La loi n° 2012-325 du 7 mars 2012 a consacré un principe général de prise en charge, par les Fédérations (inter)départementales des Chasseurs, des mesures de prévention des dégâts causés par le grand gibier.

L’article L.426-5 du Code de l’environnement dispose notamment à ce titre que, par principe, la Fédération départementale des Chasseurs prend à sa charge les dépenses liées à l'indemnisation et à la prévention des dégâts de grand gibier.

Mais aucune disposition ne prévoit un droit à la prise en charge par ces fédérations du coût de mesures de prévention de dommages susceptibles d'affecter l’exploitation d’un agriculteur. 

Dans un arrêt du 25 mai 2022 (n°20-16.476), la Cour de cassation a récemment eu l’opportunité de statuer sur cette question, lui permettant ainsi d’opérer une distinction claire entre les obligations de prévention et de réparation des dégâts commis par le grand gibier.

 

1. Rappel des faits et de la procédure


 

Le litige opposait la fédération départementale de chasse de la Mayenne (FDC 53) à un couple d’exploitants agricoles.

Les agriculteurs avaient bénéficié de travaux de clôture de protection, financés par la FDC 53.

Ces derniers estimaient toutefois que ces équipements n’étaient pas suffisants, de sorte qu’ils avaient engagés une action afin d’obtenir la condamnation de ladite fédération à prendre en charge des travaux complémentaires, qui avaient été préconisés par un expert judiciaire.

Par un jugement rendu le rendu le 26 juin 2017, le tribunal de grande instance de LAVAL avait :

  • Condamné la Fédération départementale des chasseurs de la Mayenne à prendre à sa charge financièrement les travaux préconisés par M. B., expert, étant précisé que M. T. devait fournir les piquets et exécuter la pose ;  
  • Dit que la Fédération départementale des chasseurs de la Mayenne devra rembourser sur justification du travail réalisé le montant des factures acquittées par M. T. dans le délai de deux mois à compter de la présentation des factures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sauf contestation qui sera alors soumise au juge de l'exécution.

 

Ensuite de l’appel interjeté, et par arrêt rendu en date du 25 février 2020 (n° n° 17/01721) la Cour d’appel d’ANGERS a :

  • Confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant précisé que M. T. fournira les piquets et exécutera la pose ;

Statuant à nouveau du chef infirmé ;

  • Dit que la fourniture des piquets et le coût de la pose des clôtures seront pris en charge financièrement par l'association Fédération départementale des chasseurs de la Mayenne (…).

Statuant sur le pourvoi interjeté à l’encontre de cet arrêt, la Cour de cassation a (à notre sens, logiquement) considéré que la Cour d’appel, en confirmant le jugement de première instance, a commis une erreur de droit en appliquant conjointement deux dispositions du Code de l’environnement.

 

2. Analyse de l’arrêt


 

Dans cet arrêt, la Haute juridiction a considéré qu’en condamnant la fédération départementale des Chasseurs à financer la mise en place d'une clôture préventive sur le terrain d'un exploitant agricole, la Cour d'appel avait violé les dispositions des articles L. 426-1 et L. 426-5 du Code de l'environnement, dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-325 du 7 mars 2012, applicable au litige.

 

  • En effet, il convient d'abord de rappeler que l’article L.426-1 du Code de l’environnement dispose expressément : « en cas de dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles soit par les sangliers, soit par les autres espèces de grand gibier soumises à plan de chasse, l'exploitant qui a subi un dommage nécessitant une remise en état, une remise en place des filets de récolte ou entraînant un préjudice de perte de récolte peut réclamer une indemnisation sur la base de barèmes départementaux à la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs ».

Autrement dit, il existe aujourd'hui un mécanisme de responsabilité objective des fédérations selon lequel elles doivent réparer les dommages causés aux cultures et aux récoltes par le grand gibier : ces indemnités sont acquises aux exploitants sans qu’ils n’aient à rapporter la preuve d’une faute (à charge pour ladite fédération d'exercer le cas échéant son action subrogatoire à l'encontre du responsable, sur le fondement des dispositions de l'article L.426-4 du Code de l'environnement. Voir en ce sens: CA Orléans, 08 décembre 2021, n° 21/00317).

A ce titre, l’on rappellera que la constitutionnalité du dispositif datant de 1968 a récemment été confirmée par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2021-963 QPC du 20 janvier 2022, dans un contexte de risque de cessation des paiements des fédérations de Chasseurs lié à l’explosion des dégâts de gibier du fait la prolifération des populations de sangliers…

 

  • Ensuite, l’article L. 426-5 du Code de l’environnement consacre, quant à lui, un principe général de financement des mesures de prévention des dégâts de grand gibier par les fédérations de chasseurs.

L’article dispose expressément en son alinéa 4 : « La fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs prend à sa charge les dépenses liées à l'indemnisation et à la prévention des dégâts de grand gibier. »

Ainsi, à la lecture combinée de ces dispositions, la Cour de cassation a pu juger que le régime de responsabilité objective des fédérations (indemnisation sans avoir à prouver une faute) ne doit pas être étendu à l’hypothèse d’une insuffisance des mesures de prévention.

En effet, il ne ressort de ces dispositions aucun droit pour les exploitants agricoles, à la prise en charge financière des mesures de prévention.

 

En conséquence, au cas d'espèce, le fait que les exploitants aient démontré - grâce à une expertise judiciaire - la nécessité d’une nouvelle action de prévention, ne suffit pas à obtenir le financement d’une clôture de protection plus « performante » : encore eût-il fallu démontrer la faute de la FDC 53 dans la mise en œuvre de son obligation de prévention. Tel n'était pas le cas.

Ainsi, en condamnant une fédération à prendre en charge le coût des travaux de clôture préconisés par un expert pour une parcelle dont les cultures ou récoltes avaient été affectées à plusieurs reprises par des dégâts causés par des sangliers, au motif que l'article L. 426-5 du Code de l’environnement ne peut qu'être interprété comme instaurant l'obligation de financer les travaux de prévention nécessaires, de sorte qu'il appartient seulement à l'exploitant de démontrer la nécessité d'une action de prévention des dégâts causés par le grand gibier, la Cour d’appel a commis une erreur de droit.

 

Cette décision de la haute juridiction nous apparaît de bon sens en ce qu’elle refuse d’étendre le champ d’application d’une responsabilité automatique, donc dérogatoire au droit commun, et de bon sens en ce qu’elle intervient dans un contexte d’inquiétude des fédérations liée aux conséquences financières de leurs missions.