Est-il possible d'utiliser des écoutes téléphoniques autorisées dans le cadre d'une enquête pénale pour caractériser une infraction dans une enquête distincte, en droit de la concurrence ?

La CEDH a décidé qu'il n'y avait pas de violation de l'article 8 dans un tel cas, en prenant motif surtout de la légitimité de l'autorisation initiale, dans trois arrêts du 16 mai 2023 : Ships Waste Oil Collector B.V. c. Pays-Bas, Janssen de Jong Groep B.V. et autres c. Pays-Bas et Burando Holding B.V. et Port Invest c. Pays-Bas.

Sur les 7 juges, 3 étaient en désaccord et signent une opinion dissidente commune intéressante.

Décisions de la CEDH

Contexte et faits :

L'affaire concerne plusieurs sociétés actives dans la construction et la collecte de déchets liquides provenant de navires dans la région portuaire de Rotterdam. Les données obtenues par écoutes téléphoniques dans le cadre d'enquêtes criminelles ont été transmises par le parquet aux autorités de concurrence néerlandaises, qui les ont utilisées pour enquêter sur la fixation des prix par les sociétés concernées. Sur la base des résultats de cette enquête, les sociétés ont été condamnées à des amendes pour violation de la loi sur la concurrence. Elles ont contesté cette décision devant les tribunaux administratifs.

 

Analyse juridique :

La CEDH a examiné si la transmission de données téléphoniques obtenues par écoutes téléphoniques constituait une ingérence dans le droit des sociétés requérantes au respect de leur vie privée, de leur domicile et de leur correspondance, conformément à l'article 8 de la CEDH. La Cour a conclu qu'il y avait eu une ingérence, mais que celle-ci était conforme à la loi, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.

La Cour a estimé que la transmission des données était conforme à la loi néerlandaise et répondait à l'exigence de prévisibilité. Elle a également noté que la notification préalable aurait compromis les enquêtes criminelles en cours ainsi que l'enquête des autorités de concurrence. Par conséquent, la transmission devait se faire sans la connaissance préalable des sociétés requérantes. La Cour a également examiné si le cadre juridique national fixait des limites claires et des conditions pour la transmission des données et si les autorités compétentes avaient exercé leur pouvoir de transmission de manière adéquate.

La Cour a conclu que le cadre juridique national offrait aux sociétés requérantes une indication adéquate sur les circonstances et les conditions dans lesquelles le parquet était autorisé à transmettre les données litigieuses. Elle a également souligné la nécessité d'une coordination entre les autorités de concurrence et le parquet pour identifier les données pertinentes dans l'intérêt général impérieux requis par la loi. La Cour a conclu qu'il n'y avait aucune indication selon laquelle d'autres personnes que le parquet étaient responsables de la sélection des données auxquelles les autorités de concurrence

Opinions dissidentes

Les juges dissidents estiment que le droit des entreprises requérantes au respect de leurs correspondances a été violé en raison de certaines lacunes structurelles dans le cadre juridique national, combinées à un manque de garanties suffisantes et de raisonnements adéquats fournis par les autorités nationales dans les circonstances spécifiques de cette affaire.

Les juges dissidents soulèvent plusieurs questions sérieuses et nouvelles quant à l'interprétation de l'article 8 de la CEDH.

Ils estiment qu'il faut un développement jurisprudentiel supplémentaire et font référence aux objections déjà soulevées par le juge Koskelo dans l'affaire Adomaitis c. Lituanie du 18 janvier 2022 pour souligner les différences de jurisprudence appliquées à des questions similaires.

Les juges dissidents estiment que l'article 8, dans un contexte de surveillance secrète, requiert des garanties similaires qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales .

Ils pensent ainsi que la transmission ultérieure et le traitement des données obtenues par surveillance secrète à des fins d'enquête administrative, distincte et sans lien avec l'enquête criminelle originale, constituent une ingérence sérieuse dans les droits protégés par l'article 8 et souhaitent que de solides garanties accompagnent de telles transmissions pour éviter tout abus et respecter les conditions strictes de l'autorisation de la surveillance secrète.

Ils soulignent l'importance d'un contrôle indépendant préalable à la transmission des données et du respect des principes de limitation des finalités et de minimisation des données.

Les juges dissidents critiquent également le système juridique néerlandais et soulignent le pouvoir discrétionnaire du Parquet de décider de la transmission des données obtenues par cette surveillance à d'autres autorités publiques, sans qu'aucun contrôle indépendant ne soit exercé à ce stade. Cette absence de contrôle préalable constituerait une lacune significative dans le cadre juridique national, qui pèse lourdement dans leur conclusion selon laquelle il y a eu violation de l'article 8.

Les juges dissidents estiment que les autorités nationales n'ont pas fourni suffisamment de raisons pour démontrer la nécessité d'une ingérence dans une société démocratique dans le respect de l'article 8.

 

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