La dissolution et la nouvelle composition de l’Assemblée Nationale ont fait naître beaucoup de craintes chez nos clients.
En synthèse, nous sommes interrogés sur trois grandes problématiques :
- Faut-il transférer massivement ses liquidités vers des établissements bancaires étrangers? Les banques allemandes et asiatiques semblent être privilégiées…
- Quelles sont les modalités pour ne plus être résident fiscal français et comment gérer l’exit tax? Les pays qui reviennent le plus souvent sont l’Espagne, le Portugal (mais la législation n’est pas encore stabilisée), la Grèce et l’Italie…
- Faut-il distribuer des dividendes ou procéder à des donations ou encore vendre des biens immobiliers le plus rapidement possible afin d’éviter toute éventuelle augmentation de la fiscalité ?
C’est sur cette dernière problématique qu’il convient de s’arrêter et prendre un peu de recul.
1.Bref rappel des principes sur la rétroactivité d’une loi de finances
Par principe, « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif » (article 2 du code civil).
Cependant, cette règle n’est pas absolue et le législateur peut, sous certaines conditions, y déroger.
En revanche, le législateur « ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations » (Cons. Const 19 décembre 2013 n°2013-682) ce qui renvoie aux notions de sécurité juridique et de confiance légitime.
Qu’en est-il en matière de fiscalité ?
S’agissant de l’impôt sur le revenu, le fait générateur de l’imposition est fixé au dernier jour de l’année civile de réalisation ou de mise à disposition des revenus, soit le 31 décembre de l’année.
A titre d’illustration, et à ce jour, nous ne connaissons pas le barème progressif de l’impôt applicable aux revenus de 2024. Nous le saurons lors de l’adoption de la loi de finances en fin d’année.
C’est ce que l’on appelle la « petite rétroactivité fiscale » qui est donc une rétroactivité économique (dans la mesure où la fiscalité attachée aux revenus est connue postérieurement à leur perception) mais pas juridique et ne porte donc pas atteinte aux situations légalement acquises (en ce sens en matière d’impôt sur les sociétés : Cons. Const 29 décembre 2012 n° 2012-662 §§105 et s.).
En revanche, lorsque le prélèvement effectué en cours d’année par le contribuable présente un caractère libératoire, le législateur ne peut adopter une mesure rétroactive en considérant que ce prélèvement libératoire ne serait qu’un acompte sauf motif d'intérêt général suffisant (en ce sens : Cons. Const 29 décembre 2012 n° 2012-662 §§ 36 et s.)
S’agissant de l’impôt sur les sociétés, cette petite rétroactivité fiscale s’applique également dans la mesure où l’impôt sur les sociétés s’applique aux bénéfices des exercices clos à compter du 31 décembre.
S’agissant des autres impôts, de façon générale et sous réserve de certaines impositions spécifiques, il n’y a pas de « petite rétroactivité fiscale ».
Cependant, le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas aux lois de finances qui font remonter la date de prise d’effet d’une mesure fiscale nouvelle à la date du dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale à condition de ne pas porter « aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » (Cons. Const 29 décembre 2012 n°2012-661).
2. Dividendes perçus par des particuliers
Il résulte de ce qui précède que si une loi de finances venait à être adoptée avant la fin de l’année 2024 prévoyant une modification du régime fiscal des dividendes, toutes les distributions de dividendes intervenues en 2024 devraient être concernées par cette modification.
Le fait que la société distribuant les dividendes verse dans le mois suivant la mise en paiement un prélèvement de 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu (déclaration 2777 - article 117 quater du CGI) n’y change rien dans la mesure où il s’agit d’un prélèvement forfaitaire non libératoire. D’ailleurs, les contribuables ont toujours la possibilité de renoncer au taux forfaitaire de 12,8 % pour opter pour l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu (après application d’un abattement de 40 %) lors du dépôt de leur déclaration d’impôt, l’année suivant celle de la perception des revenus.
Et pour les prélèvements sociaux ? La question est plus délicate dans la mesure où le versement des 17,2 % par la société distributrice nous semble libératoire.
Dès lors, il ne nous semble pas nécessairement opportun de réaliser des distributions massives de dividendes dans la mesure où le contribuable ne pourra pas échapper à une éventuelle modification législative d’ici la fin de l’année 2024.
