Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 10 septembre 2024 (CA Lyon 10 septembre 2024, n°22/06614) relatif à la responsabilité d’un notaire et d’un expert-comptable est l’occasion de revenir sur les conséquences fiscales, autres que les droits de donation, applicables dans le cadre d’une transmission d’une entreprise individuelle sous le dispositif Dutreil.

1. Contexte et arrêt de la Cour d’appel de Lyon

a. Faits

Le donateur exerçait une activité de loueur de fonds de commerce jusqu'au 30 septembre 2011, date à laquelle il a cessé son activité.

Il a donné, à cette même date, la pleine propriété du fonds de commerce de loueur de fonds en se plaçant sous le dispositif du pacte Dutreil applicable pour les entreprises individuelles (article 787 C du CGI).

En 2013, l’administration fiscale a remis en cause le régime d'exonération des plus-values professionnelles pour la transmission à titre gratuit du fonds de commerce et de report d'imposition des plus-values d'actif sous lequel le donateur avait entendu se placer au titre de l'année 2011. Le redressement fiscal a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Lyon en 2021 (CAA Lyon, 11 février 2021, n°19LY00373).

Considérant que le notaire et l’expert-comptable avaient manqué à leur devoir de conseil et d'information, le donateur et son épouse ont engagé leur responsabilité.

b. Arrêt

La Cour d’appel de Lyon, confirmant le jugement de première instance, exclut toute responsabilité du notaire et de l’expert-comptable.

Elle indique que les époux avaient entretenu un certain flou sur les objectifs assignés à l’acte de donation-partage et les avantages fiscaux qui leur auraient été présentés par l'expert-comptable et le notaire.

L’objectif premier de la donation étant de bénéficier du dispositif Dutreil permettant une exonération en base de 75 % pour le calcul des droits de donation, le notaire et l’expert-comptable n’ont commis aucune faute, étant précisé que l’administration fiscale a confirmé le bénéfice de l’exonération des droits de donation.

Aucune faute ne pouvait être imputée au notaire et à l’expert-comptable sur le terrain du pacte Dutreil qui avait été validé par l’administration fiscale.

Quant au bénéfice de l’exonération des plus-values professionnelles, la Cour d’appel relève que les époux n’ont versé aux débats aucun justificatif confirmant que les deux professionnels leur auraient laissé espérer le bénéfice de ce régime.

Ainsi, la motivation principale des époux étant de bénéficier du dispositif Dutreil, ce qui fut le cas, la Cour d’appel a jugé que les professionnels ne pouvaient être tenus pour responsable d’une faute en matière d’imposition directe.

2. Transmission d’une entreprise individuelle et problématiques juridiques et fiscales

Au-delà de la question de la responsabilité des professionnels intervenant dans le cadre de la mise en place du dispositif Dutreil, l’arrêt permet de rappeler que la mise en place d’une donation d’une entreprise individuelle sous le bénéfice du pacte Dutreil est susceptible de présenter d’autres difficultés juridiques et fiscales qu’il convient d’anticiper et d’appréhender.

Nous en listons ci-après quelques-unes.

a. Entreprise individuelle soumise à l’impôt sur le revenu

La donation d’une entreprise individuelle est un fait générateur d’imposition des plus-values professionnelles (article 39 duodecies du CGI).

Cependant, certains régimes de faveur sont susceptibles de s’appliquer.

A titre d’illustration, l’article 41 du CGI prévoit un mécanisme de report d’imposition des plus-values professionnelles, puis d’effacement si l’enfant-donataire conserve les éléments d’actif durant 5 ans.

Ce mécanisme étant optionnel, il convient de respecter un certain nombre de formalités fiscales qui n’avaient manifestement pas été réalisées dans l’arrêt commenté et c’est ce que semblait reprocher l’administration fiscale aux contribuables.

Historiquement, l’administration fiscale n’admettait pas l’application du dispositif de report d’imposition de l’article 41 du CGI aux locations de fonds de commerce (en ce sens : RM Bobe n° 46957, JO AN du 29 mars 2005 p. 3265), ce qui justifie, peut-être, que le notaire et l’expert-comptable n’aient pas recommandé une telle option.

Depuis le 11 décembre 2024, l’administration reconnait, enfin, que la circonstance que l’entreprise individuelle ainsi transmise ait été donnée en location-gérance préalablement à la transmission ne fait pas obstacle à l’application du dispositif de report d’imposition de l’article 41 du CGI (BOI-BIC-PVMV-40-20-10 § 230).

On relèvera que l’administration fiscale refusait également l’application du dispositif Dutreil aux locations-gérance de fonds de commerce (RM Giro n°85780, JO AN du 15 Août 2006 p. 8563) étant précisé que cette position a été légèrement assouplie en date du 30 mai 2024 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 § 15).

b. Entreprise individuelle soumise à l’impôt sur les sociétés

D’un point de vue fiscal, depuis la loi n°2022-172 du 14 février 2022, l’entrepreneur individuel peut opter pour son assimilation à une EURL (ou EARL s’il s’agit d’une activité agricole) dont il serait l’associé unique aux fins d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés (article 1655 sexies du CGI).

La question se pose néanmoins de déterminer si la cession de l’entreprise individuelle peut être assimilée à une cession de parts sociales.

