Outre les arrêts de chambre (7 juges), la CEDH rend aussi des décisions en comité (de 3 juges), essentiellement pour trancher les litiges les moins complexes (jurisprudence déjà bien assise sur le sujet ou problème d'irrecevabilité de la requête, par exemple).

Ces décisions n'en sont pas moins intéressantes pour autant.

Ainsi, dans une décision Aprile contre Italie, du 09 mars 2023, la CEDH a statué sur un problème "d'expropriation indirecte" (procédure spécifique au droit italien) où :

- d'une part, une expropriation a été décidée dans des conditions illégales (reconnues illégales par les tribunaux nationaux),

- d'autre part, l'indemnisation de cette expropriation illégale a été refusée car la demande d'indemnisation après expiration du délai de 5 ans pour ce faire.

La CEDH a estimé qu'il y avait une violation manifeste du droit au respect des biens, non seulement à cause de l'expropriation illégale mais surtout à cause de l'absence d'indemnisation (seul point dont elle était vraiment saisie) qu'importe la question du délai dépassé.

Pour plus de questions sur les subtilités du droit au respect des biens, n'hésitez pas à contacter notre cabinet d'avocats à la CEDH.

Sinon, le texte de la décision est attaché en pièce jointe (en anglais, il n'existe pas de version en français).

Comme cette décision est en anglais, une version traduite (non-officielle) est mise à disposition ci-dessous (avec toutes mes excuses pour les fautes de frappes, coquilles et problèmes de mise en page résiduels).

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PREMIÈRE SECTION

                         AFFAIRE APRILE c. ITALIE

                          (Requête n° 11557/09)

                                     ARRÊT

                             STRASBOURG

                                 9 mars 2023

 

Cet arrêt est définitif mais peut faire l'objet d'une révision éditoriale.

 

Dans l'affaire Aprile c. Italie,

La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en comité composé de :

          Péter Paczolay, Président,
          Gilberto Felici,
          Raffaele Sabato, juges,
et Liv Tigerstedt, greffier adjoint de la section,

Vu :

la requête (no 11557/09) dirigée contre la République italienne et dont la Cour a été saisie le 21 février 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ") par une ressortissante italienne, Mme Brizia Maria Aprile (" la requérante "), née en 1925 et résidant à Rome, représentée par M. R. Marzo, avocat exerçant à Lecce ;

la décision de notifier la requête au gouvernement italien ("le gouvernement"), représenté par son agent, M. L. D'Ascia ;

les observations du gouvernement ;

la décision de rejeter l'objection du gouvernement à l'examen de la demande par un comité ;

Ayant délibéré à huis clos le 14 février 2023,

Rend l'arrêt suivant, qui a été adopté à cette date :

L'OBJET DE L'AFFAIRE

1.  L'affaire concerne la plainte de la requérante qui se plaint d'avoir été privée d'un terrain par l'application d'une forme indirecte d'expropriation ("occupazione usurpativa") par les tribunaux nationaux.

2.  Le requérant était propriétaire d'un terrain situé dans la commune de Melendugno, inscrit au registre foncier sous le numéro de folio 24, parcelle no. 24, parcelle no. 45.

3.  Sans déclaration d'utilité publique ni ordonnance formelle d'expropriation, la municipalité a occupé le terrain en 1973 pour en faire une place publique.

4.  Le 19 novembre 1980, le requérant saisit le tribunal de Lecce en faisant valoir que l'occupation du terrain avait été illégale et en demandant sa restitution ainsi que des dommages-intérêts.

5.  Par un jugement du 22 juillet 1992, le tribunal de Lecce a fait droit aux plaintes de la requérante et a constaté que l'occupation de son terrain avait été illégale, mais que le terrain avait été modifié de manière irréversible à la suite des travaux publics qui y avaient été effectués depuis 1973. Par conséquent, en vertu de la règle de l'expropriation indirecte, la requérante n'était plus propriétaire du terrain. Le tribunal de Lecce a en outre jugé que la requérante avait droit à des dommages-intérêts pour la perte de sa propriété.

