La CEDH peut accepter de réviser l'un de ses propres arrêts.

C'est une possibilité peu connue, et peu utilisée, mais la question de la révision peut se poser, exceptionnellement, comme c'est advenu dans l'affaire X c. République Tchèque du 30 mars 2023.

La requérante, X, est une ressortissante tchèque née en 1980 qui vit actuellement aux Etats-Unis.

Son affaire concerne essentiellement l'exécution par les tribunaux tchèques de leur décision de renvoyer la fille de la requérante aux Etats-Unis en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

Le mari de la requérante avait engagé une procédure en vertu de la convention de La Haye parce que la requérante n'était pas retournée avec son mari aux États-Unis avec leur fille après s'être rendue en République tchèque en juin 2016.

Dans un arrêt rendu le 12 mai 2022, la CEDH avait estimé qu'il n'y avait pas eu de violation de l'article 8 de la Convention en raison de la décision prise par les juridictions tchèques d'organiser le retour de la fille de la requérante aux USA.

La requérante a demandé le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la CEDH, parce que le juge élu au titre de la République tchèque, qui avait participé à la décision de la CEDH, avait auparavant - en sa qualité antérieure de membre de la Cour constitutionnelle tchèque - été impliquée dans la procédure constitutionnelle introduites par la requérante en République Tchèque concernant le retour de sa fille aux États-Unis.

La CEDH a décidé que cette demande de renvoi devant la Grande Chambre devait être considérée comme étant, en réalité, une demande de révision, basée sur l'article 80 du règlement de la Cour.

Dans sa dernière décision, à titre liminaire, la Cour a relevé que l'appréciation de la Cour dans son premier arrêt du 12 mai 2022 n'avait porté que sur la procédure d'exécution de la décision de retour.

Bien que la procédure supplémentaire introduite par la requérante en vue de la suspension de l'exécution de cette décision ait été notée dans l'arrêt de chambre, ce n'est qu'au moment de la requête de la requérante devant la Grande Chambre qu'elle a informé la Cour que son recours constitutionnel dans cette procédure avait été rejeté par la Cour constitutionnelle, présidée par le juge Šimáčková, le 7 avril 2020.

La Cour a ensuite examiné les conditions énoncées à l'article 80 du règlement pour qu'une demande de révision soit acceptée et a constaté qu'elles étaient toutes remplies.

(a) Le fait contesté par le requérant "n'était pas connu de la Cour" au moment du prononcé de l'arrêt - Étant donné que le requérant n'avait informé la Cour de la décision de la Cour constitutionnelle du 7 avril 2020 à aucun moment avant l'arrêt de la chambre du 12 mai 2022 et qu'aucune autre information à ce sujet ne figurait dans les documents dont disposait la chambre, cette condition de recevabilité avait été remplie.

(b) Si le fait nouveau " ne pouvait raisonnablement être connu " de la partie requérante - La participation potentielle de la juge Šimáčková à l'examen de l'affaire du requérant devant la Cour en sa qualité de juge élue au titre de la République tchèque ne pouvait raisonnablement être connue de la requérante avant la date de son élection. À partir du 13 décembre 2021, date à laquelle elle avait pris ses fonctions à la Cour et où des informations à ce sujet avaient été publiées sur le site Internet de la Cour, la requérante aurait pu informer la Cour de ses doutes quant à la participation potentielle de la juge Šimáčková à l'examen de son affaire, mais elle ne l'a pas fait.

La CEDH a décidé que, si un requérant qui a connaissance de faits pertinents pour l'examen de sa cause doit les porter à la connaissance de la Cour dès que possible, en vertu de l'article 28 du règlement, qui vise à assurer la mise en œuvre rigoureuse du principe d'impartialité judiciaire, l'incapacité d'un juge à siéger pour quelque raison que ce soit, y compris parce qu'il est intervenu précédemment dans l'affaire à un autre titre, ne dépend pas des positions des parties à la procédure, mais de l'existence des motifs visés à l'article 28 § 2 du règlement.

En effet, la responsabilité de la mise en œuvre de l'article 28 et, en particulier, du principe d'impartialité objective, ne pouvait manifestement pas être laissée à la seule initiative des parties.

Par conséquent, d'après la CEDH, une demande de révision fondée sur l'allégation qu'il existe des obstacles à la participation d'un juge à l'affaire ne pourrait pas, en principe, être rejetée au seul motif que la partie requérante n'a pas informé la Cour de ses doutes avant l'adoption de l'arrêt dont la révision est demandée.

Dans les circonstances très particulières où le fait à l'origine de la demande de révision était lié au manque allégué d'impartialité d'un juge ayant participé à l'examen de l'affaire, la CEDH a jugé que la condition de l'" influence décisive " se résumait à la question de savoir si l'un des motifs prévus à l'article 28 § 2 du règlement existait.

Si l'un de ces motifs existe, cette condition devrait être considérée comme remplie, sans qu'il soit nécessaire de spéculer sur la question de savoir si le motif spécifique de retrait a effectivement affecté l'issue de l'affaire. Toute autre approche ne garantirait pas suffisamment le principe d'impartialité d'après la Cour.