Si cette solution est retenue en matière de droits d’enregistrement (article 726 du CGI), elle est moins évidente s’agissant de l’imposition des plus-values.

En effet, de deux choses l’une :

  • soit la cession de l’entreprise individuelle est assimilée à une cession de parts sociales (solution qui semble être privilégiée), et alors la cession est soumise à la flat tax ;
  • soit la cession de l’entreprise individuelle est assimilée à une cession des actifs alors taxable, a priori, à l’impôt sur les sociétés.

La question se pose également en matière de transmission à titre gratuit :

  • soit la donation de l’entreprise individuelle est assimilée à une cession de parts sociales et elle ne devrait pas générer de plus-value imposable (la donation devrait alors « purger » la plus-value) ;
  • soit la donation de l’entreprise individuelle est assimilée à une cession des actifs et elle devrait entraîner l’imposition des plus-values.

c. Articulation entre les règles juridiques de l’entrepreneur individuel et les règles fiscales du pacte Dutreil

La loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a instauré le régime juridique de l’entreprise individuelle (remplaçant ainsi l’EIRL) permettant la constitution d’un patrimoine professionnel distinct du patrimoine personnel.

L’objectif du législateur était notamment de favoriser la transmission du patrimoine professionnel et l’apport de ce patrimoine en société.

Cependant, la conciliation entre ces nouvelles règles juridiques et les règles fiscales du dispositif Dutreil applicables aux transmissions des entreprises individuelles est susceptible de poser des difficultés rédactionnelles et il convient d’adopter des réflexes différents selon que l’on se situe dans le cadre d’une cession ou d'une transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle.

En premier lieu, le transfert universel du patrimoine professionnel à titre gratuit ne vise, selon les dispositions du code de commerce, que les transmissions « entre vifs », c’est-à-dire notamment les donations (article L. 526-27 al. 1 du Code de commerce). A contrario, le décès emporte réunion du patrimoine personnel et professionnel (article L. 526-22 al. 9 du Code de commerce) de sorte que le patrimoine professionnel ne peut pas faire l’objet de legs ni d’une transmission par succession.

Le dispositif Dutreil propre aux entreprises individuelles s’applique, quant à lui, tant pour les donations que pour les successions de sorte que les formalités juridiques et la rédaction des actes seront tout à fait différentes.

En deuxième lieu, d'une point de vue juridique, le transfert doit porter sur l'intégralité du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé (article L. 526-30, 1° du Code de commerce). Dès lors se pose la question de savoir si une donation indivise, une donation-partage ou une donation en démembrement de propriété de l’entreprise individuelle emporte transfert universel du patrimoine professionnel au sens juridique.

Au contraire, le dispositif Dutreil applicable aux entreprises individuelles s’applique aux transmissions de la totalité ou d’une quote-part indivise de l’entreprise ce qui est alors susceptible de poser des difficultés tant sur la rédaction de l’acte que sur les conséquences à en tirer en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés.

En troisième lieu, la composition du patrimoine de l’entreprise individuelle au sens du Code de commerce est différente de celle du patrimoine susceptible de bénéficier de l’exonération Dutreil.

En effet, selon l’article L. 526-22 al. 3 du Code de commerce, les biens composant le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel sont ceux utiles (et non simplement nécessaires) à l'activité professionnelle en raison de leur nature, destination ou fonction. Cette notion d’utilité peut être extrêmement large quand bien même il existe une présomption simple liée à la comptabilité.

D’un point de vue comptable, le principe est celui de l’inscription du bien à l’actif de l’entreprise individuelle (théorie du bilan – au moins en matière de bénéfices industriels et commerciaux).

D’un point de vue fiscal (dispositif Dutreil), le principe est celui de l’affectation du bien considéré à l’exploitation de l’entreprise individuelle.

Ainsi, un bien inscrit à l’actif du bilan ne bénéficie pas nécessairement du dispositif Dutreil mais un bien ne figurant pas à l’actif du bilan pourrait bénéficier du dispositif Dutreil.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur la portée et la frontière entre le critère de l’utilité retenu par le Code de commerce et celui de l’affectation retenu par le Code général des impôts.

Il est donc indispensable de réaliser une analyse approfondie au cas par cas.

En quatrième lieu, dans le cadre d’une donation, le transfert universel du patrimoine professionnel devrait porter notamment sur les dettes étant précisé que la rédaction du Code de commerce est ambiguë de sorte que l’on peut s’interroger sur les formalités à réaliser si des dettes existent dans le patrimoine professionnel.

S’agissant du dispositif Dutreil, le passif afférent aux biens de l’entreprise individuelle n’est pas pris en compte pour déterminer la base imposable aux droits de donation.

Il est néanmoins possible de mettre à la charge du donataire ces dettes réduisant ainsi la base susceptible de bénéficier de l’exonération Dutreil sous réserve néanmoins de notifier ce transfert de dette au créancier (article 796 bis du CGI).

Il convient donc d’être particulièrement vigilant quant à la rédaction de la donation.

 

En conclusion, on ne peut que constater que la transmission d’une entreprise individuelle sous le bénéfice du dispositif Dutreil pose autant, si ce n’est plus, de difficultés que les transmissions de titres de sociétés.

 

Yan Flauder

Avocat spécialisé en droit fiscal

Barreau de Toulouse

www.flauder-avocat-toulouse.fr