De plus, une telle distribution massive pourrait entraîner deux effets pervers supplémentaires :
- En premier lieu, l’application de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (3 % à 4 %) si le revenu fiscal de référence excède certains seuils (250 000 € pour une personne seule et 500 000 € pour un couple) ;
- En second lieu, et en cas de retour de l’ISF, il est à craindre que les liquidités fraîchement distribuées entrent pleinement dans l’assiette de l’ISF alors qu’elles auraient pu éventuellement être exonérées dans l’hypothèse où l’exonération applicable aux biens professionnels applicable dans l’ancien régime ISF venait à être maintenue.
En revanche, s’agissant des dividendes versés à des associés non-résidents, la retenue à la source pratiquée est libératoire de sorte que les non-résidents ne devraient pas craindre une rétroactivité.
3. Plus-values mobilières réalisées par des particuliers
En matière de plus-values mobilières, si le fait générateur de la plus-value est bien le transfert de propriété, le fait générateur de l’imposition reste le 31 décembre de l’année de perception des revenus.
Dès lors, il est également possible qu’une loi de finances intervenant d’ici la fin de l’année modifie les règles d’imposition des plus-values mobilières.
S’agissant des prélèvements sociaux, on se souvient que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 avait augmenté de 1,7 % le montant des prélèvements sociaux les passant de 15,5 % à 17,2 % et avait rendu applicable cette augmentation aux plus-values réalisées en 2017. Le Conseil d’Etat, en refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, a validé cette « petite réoactivité » (CE 12 septembre 2019 n° 431862).
4. Plus-values immobilières réalisées par des particuliers
Une fois n’est pas coutume, les plus-values immobilières pourraient être mieux traitées que les distributions de dividendes ou les plus-values mobilières.
En effet, le paiement de l’impôt sur la plus-value immobilière est libératoire ; le fait générateur de la plus-value et de l’imposition est la date du transfert de propriété.
Dès lors, une loi de finances adoptée d’ici la fin de l’année ne devrait pas pouvoir rétroagir sur l’imposition des plus-values immobilières.
En revanche, les plus-values immobilières soumise à l’impôt sur le revenu entrent dans le calcul du revenu fiscal de référence de sorte qu’une augmentation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus pourrait impacter indirectement la fiscalité des vendeurs.
5. Droits de donation
En matière de droits de donation, le fait générateur de l’imposition est le jour de la donation de sorte qu’une loi de finances ne devrait pas avoir d’effet rétroactif.
Cependant, il est possible pour le législateur de prévoir une rétroactivité au jour de la présentation de la loi de finances à l’assemblée générale sous réserve de présenter un motif d’intérêt général suffisant.
A titre d’illustration, la loi de finances pour 2024 a modifié les règles applicables en matière de pacte Dutreil (article 787 B du CGI) et les modifications se sont appliquées aux transmissions intervenues à compter du 17 octobre 2023.
6. Impôt sur le fortune immobilière (IFI)
S’agissant de l’IFI 2024, le fait générateur est fixé au 1er janvier 2024 de sorte que la situation étant légalement acquise, une loi de finances ne devrait pas pouvoir revenir sur les règles applicables.
Cependant, il convient de rappeler que, suite à l’élection du Président François Hollande et la nomination du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, l’article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 avait créé une contribution exceptionnelle sur la fortune de 2012 s’appliquant rétroactivement sur le patrimoine au 1er janvier 2012.
Or, la Cour de cassation avait jugé que « l’acquittement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre de l’année 2012, par des contribuables auxquels l’allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n’a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu’aucun supplément d’imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année » (Cass. Com. 12 mai 2021, n° 20-14.596 et précédemment validant la rétroactivité en rejetant la violation de l’article 1 du protocole 1 de la CEDH : Com. 27 juin 2019, n° 18-13.370).
L’instauration ou le retour de l’ISF étant prévu par certains partis politiques, on ne peut donc exclure toute tentative d’instauration d’une contribution exceptionnelle qui serait rétroactive au 1er janvier 2024.
Yan Flauder
Avocat spécialisé en droit fiscal
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