La Cour a précisé que l'un des motifs expressément énumérés à l'article 28 § 2 du règlement est le fait d'avoir déjà agi " dans l'affaire " à un autre titre. Bien que la procédure interne qui avait conduit à la décision de la Cour constitutionnelle du 7 avril 2020 de ne pas suspendre l'exécution du titre exécutoire, ait été distincte de la procédure d'exécution analysée par la Cour dans son arrêt du 12 mai 2022, il y avait eu un lien étroit entre elles dans l'appréciation de la Cour dans cet arrêt. Le fait que la décision précitée, à laquelle la juge Šimáčková avait participé, n'ait pas été mentionnée dans l'arrêt de la Cour et qu'elle ait été rendue après les faits faisant l'objet de la requête ne suffisait pas à dissiper tous les doutes qui pouvaient exister quant à l'impartialité objective de la Cour.

La CEDH a rappelé que la possibilité de révision est une procédure exceptionnelle, dans la mesure où elle remet en cause le caractère définitif des arrêts de la Cour. Les demandes de révision d'arrêts doivent donc faire l'objet d'un examen rigoureux, la sécurité juridique devant prévaloir lorsque des doutes subsistent quant à la question de savoir si un fait nouveau a effectivement exercé une influence décisive sur l'arrêt initial. Toutefois, l'impératif d'appliquer rigoureusement le principe d'impartialité objective exige la révision de l'arrêt de la Cour lorsque des motifs d'empêchement d'un juge ont été démontrés, même s'il est douteux que la participation de ce juge ait pu influencer l'arrêt initial.

Conclusion : la demande de révision a été déclarée recevable et l'arrêt a été révisé dans son intégralité (à l'unanimité). Mais sans finalement changer la solution initale.

En effet, sur le fond, c'est-à-dire sur l'article 8, la Cour, après avoir réexaminé les griefs de la requérante et l'ensemble des observations présentées par les parties, a adopté un arrêt révisé mais identique.

La CEDH a jugé que, dans les circonstances de l'espèce, l'examen par les juridictions internes des demandes formulées par la requérante dans la procédure d'exécution avait satisfait aux exigences procédurales imposées par l'article 8 et que la décision d'exécuter le retour de sa fille avait été suffisamment motivée.

La Cour s'est dite convaincue que les juridictions internes, dans le cadre de leur marge d'appréciation, ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, compte tenu notamment du fait que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération primordiale.

En pièce jointe, j'attache l'arrêt (qui n'existe qu'en anglais).

Ci-dessus, je colle une traduction personnelle en français, qui n'engage pas la Cour, en sollicitant l'indulgence des lecteurs, pour les barbarismes, coquilles et autres fautes de frappes qui peuvent émailler ces lignes.

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ANCIENNE CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE X c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Demande n° 64886/19)

 

ARRÊT

Révision

Article 80 du règlement de la Cour - Demande de révision d'un arrêt - Article 28 du règlement de la Cour - Incapacité de siéger, retrait ou dispense - Fait nouveau ayant une influence décisive sur la participation à la procédure de la Cour d'un juge national nouvellement élu impliqué dans une procédure constitutionnelle étroitement liée à celle examinée par la Cour dans son arrêt initial - Incapacité d'un juge de siéger pour quelque raison que ce soit ne dépendant pas de la position des parties dans la procédure mais des motifs spécifiés à l'article 28 § 2 du règlement - Responsabilité de la mise en œuvre du principe de l'impartialité objective non laissée à la seule initiative des parties La responsabilité de la mise en œuvre du principe d'impartialité objective n'est pas laissée à la seule initiative des parties - L'allégation d'obstacles à la participation d'un juge à une affaire ne doit pas en principe être rejetée sur la seule base du fait que la partie requérante n'a pas informé la Cour de ses doutes avant l'adoption de l'arrêt - Il est impératif d'appliquer rigoureusement le principe d'impartialité objective exigeant une révision lorsqu'il est démontré qu'il existe des motifs justifiant l'incapacité d'un juge à siéger, Même s'il est douteux que la participation ait pu influencer l'arrêt initial - Conditions de l'article 80 remplies et arrêt révisé dans son intégralité

Art. 8 - Vie familiale - Obligations positives - Exécution de la décision de retour de l'enfant du requérant aux Etats-Unis en vertu de la Convention de La Haye - Examen par les juridictions nationales dans le respect des exigences procédurales de l'art. 8 - Motivation suffisante - Juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, l'intérêt supérieur de l'enfant étant la considération primordiale

 

STRASBOURG

30 mars 2023

 

Le présent arrêt deviendra définitif dans les conditions prévues à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut faire l'objet d'une révision rédactionnelle.

 

Dans l'affaire X c. République tchèque (demande de révision de l'arrêt du 12 mai 2022),

La Cour européenne des droits de l'homme (ancienne cinquième section), siégeant en chambre composée de :

         Síofra O'Leary, présidente,
         Arnfinn Bårdsen,
         Mārtiņš Mits,
         Stéphanie Mourou-Vikström,
         Lətif Hüseynov,
         Ivana Jelić, juges,
         Pavel Šturma, juge ad hoc,
et Victor Soloveytchik, greffier de section,

Ayant délibéré à huis clos le 7 mars 2023,

Rend l'arrêt suivant, qui a été adopté à cette date :

  1.  

1.  La présente affaire concerne principalement la violation alléguée du droit de la requérante au respect de sa vie familiale en vertu de l'article 8 de la Convention, du fait de l'exécution par les tribunaux tchèques de leur décision de renvoyer l'enfant de la requérante aux États-Unis d'Amérique en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

2.  Dans un arrêt rendu le 12 mai 2022, la Cour a jugé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 8 de la Convention en raison de la décision prise par les tribunaux tchèques d'exécuter le retour de la fille du requérant.

