centre-nord de l’Italie, région précisément délimitée dans le cahier des charges.

Le régime quotidien des jeunes élus est composé d’ingrédients fins, sains et caloriques avec une bonne ration de maïs, d’orge et de céréales, puis surtout une dose de petit-lait de parmesan très apprécié, qui augmente l’index de masse corporelle sans exagération et qui contribue surtout au goût si spécifique des petites cuisses bien connues sous le nom de Prosciutto di Parma.

A la fin d’un séjour d’au moins neuf mois dans des conditions plutôt confortables, puis à condition de peser au moins 160 kg et d’être en excellent état de santé, les jeunes heureux finissent à l’abattage.

Commence alors une procédure de conservation et d’affinage de la plus stricte obédience.

Je ne veux pas vous fatiguer avec les 10 stades de cette production, mais peux vous assurer d’une procédure quasiment minutée, étant le résultat de multiples décennies de recherches pour trouver le bon équilibre entre viande et graisse, entre séchage et salage, le tout à des températures rigoureusement réglées et des conditions d’humidité extrêmement précises, afin de permettre au produit de devenir ce jambon qui peut sécher éternellement sans devenir ni trop sec, ni trop humide.

Afin de protéger leur production, les quelques 25 protagonistes de la région de Parme se sont réunis dans un consortium depuis 1963.

Celui-ci regroupe tant des producteurs que des négociants et les intermédiaires dans l’objectif de protéger l’intérêt de tous.

Sous ses auspices, le gouvernement italien reconnait la dénomination géographique Prosciutto di Parma, ainsi que sa marque de fabrique, la fameuse couronne ducale.

Pendant ces efforts de protection nationale et bien avant de devenir un AOP dans la Communauté européenne, une société Canadienne répondant au nom de « PARMA FOODS » sollicita, au Canada, une protection de la marque de fabrique PARMA.

Le Trade-Marks Office Canadien, (l’équivalent de notre INPI français) refusa l’enregistrement dans un premier temps, mais Parma Foods obtient finalement gain de cause en 1971.

Un détail notable : l’exportation du jambon italien vers le Canada était alors prohibée pour des raisons sanitaires, et ce « ban » durera 19 ans.

La marque canadienne PARMA a ensuite été rachetée par la fameuse société Maple Leaf Meats en 1997.

Comme par hasard, cette même année l’importation du vrai Prosciutto di Parma sera enfin autorisée.

La petite histoire fait sourire : la production de viande commercialisée sous la marque Canadienne « PARMA» a connu plus qu’un seul incident de listériose et autres maladies virales, alors que le Parma italien se porte comme un charme depuis toujours…

Le Prosciutto di Parma est donc enfin autorisé sur le marché canadien.

Vient alors la douche froide : le jambon italien ne peut plus être exporté vers le Canada sous son nom habituel «  Jambon de Parme » du fait de l’enregistrement de la marque PARMA qui protègera la société Maple Leaf meats contre toute intrusion étrangère sur le territoire Canadien!

Je ne vous amènerai pas plus loin dans l’imbroglio juridique invraisemblable qui a suivi – et qui a duré des années – mais voulais bien faire remarquer que la problématique n’est toujours pas résolue :  dans un nombre croissant d’états qui consomment toujours plus de vins français (la France étant, en termes de valeur, toujours le premier exportateur de vin au monde)  il est aujourd’hui toujours possible de faire exclure, ou au contraire : de voir usurper, la notoriété d’une AOP européenne.

La réponse est pourtant simple et je l’ai déjà écrit sur ce blog : le dépôt de sa dénomination géographique dans le pays d’export choisi suffit pour remédier aux mauvaises surprises (pourvu que la marque ne soit pas encore enregistré pour les spiritueux dans l’état en question).

J’y reviens certainement, car le monde entier travaille sur le sujet, mais sa complexité vous promet encore de longues années d’opacité pour les AOC/AOP hors frontières européennes.

 

Petra Cramer

 

Avocat au Barreau de Montpellier

Spécialiste en pratiques commerciales

Membre de l’Association Internationale Droit Vigne et Vin

Ancien membre du Service Juridique du Parlement européen

Avocat néerlandais honoraire

Ancien Président du Directoire du G.I.P. « Droit et Média »

Lauréat du City of London Polytechnics