Dans un arrêt qui date déjà de novembre 2013, mais qui est resté bien peu visible (si on excepte les billets publiés en leur temps sur le site de notre cabinet d'avocats à la Cour européenne des droits de l'Homme) la Cour a estimé qu’une gifle (ou « tous actes de ce type ») venant d'un policier lors d’une arrestation ou d'une audition (et hors cas de légitime défense) ne génère pas un degré d'humiliation suffisant pour violer l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme

Cet arrêt Bouyid contre Belgique du 21 novembre 2013 est actuellement soumis à l'éventuelle censure de la Grande chambre de la CEDH, il n'est donc pas encore définitif, mais il si étonnemment bienveillant avec l'Etat défendeur qu'il est difficile de ne pas y voir un effet de la mauvaise humeur manifestée récemment par plusieurs États-membres à l’encontre de la jurisprudence de la CEDH, jugée trop hardie - autant dire trop protectrice.

Les faits de la cause sont simples : fin 2003 et début 2004, les deux frères Bouyid se sont plaints d’avoir été giflés par un policier. Le premier se serait fait empoigner jusqu’à en avoir la veste déchirée puis emmener au commissariat où il assure avoir reçu une gifle pour lui apprendre à refuser d'obtempérer. Le second, lors d’une audition, aurait pris une gifle en raison de son attitude nonchalante et moqueuse. Les baffes auraient émané de deux policiers différents et sinscrivaient dans un climat très tendu entre la famille Bouyid et le commissariat qui est situé juste à côté de son logement.

Les plaintes des victimes devant les juridictions belges n'ont rien donné, en raison d’un problème de preuve essentiellement : la présence de traces de coups était constatées par certificats médicaux mais leur origine était plus difficile à établir.

Devant la CEDH, ce problème de preuve n'est pas le même car la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme a établi pour de tels cas une présomption : quand une victime prétend avoir subi une atteinte physique alors qu'elle était sous la responsabilité des forces de l'ordre et que des certificats médicaux crédibles en constatent des traces, c'est à l'Etat défendeur de prouver que ses agents n'y sont pour rien.

Evidemment, la Belgique aurait eu bien du mal avec cette preuve et la CEDH a donc préféré régler la solution au niveau du principe, donc avant d'avoir a aborder le problème de la présomption, soulageant l'Etat défendeur de la charge qui pesait sur lu (sans compter la violation possible aussi sur le volet procédural de l’article 3 de la Convention, pour n'avoir pas procédé à une enquête suffisamment sérieuse sur les faits lors de l'instruction).

Ainsi, la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé que les faits (gifle assénée par énervement ou « tous actes de ce type ») étaient par leur nature trop bénine pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Le souci, c'est que ce raisonnement est très dangereux car il peut s'interpréter comme une licence donnée aux forces de l'ordre de gifler par agacement qui leur déplaira.

La preuve que la Cour est consciente de cette dérive possible se voit dans le fait que l'arrêt est suivi d’un avis concordant très étrange : il ne discute pas le raisonnement juridique suivi tout en étant d’accord avec la solution retenue, comme le fait généralement un avis concordant, mais s'attache surtout à espérer que l'arrêt ne sera pas « interprétée comme indiquant, de quelque manière que ce soit, qu’une telle conduite de la part de la police puisse jamais être admise ou excusée ».

Cela semble vraiment difficile, surtout quand l'arrêt vise non seulement les gifles mais étend textuellement sa solution à « tous actes de ce type ». Il sera intéressant de voir si l'arrêt de Grande Chambre qui viendra dans les prochains mois en tiendra compte.

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Pour être moderne, n'oublions de citer la page FB "avocats CEDH", ma page LinkedIn d'avocat à la CEDH , celle de mon associé qui est lui aussi avocat à la Cour européenne des droits de l'homme et celle de notre cabinet d'avocats en droits de l'homme à Strasbourg.