3.  Le 11 août 2022, la requérante a demandé le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre, en avançant notamment l'argument de la violation de l'article 28 du règlement de la Cour. Elle soutenait que Mme Kateřina Šimáčková, juge élue au titre de la République tchèque, n'aurait pas dû participer à l'examen de l'affaire en raison de son implication - en sa précédente qualité de membre de la Cour constitutionnelle tchèque - dans une procédure constitutionnelle introduite par la requérante concernant le retour de sa fille aux États-Unis d'Amérique.

4.  Le 5 septembre 2022, un collège de la Grande Chambre a ajourné l'examen de la demande de renvoi du requérant. Dans l'attente de l'examen par une chambre de la demande de révision, la juge Šimáčková s'est récusée en application de l'article 28 § 2 b) du règlement de la Cour.

5.  Le 11 octobre 2022, une chambre de l'ancienne cinquième section composée des juges O'Leary, Mits, Mourou-Vikström, Hüseynov, Chanturia, Jelić et Bårdsen a jugé que la demande de renvoi du requérant devait être considérée comme étant en substance une demande de révision au sens de l'article 80 du règlement de la Cour. Elle a donc décidé d'accorder aux parties un délai de six semaines pour présenter d'éventuelles observations. Ces observations ont été reçues du gouvernement le 25 novembre 2022.

6.  En application de l'article 29 du règlement, le président de la chambre a désigné M. P. Šturma pour siéger en tant que juge national ad hoc, en remplacement du juge Šimáčková, afin de participer à l'examen de l'affaire.

LA DEMANDE DE RÉVISION

7.  La requérante a demandé la révision de l'arrêt du 12 mai 2022, faisant valoir que son recours constitutionnel contre la décision du tribunal régional du 1er novembre 2019, dernière décision interne mentionnée dans l'arrêt précité, avait été rejeté le 7 avril 2020 par une chambre de la Cour constitutionnelle présidée par Mme Kateřina Šimáčková. Elle soutenait qu'il y avait eu violation de l'article 28 du règlement de la Cour en ce que Mme Šimáčková, qui avait été élue juge à la Cour au titre de la République tchèque le 28 septembre 2021, ne s'était pas retirée de la participation à l'affaire de la requérante devant la Cour. De l'avis de la requérante, ce fait avait affecté de manière cruciale l'arrêt de la Cour dans son affaire car son raisonnement était similaire aux arrêts de la Cour constitutionnelle, y compris la décision du 7 avril 2020.

8.  La Cour note que, dans son arrêt du 12 mai 2022, elle n'a pas été appelée à réexaminer la procédure interne ayant conduit à l'adoption de la décision ordonnant le retour de la fille du requérant aux États-Unis d'Amérique, qui n'avait pas été contestée par le requérant. Les griefs du requérant et, partant, l'appréciation de la Cour concernaient la procédure d'exécution ultérieure (voir les paragraphes 42 et 54 de l'arrêt du 12 mai 2022), dans laquelle la cour d'appel s'est prononcée, le 4 juin 2019, sur l'exécution de la décision de retour et qui s'est achevée par la décision de la Cour constitutionnelle du 16 juillet 2019.

Une autre procédure a été mentionnée dans l'arrêt de chambre (voir points 21 et 26). La requérante a réagi à la décision précitée du 4 juin 2019 en demandant au tribunal de première instance de suspendre l'exécution de la décision de retour et de se désister de la procédure. Sa demande a été rejetée le 3 juillet 2019, l'enfant ayant alors été renvoyé aux États-Unis d'Amérique, et son recours contre cette décision a été rejeté par le tribunal régional le 1er novembre 2019. Ce n'est qu'au moment de la demande de la requérante à la Grande Chambre du 11 août 2022 (voir paragraphe 3 ci-dessus) que la Cour a été pour la première fois informée que le recours constitutionnel de la requérante contre les décisions précitées des 3 juillet et 1er novembre 2019 avait été rejeté par la Cour constitutionnelle, présidée par le juge Šimáčková, le 7 avril 2020.

9.  Le Gouvernement indique, d'une part, que la décision de la Cour constitutionnelle du 7 avril 2020 n'a été mentionnée par la requérante à aucun moment de la procédure devant la Cour mais seulement dans sa requête du 11 août 2022, à la suite de l'arrêt de chambre dont elle demandait la révision (voir point 3 ci-dessus). Si elle avait attiré l'attention de la Cour sur cette décision plus tôt, la juge Šimáčková aurait réalisé qu'elle avait été impliquée dans une décision d'irrecevabilité de suivi dans la même affaire au niveau national, et se serait retirée de son examen devant la Cour. Le Gouvernement observe en outre que l'élection de Mme Šimáčková en tant que juge à la Cour, intervenue le 28 septembre 2021, a fait l'objet d'une publicité considérable dans les médias tchèques et que rien n'a empêché le requérant de souligner son éventuelle partialité avant l'adoption de l'arrêt initial.

10.  La partie pertinente de l'article 80 du règlement de la Cour prévoit ce qui suit :

"Une partie peut, en cas de découverte d'un fait susceptible par sa nature d'avoir une influence décisive et qui, lors du prononcé d'un arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu de cette partie, demander à la Cour ... de réviser cet arrêt.

..."

11.  Dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, une autre disposition du règlement de la Cour, à savoir l'article 28, est également pertinente. Elle est libellée comme suit

Article 28 - Incapacité de siéger, retrait ou dispense

"Le juge empêché de participer aux séances auxquelles il est appelé à assister en avise le président de chambre dans les plus brefs délais.

2.  Un juge ne peut participer à l'examen d'une affaire si

...