6.  La commune a fait appel de ce jugement. La requérante a formé un contre-appel, demandant à la Cour d'appel de Lecce de déclarer que, par suite de l'altération irréversible du terrain, celui-ci a été acquis par la commune et de confirmer l'octroi de dommages-intérêts à ce titre.

7.  Par un arrêt du 14 février 2002, la Cour d'appel de Lecce a estimé que les plaintes de la requérante étaient soumises à un délai de prescription de cinq ans qui avait commencé à courir à partir de la date de l'altération irréversible du terrain. Par conséquent, les plaintes étaient prescrites et la requérante n'avait pas droit à une indemnisation.

8. Le requérant s'est pourvu en cassation, contestant l'application du délai de prescription et soutenant que l'expropriation indirecte était contraire à l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

9.  Le 11 septembre 2008, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appel.

10.  La requérante se plaint d'avoir été illégalement privée de son terrain sans indemnisation, en violation de ses droits au titre de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

L'APPRÉCIATION DE LA COUR

  1. La demande du gouvernement de rayer la requête du rôle

11.  Le Gouvernement a présenté une déclaration unilatérale qui n'offre pas une base suffisante pour constater que le respect des droits de l'homme tels que définis dans la Convention n'impose pas à la Cour de poursuivre l'examen de l'affaire (article 37 § 1 in fine). La Cour rejette la demande du Gouvernement de radier la requête et poursuivra donc l'examen de l'affaire (voir Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, §75, CEDH 2003 VI).

  1. VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE NO. 1 de la CONVENTION

12.  Le droit et la pratique internes pertinents en matière d'expropriation indirecte se trouvent dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], n° 58858/00, §§ 18-48, 22 décembre 2009). 58858/00, §§ 18-48, 22 décembre 2009).

  1. Recevabilité

13.  Le Gouvernement a contesté la recevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes, en faisant valoir que la requérante n'avait pas contesté, en appel et en cassation, le rejet par le tribunal de première instance de sa demande de restitution du terrain.

14.  Le Tribunal note que le requérant s'est plaint de l'expropriation illégale du terrain et a demandé une indemnisation, tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation (voir points 6 et 8 ci-dessus). Ce grief reflétait la violation alléguée qui a été soulevée devant la Cour (voir Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 117, 20 mars 2018) et, par conséquent, l'exception préliminaire du Gouvernement doit être rejetée.

15.  Le grief n'étant pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention ni irrecevable pour d'autres motifs, il doit être déclaré recevable.

  1. Mérites

16.  La Cour note que la requérante a été privée de son bien par le biais d'une expropriation indirecte, une ingérence dans le droit au respect des biens que la Cour a déjà considérée, dans un grand nombre d'affaires, comme incompatible avec le principe de légalité, ce qui a conduit à un constat de violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (voir, parmi beaucoup d'autres autorités, Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94,
§§ 63-73, CEDH 2000VI‑, et Messana c. Italie, no 26128/04, §§ 38-43, 9 février 2017).

17.  En l'espèce, après avoir examiné l'ensemble des éléments qui lui ont été soumis et les observations du gouvernement, la Cour n'a trouvé aucun fait ou argument susceptible de l'amener à une conclusion différente.

18.  En outre, la Cour note que les juridictions internes ont appliqué un délai de prescription de cinq ans qui a commencé à courir à partir de la date de l'altération irréversible du terrain (voir paragraphe 7 ci-dessus). De ce fait, la requérante a été privée de la possibilité qui lui était en principe offerte d'obtenir des dommages-intérêts (Carbonara et Ventura, précités, §§ 69 et 71).

19.  Il y a donc eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

20.  La requérante n'a pas présenté de demandes de satisfaction équitable, bien qu'elle ait été invitée à le faire. Dès lors, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de lui accorder une quelconque somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

  1. Rejette la demande du gouvernement de rayer la requête du rôle ;
  2. Déclare la demande recevable ;
  3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

Fait en anglais et notifié par écrit le 9 mars 2023, conformément à l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 Liv Tigerstedt                                                Péter Paczolay
  Greffier adjoint                                             Président

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