Qu'est-ce qu'une discrimination ? Vaste question.

En dernière analyse, une discrimination c'est une différenciation interdite. Ce qui veut dire que toute distinction, toute différence de traitement, toute divergence de droit ou statut est susceptible de constituer une discrimination.

Il suffit de trouver le législateur ou le juge qui le décidera.

Dans sa décision dans l'affaire X et autres c. Irlande du 22 juin 2023, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, à l'unanimité, qu'il n'était pas discriminatoire de réserver des allocations familliales au respect de certains critères, notamment à la condition de résidence légale dans l'État en cause. 

Cela peut sembler évident, mais la Cour s'est sentie obligée d'accepter la requête et de trancher la question, malgré plusieurs obstacles procéduraux qui auraient pu en motiver l'irrecevabilité, car "un certain nombre de requêtes similaires sont actuellement pendantes devant la Cour, dans l'attente de la résolution de la présente affaire".

De quoi s'agissait-il ? Des conditions d'attribuation des allocations familliales en Irlande

En Irlande, les allocations familiales ne peuvent être versées qu'aux demandeurs qui résident légalement dans l'État.

Deux requérantes qui s'étaient vu refuser ces allocations au moment où elles n'avaient pas encore de statut de résidente légale ont saisi la CEDH pour se plaindre de ce qu'elles estimaient être une discrimination aux allocations, par rapport aux parents qui ont un statut de résident légal en Irlande.

La CEDH a jugé que les mères requérantes ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle des mères éligibles aux allocations et qu'elles n'avaient donc pas fait l'objet d'une discrimination.

Pour cela, la Cour a dû réaffirmér qu'il était acceptable eu égard aux garanties de la Convention d'imposer une condition de résidence légale pour définir les personnes qui peuvent prétendre aux allocations familiales, car les systèmes de sécurité sociale fonctionnent principalement au niveau national.

Les faits

La première requérante était une ressortissante du Nigéria, arrivée clandestinement en Irlande en 2013, qui n'a demandé l'asile qu'un an plus tard et qui a donc vu sa demande d'asile rejetée en 2015.

Une fille lui est née dans l'intervalle, en 2014, d'un père qui est citoyen irlandais, cette enfant étant alors citoyenne irlandaise depuis sa naissance.

La requérante a donc demandé un permis de résidence en Irlande au motif qu'elle était la mère d'un enfant de nationalité irlandaise et, pendant l'instruction de cette nouvelle demande, elle a solicité le bénéfice des allocations familiales pour son enfant.

Ces allocations lui ont été refusée le temps que la décision de lui octroyer un titre de résidence soit prise.

Ce droit de résidence lui a été octroyé en janvier 2016 et le versement des allocations familiales a suivi.

La requérante s'est alors plainte devant la High Court de la période qu'il a fallu, entre la naissance de son enfant et la décision de lui octroyer les allocations, soit 12 mois.

La deuxième requérante est une ressortissante afghane qui est arrivée en Irlande en 2008 avec son mari et son premier enfant.

Elle a d'abord menti en prétendant être pakistanaise et en produisant de faux documents à l'appui, ce qui ne lui a permis d'obternir l'asile, mais ne lui a pas valu non plus d'être poursuivi pour faux et usage ou tentative d'escroquerie.

Puis elle a prétendu être en réalité Afghane, prolongeant l'examen de sa demande,

Dans l'intervalle elle a donné naissante à trois enfants, en Irlande.

En janvier 2015, l'asile lui a été accordée, elle a demandé immédiatement un regroupement familiale et le versement d'allocations familiales pour ses quatre enfants, qui lui a été refusé en attendant la décision sur le regroupement familial.

En septembre 2015, la demande de regroupement familial a été accepté et les allocations familiales ont été versées.

La requérante s'est alors plainte devant la High Court de la période qu'il a fallu, entre la l'octroi du droit d'asile et la décision de lui octroyer les allocations, soit 8 mois.

La procédure en Irlande 

La High Court a joint les deux procédures et a jugé, en janvier 2017, que la condition de résidence légale pour obtenir des prestations de sécurité sociale n'était pas discriminatoire.

La Cour d'appel a complexifié la situation en décidant que c'est la question de la résidence de l'enfant à charge, pour lequel l'allocation est demandé, qui doit être pertinente pour l'attribution des allocations et non le statut des parents

La Cour suprême a censuré l'approche de la cour d'appel, revenant à la solution du premier juge, soulignant que les conditions d'éligibilité aux allocations familiales n'étaient pas discriminatoires et que l'État n'était pas tenu de verser les allocations familiales tant que les demandeurs n'avaient pas obtenu d'autorisation de rester en Irlande.

La procédure devant la CEDH 

Sur l'article 8 (droit à la vie privée) invoquée devant elle, La Cour a rejeté l'argument selon lequel le droit aux allocations familiales devrait être considéré comme relevant du champ d'application de l'article 8 dans la mesure où il a trait à la vie familiale, conformément à sa jurisprudence récente.

Sur l'Article 14 (interdiction de la discrimination) en liaison avec l'article 1 du Protocole no 1 (droit au respect des créances), la Cour a décidé que :

- en l'absence de la condition liée à la résidence, les requérantes auraient eu droit à la prestation en question, de sorte que l'article 14 combiné à l'article 1 du Protocole no 1 était invoquable ;

- les systèmes de sécurité sociale ont un caractère essentiellement national et qu'il est admis en droit international que les États peuvent limiter ces droits aux résidents sur leur territoire (et contrôler les conditions d'entrée et de résidence sur leur territoire) ;

- les allocations familiales avaient été demandées à un moment où le statut personnel des requérants n'avait pas encore été déterminé et où lerurs besoins matériels essentiels étaient satisfaits par un autre système de prestations directes; 

- la situation des requérantes au moment où du dépôt de leur demande d'allocations familiales n'était pas comparable à celle des personnes qui résidaient légalement en Irlande;

- il n'y avait donc pas de discrimination.

 

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