(b) il a déjà agi dans l'affaire, soit en tant qu'agent, avocat ou conseiller d'une partie ou d'une personne ayant un intérêt dans l'affaire, soit en tant que membre d'un autre tribunal national ou international ou d'une commission d'enquête, soit en toute autre qualité ;

...

(e) pour toute autre raison, son indépendance ou son impartialité peut être légitimement mise en doute.

3.  Si un juge se retire pour l'une de ces raisons, il en informe le président de la chambre, qui le dispense de siéger.

4.  En cas de doute du juge concerné ou du président sur l'existence d'un des motifs visés au paragraphe 2 du présent article, la question est tranchée par la chambre. Après avoir entendu le juge concerné, la chambre délibère et vote en l'absence de ce juge. Aux fins des délibérations et du vote de la chambre sur cette question, il est remplacé par le premier juge suppléant de la chambre. Il en va de même si le juge siège au titre d'une Partie contractante concernée conformément aux articles 29 et 30 du présent règlement.

..."

12.  La Cour rappelle tout d'abord que toutes les conditions énoncées à l'article 80 du règlement doivent être remplies pour qu'une demande de révision soit acceptée (voir, par exemple, McGinley et Egan c. Royaume-Uni (révision), nos 21825/93 et 23414/94, § 36, CEDH 2000I ‑; Bugajny et autres c. Pologne (révision), no 22531/05, § 26, 15 décembre 2009 ; et Mindek c. Croatie (révision), no 6169/13, § 17, 11 septembre 2018).

13.  Dans les circonstances très particulières de la présente affaire, la question se pose d'abord de savoir si le fait contesté par la requérante, à savoir l'implication d'un juge élu ultérieurement à la Cour dans la procédure constitutionnelle engagée par la requérante après l'introduction de sa requête, " était inconnu de la Cour " au moment du prononcé de l'arrêt du 12 mai 2022. La requérante n'ayant informé la Cour de la décision de la Cour constitutionnelle du 7 avril 2020 à aucun moment avant l'arrêt de la chambre du 12 mai 2022 et aucune autre information à ce sujet ne figurant dans les pièces soumises à la chambre, la condition de recevabilité susmentionnée doit être considérée comme remplie.

14.  La deuxième question concerne l'applicabilité de la condition de recevabilité de l'article 80 du règlement selon laquelle le fait nouveau " ne pouvait raisonnablement être connu " de la partie requérante, en l'occurrence le requérant. La Cour note à cet égard que la participation potentielle de la juge Šimáčková à l'examen de l'affaire du requérant devant la Cour en sa qualité de juge élue au titre de la Partie contractante concernée ne pouvait raisonnablement être connue du requérant avant le 28 septembre 2021, date à laquelle la juge Šimáčková a été élue à la Cour par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. À partir du 13 décembre 2021, lorsqu'elle a pris ses fonctions à la Cour et que des informations à ce sujet ont été publiées sur le site internet de la Cour, la requérante aurait pu informer la Cour de ses doutes quant à la participation potentielle de la juge Šimáčková à l'examen de son affaire, mais elle ne l'a pas fait.

15.  Néanmoins, si un requérant qui a connaissance de faits pertinents pour l'examen de sa cause doit les porter à l'attention de la Cour dès que possible, la Cour rappelle qu'en vertu de l'article 28 du règlement, qui vise à assurer la mise en œuvre rigoureuse du principe d'impartialité judiciaire, l'incapacité d'un juge à siéger pour quelque raison que ce soit, y compris parce qu'il est intervenu précédemment dans l'affaire à un autre titre, ne dépend pas des positions des parties à la procédure mais de l'existence des motifs visés à l'article 28 § 2 du règlement. En effet, la responsabilité de la mise en œuvre de l'article 28 et, en particulier, du principe d'impartialité objective, ne peut manifestement pas être laissée à la seule initiative des parties.

16.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances particulières de l'espèce, la condition de recevabilité prévue à l'article 80 du règlement, selon laquelle le fait nouveau " ne pouvait raisonnablement être connu " de la partie requérante, doit être appliquée en tenant compte des principes qui sous-tendent l'article 28 du règlement et de la nécessité d'assurer une application rigoureuse de ce dernier. Par conséquent, la Cour estime qu'une demande de révision fondée sur l'allégation de l'existence d'obstacles à la participation d'un juge à l'affaire ne peut, en principe, être rejetée au seul motif que la partie requérante n'a pas informé la Cour de ses doutes avant l'adoption de l'arrêt dont la révision est demandée.

17.  En ce qui concerne la troisième condition pertinente, à savoir que le fait nouveau " pourrait, par sa nature, avoir une influence décisive ", la Cour estime que, dans les circonstances très particulières où le fait à l'origine de la demande de révision est lié au manque allégué d'impartialité d'un juge ayant participé à l'examen de l'affaire, la condition de l'" influence décisive " se résume à la question de savoir si l'un des motifs prévus à l'article 28 § 2 du règlement existait. Si l'un de ces motifs existait, cette condition devrait être considérée comme remplie, sans qu'il soit nécessaire de spéculer sur la question de savoir si le motif particulier de retrait a effectivement affecté l'issue de l'affaire. Toute autre approche ne garantirait pas suffisamment le principe d'impartialité.

