Commençons par deux concepts qui ne se laissent pas deviner sans avoir étudié la matière: la destination et la déscpécialisation:

I. LA NOTION DE DESTINATION de l'immeuble objet du bail commercial:

Un notaire dans le Sud-ouest, rédacteur d'un projet de bail commercial que mes clients me soumettaient début de l'année, justifiait son choix pour ce type de contrat en invoquant "la forme commerciale des parties contractantes" ainsi que "l'objet de la société commerciale de votre cliente (achat et revente)", pour en conclure : "puisque l'achat pour revendre est l'acte de commerce type (...)le choix du bail commercial est justifié".

Mais non, Cher Maître, ne faisons pas l'amalgame entre l'objet social d'une société et la destination de l'immeuble objet de son bail commercial!

 

a) La destination "implicite"

 

Si l'objet du contrat concerne un magasin dans un centre commercial, le choix du bail commercial peut être considéré comme (quasiment) implicite.

Sans vouloir être trop didactique - toute règle connait des exceptions dans ce domaine, et la matière est bien trop complexe pour oser entreprendre une leçon exhaustive - l'objet commercial d'une société présume, certes, l'existence d'un fonds de commerce, donc d'une clientèle.

Le bail commercial répond à des règles impératives pour justement protéger le commerçant d'une disparition inopinée et sans dédommagement de son "point de vente", donc (notamment) de sa clientèle. Ceci est évident pour les locaux loué dans un centre commercial.

 

b) La destination "introduite" ou autorisée par les textes

 

Mais si le local objet du bail concerne exclusivement un hangar de stockage de la marchandise, un bail commercial n'est nullement justifié, et seulement accepté dans de rares cas prévus par les textes. Ceci est par exemple le cas si l'immeuble concerne des annexes à l'activité principale, indispensable à celle-ci et loué du même propriétaire que les locaux commerciaux "points de vente".

Et il ne s'agit pas non plus de simplement "s'entendre conventionnellement" sur le choix du bail commercial. Ce choix doit correspondre à la protection recherchée par ce statut particulier, de là l'acceptation d'une exception conventionnelle pour des locaux à usage professionnelle, par exemple.

L'objet social d'une société et la destination de l'immeuble objet de son bail commercial ne doivent donc pas être confondus!

 

 

II. LA NOTION DE DESPECIALISATION

 

C'est un autre sujet, très actuel en ce moment: on observe un recours plus fréquent à la déspécialisation de l'activité commerciale autorisée dans le bail, un phénomène tout à fait explicable en temps de crise.

La déspécialisation permet au bailleur "d'élargir" l'activité exercée dans les locaux, ou de changer d'activité.

La déspécialisation est ainsi qualifiée de partielle ou plénière. La déspécialisation partielle est le droit - acquis - du locataire, de développer des activités connexes ou complémentaires dans le local objet du bail commercial. Il s'agit d'une activité qui s'ajoute à celle convenue dans le contrat.

La déspécialisation plénière concerne tout simplement une activité différente que celle prévue dans le bail commercial.

 

a) LA DESPECIALISATION PARTIELLE

Le locataire a tout intérêt d'en parler, puis de notifier ses activités complémentaires au bailleur pour récolter son accord exprès, car ce qui est connexe et complémentaire, ou non, ne suit pas nécessairement la conception personnelle qu'on puisse avoir à ce sujet: la jurisprudence nous a déjà réservé quelques surprises plutôt étonnantes en la matière.

La distinction "partielle - plénière" n'est pas seulement importante pour le locataire sur le plan de l'initiative commerciale stricto sensu (il a droit à la déspécialisation seulement partielle sans autorisation préalable du bailleur), mais également pour ses finances: cette déspécialisation restreinte ne peut justifier une augmentation du loyer qu'à partir de la première révision triennale.

Le bailleur et le locataire doivent avoir le reflexe de préserver au maximum leur flexibilité commerciale.

La déspécialisation pourrait permettre au locataire de "survivre" et de rester indéfiniment dans les lieu: si elle est partielle, le bailleur doit l'accepter, ou discuter l'aspect connexe ou complémentaire de l'activité supplémentaire proposée s'il souhaite le départ de son locataire.

 

b) La déspécialisation plénière

 

Si la déspécialisation est plénière, c'est à dire que l'activité est clairement différente de celle prévue au bail, le bailleur reste libre de refuser l'étendue de l'objet commercial à tout moment.

Si le bailleur veut augmenter la possibilité de récupérer son local, l'usage du local doit rester limité. Ainsi, "la vente de produits agricoles à l'exclusion de produits d'élevage" permet à un négociant en céréales de se diversifier en rajoutant des fruits et légumes, mais il ne pourrait de toute évidence utiliser le local loué aux fins d'y vendre des lapins et des poulets; seul le bailleur peut lui autoriser cette extension, car une telle déspécialisation demandée est clairement plénière.

Le bailleur garde sa liberté en principe, car le locataire a encore une carte importante à jouer en ces temps de crise: l'article L 145-48: il peut demander l'autorisation d'exercice d'une activité non prévue au bail si "la conjoncture économique" et "les nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution" le justifient. Si cette activité proposée reste "compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier" le bailleur aura du mal a convaincre un juge du bienfondé d'un refus, bien que la déspécialisation soit plénière.

Bien évidemment il peut poser des conditions, il aura droit a une indemnité si les dommages sont établis, mais refuser pourrait devenir difficile.

L'exemple donné ci-dessus démontre à la fois l'importance de la définition de l'activité autorisée et les limites de chaque partie : on ne décrit pas simplement ce qu'on a réellement l'intension d'y faire ou autoriser, on doit réfléchir en fonction de ses éventuels besoins futurs. Des céréales aux lapins ( je l'avoue, l'exemple a quelque chose d'anatomiques) le bailleur pourrait refuser cette déspécialisation plénière, mais s'il tient à son locataire il peut également poser des conditions, réclamer d'éventuels dédommagements et augmenter le loyer - avec effet immédiat, cette fois-ci.

Attention par ailleurs: la déspécialisation peut faire échec au plafonnement du loyer révisé.

Enfin, les règles sont précises dans ce domaine, des formalismes et délais sont à respecter, n'y aller pas "au feeling" (jamais dans ce domaine, même les professionnels du droit s'y trompent.

De l'autre côté, ne vous croyez pas systématiquement "coincé" par un bail commercial à l'objet précisément défini, si vous considérez nécessaire de changer d'activité pour "survivre" économiquement: le droit doit s'adapter aux besoins économiques - les développements récents en droit du travail sont illustratives!