Le bailleur d’un restaurateur avait assigné son locataire pour non-paiement des loyers Covid 19 des 2éme et 3éme trimestre et demandait l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial.

Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris dans une décision du 21 janvier 2021 (RG 20/557) l’a débouté de ses demandes pour les motifs suivants.

Sur la contestation portant sur le montant des loyers impayés

Les loyers dont le bailleur a réclamé le paiement aux termes du commandement du 16 juillet 2020 sont ceux du 3éme trimestre 2020, soit les loyers couvrant la période de juillet à septembre 2020, période au cours de laquelle le locataire restaurateur était ouvert mais affecté par des mesures de police administrative telles que le respect d’une distance d’un mètre entre les tables et l’interdiction d’asseoir des convives de groupes distincts à la même table, qui ne lui a pas permis d’exploiter à plein son restaurant.

Le décret 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé prévoyait en effet, pour cette période, à la charge des restaurateurs, à l’article 40 que

 “II. – Pour l’application de l’article 1er, les gérants des établissements mentionnés au I organisent l’accueil du public dans les conditions suivantes :

1° Les personnes accueillies ont une place assise ;

2° Une même table ne peut regrouper que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes ;

3° Une distance minimale d’un mètre est garantie entre les tables occupées par chaque personne ou groupe de personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique.

III. – Portent un masque de protection : 1° Le personnel des établissements ;

2° Les personnes accueillies de onze ans ou plus lors de leurs déplacements au sein de l’établissement.”

Selon l’article 1104 du Code Civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives.

Observations HSA : une adaptation des clauses du bail commercial aux circonstances exceptionnelles.

L’exception d’inexécution soulevée par le locataire restaurateur de ses obligations issues du bail doit être étudiée à la lumière de l’obligation pour le bailleur et le locataire de négocier de bonne foi les modalités d’exécution du bail commercial et ce compte tenu de la crise sanitaire.

L’exception d’inexécution ne doit pas être étudiée à la lumière du respect par le bailleur de son obligation de délivrance, qui ne fait pas dans cette affaire de doute, puisque le local était opérationnel, ouvert au public, et que l’activité prévue au bail pouvait s’y dérouler.

L’Article 1195 du code civil, applicable au bail commercial régularisé après octobre 2016, date d’entrée en vigueur de cette disposition, prévoit que :

 “Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.”

Le locataire restaurateur peut sans contestation sérieuse se prévaloir de la survenance des circonstances imprévisibles visées par ce texte, le maintien de mesures de police pendant la période de réouverture à la charge des restaurants l’ayant empêché de démarrer l’exploitation de son restaurant conformément à ses prévisions, et d’amortir ainsi le coût des lourds travaux d’aménagement du local commercial engagés début 2020.

Le juge des référés estime qu’il appartiendra au juge du fond de déterminer si le locataire restaurateur peut s’appuyer sur les dispositions de l’article 1195 du Code Civil pour lui demander une adaptation du bail commercial pendant cette période.

Il ne peut être jugé en référé, compte tenu de l’existence de ces circonstances imprévisibles et des négociations engagées entre le bailleur et le locataire, que les loyers échus pendant cette période du 3éme trimestre 2020 sont exigibles en intégralité.

Par conséquent le non-paiement des loyers échus ne peut servir de fondement à une demande d’acquisition de clause résolutoire.

L’article 14 de la loi 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire prévoit que :

 “I. – Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020- 856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence  sanitaire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’Etat dans le département en application du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du même code. Les critères d’éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative

II.- Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur  encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges  locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où  leur activité est ou était ainsi affectée.

Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.

Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite.

III.- Le II ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du code civil.

IV.- Le II s’applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I.

Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II.

En outre, les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la date mentionnée au même premier alinéa.

(…)

VII. – Le présent article s’applique à compter du 17 octobre 2020”

Le juge déduit que cette loi a pour objet d’interdire pour un temps déterminé toute mesure susceptible d’affecter la pérennité de la relation contractuelle entre bailleurs et entreprises mentionnées au I (soit celles qui sont affectées par des mesures de restriction de leur liberté de commercer) en lien avec le non-paiement ou le retard de paiement des loyers dus pendant une période définie au IV (soit les loyers échus pendant la période pendant laquelle les restrictions sont en vigueur).

Cette loi permet de laisser aux locataires commerciaux le temps de retrouver une activité “normale” pour faire face à leurs obligations dont la durée est précisée au II (la protection s’appliquant jusqu’à deux mois après la fin des mesures de restriction).

Cette loi entrée en vigueur le 17 octobre 2020 est d’application immédiate, et concerne donc les procédures en cours.

La demande introduite devant le juge des référés par le bailleur tend à faire constater que la clause résolutoire prévue au contrat est bien acquise pour non-paiement des loyers, et à lui faire prononcer les mesures pour lui permettre de mettre à exécution cette résolution contractuelle “automatique”.

Elle entre dans le champ des actions et sanctions visées par cette loi.

Les loyers du 3éme trimestre 2020 concernent une période au cours de laquelle l’activité du locataire restaurateur était affectée par une mesure de police mentionnée au I (décret du 10 juillet 2020 pris en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020)

Il importe peu que le bailleur ait fait délivrer son commandement le 16 juillet 2020 ou délivrer son assignation le 2 septembre 2020, aucune sanction ou voie d’exécution ne pouvant prospérer en l’état du droit en vigueur à l’encontre du locataire restaurant au titre des loyers susvisés, la loi prévoyant que “toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de  loyers ou charges, est réputée non écrite”, disposition qui s’applique précisément à la clause résolutoire visée par le commandement du 16 juillet 2020.

Le juge décide qu’il est sérieusement contestable que le commandement du 16 juillet 2020 ait pu produire son effet.

Le bailleur est débouté de sa demande d’acquisition de clause résolutoire du locataire restaurant.

Sur la demande de provision :

Une demande en paiement de provision au titre d’une créance non sérieusement contestable relève du pouvoir du juge des référés sans condition de l’existence d’une urgence, aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile.

Le montant de la provision allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Le bailleur réclame un solde de loyer correspondant aux impayés de loyers des 3éme et 4éme trimestres 2020.

L’examen du décompte permet d’observer que le locataire restaurateur a réglé la moitié du loyer du 3ème trimestre, la moitié du loyer du mois d’octobre 2020 et 25% des loyers des mois de novembre et décembre 2020, la taxe foncière 2020 et les charges locatives.

Le locataire restaurateur est bien fondé à invoquer les mêmes contestations que celles relatives à la validité du commandement de payer du 16 juillet 2020, s’agissant de l’exigibilité dans leur intégralité des loyers du 4éme trimestre 2020, les mesures de police administratives s’étant renforcées dès le mois d’octobre 2020 par un couvre-feu puis par une nouvelle fermeture de tous les établissements de restauration.

Le bailleur ne justifiant d’aucune créance incontestable, le juge déboute le bailleur de sa demande de provision.

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Locataire bailleur Covid loyersVirginie HEBER-SUFFRIN









Virginie HEBER-SUFFRIN
Avocate






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