L'un des combats que la CEDH mène tout particulièrement sur ce premier semestre, est dirigé contre l'absence de reconnaissance et de protection juridiques des couples homosexuels, au titre des garanties de l'article 8 de la Convention (droit à la vie familiale).

Tout est parti de l'arrêt de Grande Chambre, Fedotova et autres c. Russie du 17 janvier 2023.

Dans cet arrêt de principe la CEDH a d'abord pris acte de la tendance nette et continue en faveur de la reconnaissance et de la protection juridiques des couples de même sexe, observée au sein des États parties, qui est consolidée par les positions convergentes de plusieurs organes internationaux et du Conseil de l’Europe qui ont souligné la nécessité d’assurer la reconnaissance et la protection juridiques des couples de même sexe au sein des États membres.

Dans cette affaire, la CEDH a observé que les requérants avaient entrepris des démarches devant les autorités russes pour d’obtenir la reconnaissance légale de leur couple et avaient échoué puisque le droit russe, sans grande surprise, ne le permet pas.
 
La Cour a rappelé qu'elle comprenait qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux du groupe mais que la démocratie ne pouvait pas se résumer à assurer la suprématie de l’opinion d’une majorité mais qu'elle commandait plutôt de trouver un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante.
 
La Cour a donc écarté l’argument du Gouvernement selon lequel la majorité des Russes
désapprouveraient l’homosexualité, parce qu'elle considère qu’il serait incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention qu’un groupe minoritaire ne puisse exercer ses droits qu’à la condition que la majorité l’accepte.
 
L’attitude prétendument négative sinon hostile de la majorité hétérosexuelle en Russie ne peut donc pas constituer un argument permettant, au titre de prétendre que l’intérêt général prévaudrait en l'espèce sur l’intérêt des requérants à obtenir une reconnaissance et une
protection juridiques adéquates de leurs couples.
 
En décidant du contraire, l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation et a manqué à son obligation positive de garantir le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale.
 
Cet arrêt était assorti de 4 opinions dissidentes, des juges qui ont voté contre la reconnaissance d'une violation du droit à la vie familiale en l'espèce.

Cela s'est poursuivi dans l'arrêt Buhuceanu et autres c. Roumanie du 23 mai 2023

Dans cet arrêt, la Cour s'appuye directement sur l'arrêt de Grande Chambre Fedotova et autres c. Russie pour énoncer que que les États membres sont tenus de fournir un cadre juridique permettant une reconnaissance et une protection adéquates de la relation qui unit les couples homosexuels.

La CEDH note ensuite qu'en droit roumain, seule une forme d'union familiale, le mariage hétérosexuel, est légalement reconnue.

La Cour en déduit que les requérants, qui n'ont pas pu accéder aux droits sociaux et civils reconnus par la loi aux couples mariés et rejette l’argument selon lequel de tels droits pourraient être assurés au moyen d’accords contractuels privés.

Enfin, la Cour répète les attitudes négatives, réelles ou prétendues, de la part de la majorité hétérosexuelle ne peuvent pas primer sur les intérêts des requérants à voir leurs relations reconnues, et que permettre la reconnaissance des unions homosexuelles ne porterait pas atteinte à l'institution du mariage.

 

La CEDH poursuit cette jurisprudence avec un arrêt Maymulakhin et Markiv c. Ukraine, du 1er juin 2023.

Dans cet arrêt, cette fois-ci pris à l'unimité, la Cour appuye plus fortement sur l'élément discriminatoire, qu'elle n'avait pas esimté utile de souligner jusque-là, sans doute pour renforcer son argumentaire.

La Cour note d'abord que le droit ukrainiant reconnaissait deux types de relations pour les couples hétérosexuels le mariage et l’union familiale (qui consiste pour un homme et une femme à vivre en famille sans être mariés), les couples homosexuels se voyant refuser ces deux possibilités.
 
La Cour en déduit que les couples de même sexe étaient privés de toute possibilité d’encadrer des éléments fondamentaux de leur vie de couple, à l’exception de certains aspects patrimoniaux, et ce seulement en qualité de particuliers passant des contrats de droit commun, ce que la Cour ne juge pas assimilable à la reconnaissance et la protection requises pour un couple car elle a une portée limitée et ne garantit pas les droits fondamentaux.
 
Il s’ensuit que les requérants se sont vu traités différemment des couples hétérosexuels, dès lors que relation ne bénéficiait d’aucune reconnaissance et protection juridiques, cette différence de traitement étant basée ce sur le seul fondement de leur orientation sexuelle.
 
La Cour admet que l’Ukraine était libre de restreindre l’accès au mariage aux seuls couples hétérosexuels mais elle rappelle que, lorsqu’une différence de traitement est fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, la latitude dont jouit l’État pour ce genre de mesure (la « marge d’appréciation ») est étroite.
 
Or, la Cour estime que le Gouvernement n’a avancé aucune raison convaincante et sérieuse, pour permettre de penser qu'il a fait un usage responsable de cette marge d'appréciation en excluant purement et simplement les couples homosexuels de tout régime juridique en Ukraine.
 
La Cour rappelle notamment que rien ne permet de dire que l’octroi d’une reconnaissance et d’une protection juridiques aux couples de même sexe dans une relation stable et solide pourrait en lui-même nuire aux familles constituées de manière traditionnelle ou compromettre leur avenir ou leur intégrité, de sorte que le but vaguement évoqué de la protection de la famille traditionnelle ne saurait être retenu, en lui-même, comme un motif valable justifiant le refus de toute reconnaissance et protection juridiques des couples de même sexe.
 
La Cour en conclut donc que la différence de traitement en l’espèce, qui consistait à refuser de manière injustifiée aux requérants, en tant que couple homosexuel, toute forme de reconnaissance et de protection juridiques par rapport aux couples hétérosexuels, s’analysait en une discrimination visant les requérants fondée sur leur orientation sexuelle, réalisant une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.

 

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