18.  S'agissant de la question de savoir si l'un des motifs prévus à l'article 28 § 2 du règlement existait en l'espèce, la Cour observe que le fait d'avoir déjà agi " dans l'affaire " à un autre titre est l'un des motifs expressément énumérés dans cette disposition. Si la procédure interne qui a conduit à la décision de la Cour constitutionnelle du 7 avril 2020 de ne pas suspendre l'exécution du titre exécutoire était distincte de celle analysée par la Cour dans son arrêt du 12 mai 2022, il existait un lien étroit entre elles dans l'appréciation faite par la Cour dans cet arrêt (voir le paragraphe 8 ci-dessus, ainsi que les points 21 et 26 de l'arrêt de chambre du 12 mai 2022). De l'avis de la Cour, le fait que la décision précitée de la Cour constitutionnelle, à laquelle le juge Šimáčková a participé, n'ait pas été mentionnée dans l'arrêt de la Cour et qu'elle ait été rendue après les faits faisant l'objet de la requête ne suffit pas à dissiper tous les doutes qui pourraient exister quant à l'impartialité objective de la Cour.

19.  La Cour reconnaît que, dans la mesure où elle remet en cause le caractère définitif des arrêts de la Cour, la possibilité de révision est considérée comme une procédure exceptionnelle. Les demandes de révision d'arrêts doivent donc être soumises à un examen strict (voir, par exemple, McGinley et Egan, précité, § 30), tandis que la sécurité juridique doit prévaloir lorsque des doutes subsistent quant à la question de savoir si un fait nouveau a effectivement eu une influence décisive sur l'arrêt initial (voir Mindek, précité, § 18). Toutefois, l'impératif d'appliquer rigoureusement le principe d'impartialité objective appelle à la révision de l'arrêt de la Cour lorsque des motifs d'empêchement d'un juge ont été démontrés, même s'il est douteux que la participation de ce juge ait pu influencer l'arrêt initial.

20.  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal déclare la demande de révision du requérant recevable et décide que l'arrêt du 12 mai 2022 doit être révisé dans son intégralité, conformément à l'article 80 du règlement.

21.  Le Tribunal, après avoir réexaminé les griefs de la requérante tels qu'exposés dans sa requête et toutes les observations présentées par les parties sur la recevabilité et le fond de l'affaire, adopte l'arrêt révisé suivant.

JUGEMENT RÉVISÉ

  1. LES FAITS

22.  La requérante est née en 1980 et a indiqué comme lieu de résidence la République tchèque. Il ressort des faits de l'affaire qu'elle vit actuellement aux États-Unis d'Amérique. Elle était représentée par Mme M. Vilímková, avocate exerçant à Prague.

23.  Le gouvernement était représenté par son agent, M. P. Konůpka, du ministère de la Justice.

24.  Les faits de l'affaire, tels que présentés par les parties, peuvent être résumés comme suit.

25.  En 2007, la requérante a épousé un ressortissant américain aux États-Unis d'Amérique, où leur fille est née en mars 2014. À la suite de son mariage, la requérante a acquis la nationalité américaine. La requérante et sa fille ont désormais la double nationalité.

26.  Selon la requérante, elle était la seule à s'occuper de l'enfant et à subvenir aux besoins de leur famille. Après que le père de l'enfant, qui était au chômage, l'a agressée physiquement en novembre 2014, il a été arrêté et il lui a été interdit de s'approcher d'elle et de l'enfant ; aucune procédure pénale n'a été engagée car la requérante a refusé de témoigner contre lui.

27.  Il ressort du dossier qu'en mars 2015, un tribunal américain a approuvé l'accord des parents selon lequel elle se voyait confier la garde de l'enfant et le père bénéficiait d'un droit de visite, et a déterminé les conditions dans lesquelles la requérante pouvait voyager en dehors des États-Unis d'Amérique. Par la suite, ils sont retournés vivre ensemble et ont exercé la garde conjointe de leur fille.

28.  Le 19 juin 2016, la famille s'est rendue en République tchèque. La requérante alléguait qu'ils avaient l'intention de s'y installer à long terme, compte tenu des problèmes de santé de l'enfant et des difficultés à lui faire bénéficier d'une assurance médicale suffisante aux États-Unis d'Amérique ; le père soutenait qu'il ne s'agissait que d'une visite temporaire puisqu'ils étaient en possession de billets de retour réservés pour le mois de septembre 2016. Finalement, le père a quitté seul la République tchèque et est retourné aux États-Unis d'Amérique à l'automne 2016.

29.  En mai 2017, le père est brièvement retourné en République tchèque et a demandé à l'Office tchèque pour la protection juridique internationale des enfants (" l'Office des enfants ") de faciliter le contact avec sa fille.

  1. Procédure de retour

30.  Le 25 août 2017, le père a engagé une procédure devant le tribunal municipal de Brno en vue du retour de l'enfant aux États-Unis d'Amérique, en faisant valoir qu'elle avait été déplacée illicitement au sens de la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants du 25 octobre 1980 (" la convention de La Haye ").

31.  Le 6 octobre 2017, le tribunal municipal a rejeté la demande. Le tribunal constata tout d'abord que, le 16 septembre 2016, la résidence habituelle de l'enfant se trouvait aux États-Unis d'Amérique, où les deux parents exerçaient la garde conjointe, et que la requérante l'avait retenue à tort en République tchèque. Elle a toutefois considéré qu'il résultait du comportement du père, notamment du retard dans l'introduction de la demande de retour et de son manque d'intérêt pour l'enfant, qu'il avait acquiescé au maintien de l'enfant en République tchèque, tel que prévu par l'article 13 a) de la convention de La Haye. Compte tenu de cette conclusion, la juridiction n'a pas estimé nécessaire d'examiner s'il existait un risque grave que le retour de l'enfant l'expose à des atteintes physiques ou psychologiques.

