Par arrêt du 21 mars 2018, la Cour de cassation a rappelé le revirement de jurisprudence opéré en 2017.

Conformément aux dispositions de l'article L.442-6 du code de commerce, le contentieux des pratiques restrictives de concurrence est confié à un nombre restreint de juridictions spécialisées, dont le siège et le ressort sont fixés par décret. L’article D.442-3 du code de commerce, issu du décret du 11 novembre 2009, énumère les juridictions de première instance compétentes et attribue compétence unique à la cour d’appel de Paris en cas d'appel.

Jusqu’en 2017, la Cour de cassation était constante quant à l'appel ou le contredit formé devant une cour d’appel autre que celle de Paris: il était « sanctionné par une fin de non-recevoir, de sorte qu'[était] irrecevable l'appel (ou le contredit) formé devant une autre cour d'appel » (Com., 24 sept. 2013, n° 12-21.089, Bull. civ. IV, n° 138). Cette solution était appliquée uniformément ; même lorsque la décision avait été rendue par une juridiction non spécialement désignée par l'article D.442-3 du code de commerce.

En 2017, par trois arrêts, la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence en distinguant deux situations (Com., 29 mars 2017, n° 15-17659 ; Com., 29 mars 2017, n° 15-24241 ; Com., 26 avril 2017, n° 15-26780) :

  • en cas de recours formé contre une décision rendue par une juridiction du premier degré spécialement désignée par l’article D.442-3, la cour d’appel de Paris conserve son pouvoir juridictionnel exclusif ;

  • les autres cours d’appel sont compétentes pour connaître de tous les recours formés contre une décision émanant d'une juridiction située dans leur ressort qui n'est pas spécialement désignée (par l’article D.442-3 du code de commerce). Dans cette hypothèse, si ladite juridiction a statué à tort sur l’application de l’article L.442-6 dudit code, la cour d’appel saisie devra relever d’office l’excès de pouvoir commis. En toute logique, cette juridiction non spécialisée ne peut statuer sur de telles demandes, lesquelles ne relèvent pas de son pouvoir juridictionnel et, par voie de conséquence, sont entachées d'irrecevabilité (laquelle doit être relevée par la cour saisie à tort).

Ainsi, cette nouvelle position de la Cour de cassation en 2017 permettait d’annuler la décision entachée d’excès de pouvoir.

La Chambre commerciale a profité du premier jour du Printemps 2018 pour définir la portée du revirement de jurisprudence ainsi opéré. Dans les faits, une société avait saisi à tort un tribunal non spécialement compétent puis avait interjeté appel devant la cour d’appel de Paris. Cette dernière, appliquant la solution antérieure aux trois arrêts de 2017 susvisés, avait jugé l’appelante recevable en son appel. La Cour de cassation approuve cette modulation des effets du revirement de jurisprudence opéré en 2017.

Selon la Cour de cassation, l'application à l'instance de la règle issue du revirement de jurisprudence (les trois arrêts de 2017), qui conduirait à retenir l'irrecevabilité de l'appel formé devant la cour d'appel de Paris lorsqu'il est dirigé contre un jugement rendu par une juridiction qui n'a pas été investie du pouvoir de statuer sur le litige en cause, doit être écartée en ce qu'elle aboutirait à priver l'appelant, qui ne pouvait ni connaître ni prévoir, à la date à laquelle il a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de cette cour d'appel, d'un procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. N'encourt donc pas la censure, l'arrêt qui retient la recevabilité de l'appel conformément à l'interprétation qui était faite de la loi à la date à laquelle il a été formé.

Com., 21 mars 2018, n° 16-28.412 (Rejet), publié au Bulletin

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