Dans l'affaire Luxleaks, les juridictions pénales luxembourgeoises avaient cru pouvoir condamner le lanceur d'alerte qui avait fait fuiter les déclarations fiscales qui prouvaient que le Luxembourg offraient des conditions scandaleusement favorables aux multinationales voulant s'y domicilier fictivement, en fraude éhontée de leurs droits fiscal et pénal nationaux.

Pour cela, les juges répressifs avaient inventé une nouvelle règle, ajouté au droit européen des droits de l'Homme : il faudrait que l'information ayant fuitée soit nouvelle pour qu'on puisse estimer qu'elle participe à un débat public et rende l'auteur de la fuite digne d'être protégée.

Bien évidemment, les juges luxembourgeois avaient estimé qu'en l'espèce, il n'y avait rien eu de nouveau dans ces révélations : le Luxembourg est un paradis fiscal ? nihil novi sub sole !

Très étonnament, la CEDH avait approuvé les juridictions luxembourgeoises, en arguant du principe de subsidiarité pour dire que le juge local était mieux placé que le juge européenn pour décider des violations des droits de l'Homme et en estimant qu'il n'y avait aucune restriction à la protection des lanceurs d'alerte dans ce qui était vu comme une simple adaptation à l'espèce des principes dégagés par la CEDH.

La Grande chambre de la CEDH a fort heureusement accepté de se saisir de la question, en posant aux parties des questions très théoriques qui pouvaient faire penser/craindre qu'une évolution jurisprudentielle majeure était en germe.

Finalement, la Grande Chambre s'est contenté de rappeler tout le monde à l'orthodoxie, condamnant le Luxembourg pour son interprétation déraisonnable des principes de protection des lanceurs d'alerte, mais en le disant avec beaucoup de bienveillance et en insistant sur le caractère casuistique de cette jurisprudence.

Soyons clairs : l'affaire Luxleaks fut une humiliation pour M. Jean-Ckaude Junker, ancien Premier Ministre luxembourgeois et tout nouveau Président de la Commission européenne; elle a terni sa carrière politique; elle a aussi été ressentie comme une humiliation par tout l'establishment légal luxembourgeois, d'autant plus que tout ce petit monde se connaît intimement dans un micro-état de la taille du Grand Duché (la ville de Luxembourg c'est 130 000 personnes).

Toute la gentry juridique luxembourgeoise a souhaité se venger et le Parquet a poursuivi pénalement, et les 2 lanceurs d'alerte, et même le journaliste auquel ils ont parlé.

Et tant pis s'il faut tordre le bras à la jurisprudence de la CEDH autant qu'à la décence.

Ils ont eu raison, ça a bien failli marcher et ça a sûrement dissuadé tous ceux qui, dans l'intervalle, au Luxembourg, auraient eu des choses à révéler à la presse et qui doivent encore se demander si ça vaut vraiment la peine de se donner tout ce mal.

D'ailleurs, si on lit l'arrêt de Grande Chambre avec un oeil un peu cynique et une grille d'interprétation a contrario, on pourrait y déceler le mode d'emploi que devrait suivre une juridiction du fond pour condamner pénalement un lanceur d'alerte du type de ceux qui ont fait éclater Luxleaks sans risquer pour autant la critique de la CEDH.

Cette fois-ci, si ça n'a pas marché, c'était uniquement in extremis. Mais la prochaine fois...

Pour un résumé de l'affaire, vous pouvez cliquer sur ce lien dirigeant vers le site de notre cabinet d'avocat à la CEDH où le communiqué du Greffe de la CEDH est reproduit.

Sinon, l'intégralité de l'arrêt est dans la pièces jointe.

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Pour être moderne, n'oublions pas non plus de citer la page FB "avocats CEDH", ma page LinkedIn d'avocat à la CEDH , celle de mon associé qui est lui aussi avocat à la Cour européenne des droits de l'homme et celle de notre cabinet d'avocats en droits de l'homme à Strasbourg et le blog avocatcedh