32.  Le 9 janvier 2018, à la suite de l'appel du père, le tribunal régional de Brno infirma le jugement susmentionné et ordonna au requérant de prendre des dispositions pour renvoyer l'enfant aux États-Unis d'Amérique dans un délai d'un mois, à condition que le père mette en place plusieurs garanties visant à l'" atterrissage en douceur " de l'enfant. Le père a ainsi été chargé de trouver et de payer un logement séparé pour la requérante et l'enfant, de leur acheter des billets d'avion, de verser une pension alimentaire pour six mois sur le compte bancaire de la requérante et de s'abstenir de retirer l'enfant de la garde de fait de la requérante jusqu'à ce que les tribunaux américains se prononcent sur la question.

Selon le tribunal régional, la situation dans l'affaire dont il était saisi ne relevait pas de l'exception prévue à l'article 13, point a), de la convention de La Haye. En effet, il ne pouvait être établi, au vu des éléments de preuve montrant les tentatives du père de maintenir le contact avec l'enfant, qu'il avait consenti au déplacement du lieu de résidence habituelle de l'enfant en République tchèque, alors même qu'il n'avait engagé la procédure de retour qu'en août 2017. Quant à l'article 13 b) de la Convention de La Haye, la juridiction a estimé que le retour de l'enfant ne l'exposerait pas à un dommage physique ou psychologique ou ne contribuerait pas d'une autre manière à une aggravation de son état de santé, ni ne la placerait dans une situation intolérable, étant donné qu'il était prévu que la requérante retourne aux États-Unis d'Amérique avec elle et que le père devait leur fournir un logement convenable. Elle observe notamment que l'enfant ne souffre plus de convulsions fébriles, que les soins et traitements pédiatriques disponibles aux Etats-Unis d'Amérique sont similaires à ceux dispensés en République tchèque et que le père a prouvé que l'enfant disposait d'une assurance médicale couvrant les soins nécessaires. Par ailleurs, en ce qui concerne l'argument du requérant selon lequel l'enfant ne parlait pas anglais, la Cour a observé que, compte tenu du jeune âge de l'enfant, elle s'adapterait et apprendrait l'anglais sans difficulté.

Répondant à l'argument du requérant selon lequel l'enfant était déjà bien installé en République tchèque, la Cour a noté qu'en vertu de l'article 12 §§ 1 et 2 de la Convention de La Haye, cela ne pouvait justifier une décision de non-retour que si la procédure de retour avait été engagée plus d'un an après le non-retour illicite, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire dont elle était saisie.

33.  Le 28 février 2018, la requérante a introduit un recours constitutionnel. Parallèlement, elle a demandé à la Cour constitutionnelle de suspendre le caractère exécutoire de la décision de retour dans l'attente de ce recours, ce que la Cour constitutionnelle a accepté le 15 mars 2018.

34.  Dans sa décision n°. I. ÚS 735/18 du 11 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours constitutionnel de la requérante comme étant manifestement mal fondé. Elle a observé que le comportement de la requérante s'apparentait à une rétention illicite et que la demande de retour avait été introduite dans un délai d'un an, ce qui obligeait les juridictions à ordonner le retour de l'enfant indépendamment du fait que cette dernière s'était ou non installée dans son nouvel environnement. Elle a également approuvé la conclusion selon laquelle le comportement du père ne pouvait pas être interprété comme son consentement au séjour de longue durée de l'enfant en République tchèque.

En ce qui concerne l'exception prévue par l'article 13 (b) de la Convention de La Haye, la Cour constitutionnelle a noté que de simples différences entre les conditions de vie (logement disponible, assurance maladie) dans les deux pays ne pouvaient être considérées comme constituant un risque grave, même si le retour pouvait entraîner une détérioration de ces conditions. En l'espèce, le tribunal régional avait pris en compte la santé de l'enfant ainsi que d'autres problèmes potentiels sans conclure à l'existence d'un risque grave au sens de la disposition précitée. En outre, il a imposé au père de l'enfant des engagements qui étaient exclusivement au bénéfice de la requérante et de l'enfant et qui n'étaient pas inapplicables, illogiques ou arbitraires.

  1. Exécution de la décision de retour de l'enfant

35.  Le 20 décembre 2018, le père a demandé au tribunal municipal l'exécution de la décision de retour, qui était devenue exécutoire le 13 décembre 2018 suite à la décision du 11 décembre 2018 de la Cour constitutionnelle.

36.  Le 15 janvier 2019, la requérante a demandé la suspension du caractère exécutoire de cette décision et le classement de la procédure d'exécution, en faisant valoir que le père n'avait pas mis en place les garanties nécessaires et que les circonstances avaient changé avec le temps ; à cet égard, elle a présenté de nouveaux éléments de preuve quant aux conséquences du retour de l'enfant sur sa santé mentale et son développement.

37.  Le 27 février 2019, le tribunal communal a rejeté la demande du père en raison du non-respect de l'engagement de fournir un logement convenable à la requérante et à l'enfant, comme indiqué dans l'ordonnance de renvoi du 9 janvier 2018. La demande de la requérante du 15 janvier 2019 a également été rejetée. Les deux parents ont fait appel.

