La CEDH vient de condamner la France, pour traitements inhumains et dégradants, le 4 mai 2023, dans une affaire A.C. et M.C. c. France, lui reprochant d'avoir placé en rétention administrative durant neuf jours une mère guinéenne et son fils âgé de 7 mois en attendant leur transfert vers l’Espagne (en tant qu'étrangers "dublinés").

Pour la CEDH, la violation de l'article 3 vient, non seulement du très jeune âge de l’enfant mais surtout de la durée de la rétention (9 jours), la Cour jugeant explicitement que : "les conditions d’accueil au centre de rétention de Metz-Queuleu, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes à elles seules pour que soit atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 [...], en revanche, au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant alors le seuil de gravité précité. Il s’ensuit que l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance particulière."

 

C'est la dernière décision en date d'une série de condamnations pour les conditions d'enfermement des mineurs, qui sont dérangeantes et qu'il n'est pas inutile de rappeler, même très brièvement, pour contextualiser cet arrêt qui, sinon, peut sembler un peu anecdotique.

On le sait, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Dans le contexte de l'enfermement des mineurs, la France a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH sur le fondement de l'article 3. 

1. L'enfermement des mineurs : une problématique compliquée

L'enfermement des mineurs en France peut prendre plusieurs formes: détention provisoire, emprisonnement après condamnation ou la rétention administrative...

Cette "prise en charge" est assorti de garanties pour protéger les droits de ces mineurs en détention, notamment en limitant la durée de la détention provisoire, en privilégiant les mesures éducatives et en encadrant les conditions de détention. En pratique, ces garanties paraissent néanmoins insuffisantes si on en croit les condamnations de la France par la CEDH.

2. Bref rappel des principales condamnations de la France par la CEDH pour violation de l'article 3

a. La détention provisoire et les conditions de détention des mineurs

La CEDH a condamné la France dans plusieurs affaires concernant la détention provisoire de mineurs et les conditions de leur détention. 

Dans l'affaire Boussouar c. France (2018), la Cour a jugé que la détention provisoire d'un mineur de 16 ans pendant plus de deux ans et demi, dans des conditions inadaptées à son âge et à sa vulnérabilité, constituait un traitement inhumain ou dégradant.

Dans l'affaire A.M c. France (2016), la Cour a estimé que la détention d'un mineur de 15 ans dans un établissement pour adultes, sans séparation effective des mineurs et des adultes, et sans prise en charge éducative, constituait également une violation de l'article 3.

b. La rétention administrative des mineurs étrangers

La France a également été condamnée pour la rétention administrative de mineurs étrangers, notamment dans l'affaire R.M et M.M c. France (2016), où la Cour a jugé que la rétention de deux enfants âgés de 5 mois et 3 ans, avec leurs parents, dans un centre de rétention inadapté aux besoins des enfants, constituait un traitement dégradant.

3. Bref rappel des enjeux soulevés par ces condamnations de la France

Ces condamnations de la France par la CEDH ont soulevé plusieurs questions importantes pour la protection des droits des mineurs rivés de liberté et la mise en œuvre effective de l'article 3 de la Convention dans ce cadre.

a. La nécessité de réformer les pratiques et les structures d'enfermement des mineurs

Ces condamnations mettent en lumière la nécessité de réformer les pratiques et les structures d'enfermement des mineurs en France.

Parmi les mesures possibles figurent la réduction du recours à la détention provisoire, l'amélioration des conditions de détention, la création de structures adaptées aux besoins des mineurs et la mise en place de mécanismes de contrôle et de suivi indépendants.

b. L'importance de garantir l'accès à l'éducation et aux soins pour les mineurs en détention

Les décisions de la CEDH soulignent également l'importance de garantir l'accès à l'éducation et aux soins pour les mineurs en détention, qui implique notamment la mise en place de programmes éducatifs adaptés et la formation du personnel pénitentiaire et des autres acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs.

c. Le respect des droits des mineurs étrangers et la fin de la rétention administrative des enfants

Enfin, les condamnations de la France pour la rétention administrative de mineurs étrangers appellent à une réflexion sur le respect des droits des mineurs étrangers et la fin de la rétention administrative des enfants. Des alternatives à la rétention, telles que les dispositifs d'hébergement et d'accompagnement, doivent être développées et privilégiées pour garantir la protection des droits de l'enfant.

4. Où se situe l'arrêt A.C. et M.C. c. France dans ce contexte ?

La CEDH a constaté l'existence d'un dépassement du seuil de gravité qui caractérise une violation de l'article 3 pour les raisons cumulatives suivantes, en précisant que la réunion de deux seulement  de ces conditions auraient été insuffisantes :

- "très jeune âge du second requérant",

- "conditions d’accueil dans le centre de rétention de Metz-Queuleu"

- "durée du placement en rétention qui s’est déroulé sur neuf jours"

La Cour ajoute que la mère a donc subi un traitement inhumain et dégradant par ricochet "eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de sept mois et demi, ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent".

Si l'on considère que la durée de la rétention est uniquement due au refus de la mère d'embarquer lors de la première tentative de renvoi en Espagne (c'est la CEDH qui le dit), que le centre de rétention de Metz-Queuleu est spécialement adapté à la rétention des familles, donc d'une mère et de son enfant mineur, et qu'il est interdit de les séparer, alors l'arrêt de la CEDH interdit purement et simplement de placer en centre de rétention administrative les mères qui ont des enfants mineurs. 

---------------------------------

Pour toute information sur les subtilités de la CEDH, n'hésitez pas à contacter notre cabinet d'avocats à la CEDH.

Pour être moderne, n'oublions pas non plus la page FB "avocats CEDH", ma page LinkedIn d'avocat à la CEDH , celle de mon associé qui est lui aussi avocat à la Cour européenne des droits de l'homme et celle de notre cabinet d'avocats en droits de l'homme à Strasbourg.