38.  Le 27 mai 2019, l'Office de l'enfance, désigné comme tuteur ad litem de l'enfant, a organisé une séance de médiation extrajudiciaire avec les deux parents qui ont été informés, entre autres, que le tribunal pouvait procéder à l'exécution en leur retirant la garde de l'enfant. Par la suite, l'Office de l'enfance a proposé de rejeter la demande d'exécution du père, observant notamment qu'il avait l'intention de déposer une plainte pénale contre la requérante aux Etats-Unis d'Amérique, ce qui empêcherait cette dernière de s'occuper de l'enfant, et qu'il était contraire à l'intérêt supérieur d'une enfant de cinq ans de la renvoyer, après trois ans de vie en République tchèque et sans aucune mesure préparatoire, dans un environnement inconnu.

39.  Lors des audiences des 23 avril et 28 mai 2019, le tribunal régional a examiné de nombreux documents concernant l'engagement de fournir un logement convenable. Il ressort des procès-verbaux pertinents que le tribunal a noté le contenu de plusieurs documents concernant la santé de l'enfant, qui étaient inclus dans le dossier, mais a refusé d'accepter certains autres éléments de preuve écrits.

40.  Le 4 juin 2019, le tribunal régional de Brno a accueilli le recours du père, a annulé la décision du tribunal municipal et a ordonné l'exécution de sa décision de retour. Il s'est satisfait du fait que le père avait déclaré devant le tribunal qu'il ne retirerait pas l'enfant de la garde de la requérante et a accepté un contrat de location conclu par le père en tant que locataire. Le tribunal a observé que, étant donné que le requérant avait refusé de se conformer à la décision de retour et de coopérer, et que le père ne connaissait pas avec certitude la date de retour et donc la date à laquelle le logement devait être disponible, il avait été équitable de lui accorder un délai plus long pour présenter des preuves et des explications supplémentaires, ce qu'il avait fait en soumettant au tribunal régional un contrat de location conclu à son nom et une preuve qu'il avait payé six mois de loyer. Il n'était pas nécessaire de fournir d'autres preuves concernant la mise en place des garanties par le père, à savoir un contrat de location indiquant la requérante comme ‑colocataire ou un autre document formel prouvant l'engagement du ‑propriétaire de l'appartement à mettre le logement à la disposition de la requérante et de sa fille à leur arrivée, puisque ces garanties ne devaient être mises en place que si la requérante se conformait de son plein gré à la décision de retour. Comme elle refusait de le faire et qu'elle entravait l'exécution efficace de la décision, il n'y avait pas d'autre solution que de lui retirer l'enfant et de la remettre au père, comme le prévoyait la décision de retour.

Quant à l'intérêt supérieur de l'enfant et à l'existence de raisons de ne pas la renvoyer en vertu de l'article 13 de la Convention de La Haye, le tribunal s'est référé à la procédure antérieure et au raisonnement de la Cour constitutionnelle dans sa décision du 11 décembre 2018, et a réitéré que le retour rapide de l'enfant aux États-Unis d'Amérique était dans son intérêt supérieur. Considérant que les arguments de la requérante contestaient principalement la régularité de la décision de retour, elle a observé que dans la procédure d'exécution, sa tâche consistait uniquement à établir si la décision de retour était définitive et si les deux parents avaient respecté les obligations imposées par cette décision, et non à examiner si la décision à exécuter était correcte d'un point de vue matériel, ni à revoir les circonstances ayant conduit à l'adoption de cette décision ou à ordonner une expertise sur l'état de santé de l'enfant. En l'espèce, il n'existait aucun motif de suspendre ou d'interrompre l'exécution, puisque les nouveaux rapports médicaux et psychologiques présentés par le requérant (voir point 39 ci-dessus) n'ont montré aucun changement dans la situation de l'enfant par rapport à celle qui avait été examinée lors de la procédure de retour ; d'autres rapports proposés par le requérant ont été considérés comme superflus. Le tribunal observe également qu'il n'y a pas d'information sur l'ouverture d'une procédure pénale pour enlèvement à l'encontre de la requérante aux Etats-Unis d'Amérique, et invite le père à s'abstenir d'en ouvrir une.

41.  Le même jour, le requérant a introduit une nouvelle demande visant à suspendre le caractère exécutoire de la décision de retour et à mettre fin à la procédure d'exécution.

42.  Le 14 juin 2019, une conférence de cas a été organisée par le Children Office en vue de discuter des questions pratiques liées au retour de l'enfant. Bien qu'avertis de la possibilité d'un déplacement forcé de l'enfant, les parents ne parvinrent pas à se mettre d'accord. Selon la requérante, il a été recommandé de prendre des mesures préparatoires avant le retour de l'enfant, ce que le père n'a pas accepté.

43.  Il ressort d'un procès-verbal du 27 juin 2019 qu'il a été convenu par téléphone avec le conseil du père que la décision de retour serait exécutée le 1er juillet 2019. Les modalités de l'exécution ont été discutées avec le Children Office (le tuteur de l'enfant), et l'assistance de la police a été demandée.

44.  Le 1er juillet 2019, la décision de retour a été exécutée en retirant l'enfant à la requérante et en la remettant au père, qui a été informé qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de retourner aux États-Unis d'Amérique avec sa mère. Le lendemain, un incident entre la requérante, le père et l'enfant s'est produit devant l'ambassade des États-Unis à Prague, enregistré sur vidéo par les médias, qui avaient été invités par le père. L'avocat du père a informé l'Office de l'enfance que le requérant avait essayé d'emmener l'enfant de force, ce que le requérant a nié. Par la suite, l'Office de l'enfance a contacté les avocats des parents pour leur demander d'exhorter les parents à calmer la situation.

45.  Le 2 juillet 2019, la requérante introduisit un recours constitutionnel pour contester la décision du 4 juin 2019. Se fondant principalement sur l'intérêt supérieur de l'enfant, son droit à sa vie privée et familiale et le droit à un procès équitable, elle a fait valoir que le tribunal régional n'avait pas examiné la qualité et le caractère exécutoire de la décision de retour, notamment en ce qui concerne les garanties qui n'avaient pas été dûment respectées par le père puisque le contrat de location qu'il avait présenté contenait de nombreuses erreurs formelles.

46.  Le 3 juillet 2019, le tribunal municipal a rejeté la demande du requérant du 4 juin 2019 (voir paragraphe 41 ci-dessus), étant donné que la décision de retour avait déjà été exécutée ; cette décision a été confirmée lors d'un appel ultérieur par le tribunal régional le 1er novembre 2019.

47.  Dans la décision n°. I. ÚS 2160/19 du 16 juillet 2019, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours constitutionnel du requérant du 2 juillet 2019 comme manifestement mal fondé, en se référant à sa décision précédente (voir le paragraphe 34 ci-dessus) et estimant que les objections du requérant avaient été dûment traitées. Il a fait sienne l'opinion du tribunal régional selon laquelle la décision à exécuter ne pouvait pas être réexaminée dans le cadre de la procédure d'exécution, qu'il n'y avait pas lieu d'interrompre cette procédure et que le père avait respecté les garanties qui lui avaient été imposées par les juridictions dans le cadre de la procédure de retour. Elle a en outre observé que la situation en cause résultait de l'incapacité des parents de l'enfant à trouver un accord et qu'il était nécessaire de stabiliser la situation. Se référant à la Convention de La Haye, la Cour constitutionnelle a conclu que ce n'est qu'après le retour de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle que les questions de garde seraient traitées par les tribunaux des États-Unis d'Amérique.

48.  Le requérant a attaqué les décisions du 3 juillet et du 1er novembre 2019 par le biais d'un recours constitutionnel. Dans la décision no. II. ÚS 210/20 du 7 avril 2020, la Cour constitutionnelle a rejeté ce recours comme manifestement mal‑ fondé. Elle a observé que les objections du requérant contre la décision de retour et la décision ultérieure selon laquelle cette décision pouvait être exécutée avaient déjà été traitées dans ses décisions précédentes n° I. ÚS 735/18 et I. ÚS 2160/19. Il s'ensuit que, dans le cadre du recours constitutionnel de la requérante, celle-ci demande à nouveau le réexamen des motifs qui sous-tendent le titre exécutoire, qui a été exécuté entre-temps. Son recours ne consistait qu'en une critique des décisions rendues en l'espèce jusqu'à présent, qui avaient été complètes et dûment motivées. Le fait que les tribunaux se soient appuyés sur une opinion juridique que la requérante ne partageait pas n'était pas une raison pour faire droit à son recours constitutionnel.

  1. Développements ultérieurs aux États-Unis d'Amérique

49.  Le 4 juillet 2019, le père et l'enfant retournèrent aux États-Unis d'Amérique, où ils furent rejoints par la requérante le 10 juillet 2019. Selon la requérante, aucun logement n'avait été prévu pour elle et l'enfant et elle a dû louer elle-même un appartement.

50.  Selon le Gouvernement, l'office des enfants a pris contact avec le père en vue d'établir son lieu de résidence aux États-Unis d'Amérique et d'organiser un contact entre la requérante et son enfant, et a invité à plusieurs reprises les parents à coopérer. Le 9 août 2019, il a également établi un rapport complet aux fins de la procédure judiciaire aux États-Unis (voir les paragraphes suivants), que le consul tchèque a remis à l'avocat américain de la requérante, ainsi qu'un exposé des conséquences juridiques de la décision de retour de l'enfant.

51.  Le 9 juillet 2019, un tribunal de district américain a rendu une ordonnance de protection temporaire attribuant la garde temporaire de l'enfant au père, principalement en raison du comportement de la requérante à l'ambassade des États-Unis (voir le paragraphe 44 ci-dessus) qui a été considéré comme s'apparentant à de la maltraitance mentale à l'égard de l'enfant. Le requérant a été autorisé à avoir des contacts avec l'enfant par le biais des télécommunications.

52.  La validité de cette ordonnance temporaire a pris fin avec la décision d'un County Circuit Court adoptée lors d'une audience le 28 août 2019, selon laquelle le requérant n'était plus empêché de rencontrer l'enfant en personne.

53.  Lors de l'audience tenue devant le County Circuit Court le 9 septembre 2019, le père s'est vu attribuer la garde temporaire de l'enfant et la requérante s'est vu accorder des visites plusieurs fois par semaine sous la supervision d'un travailleur social, sans nuitée. Selon la requérante, ces visites n'ont pu avoir lieu qu'occasionnellement car les superviseurs devaient être approuvés par le père qui ne coopérait pas ; en outre, les audiences de la procédure de garde ont été ajournées à plusieurs reprises, à la demande du père, et la prochaine audience n'a été programmée qu'en décembre 2021.

54.  À la suite d'un conflit physique entre les parents survenu dans un établissement d'accueil pour enfants le 28 août 2019, le père porta plainte contre la requérante pour voies de fait. Une autre procédure pénale pour violence domestique a été engagée concernant l'incident du 2 juillet 2019 (voir le paragraphe 44 ci-dessus). Selon la requérante, le père a également porté plainte contre elle pour l'enlèvement de l'enfant, ce qui a été nié par le Gouvernement sur la base d'informations obtenues auprès du juge américain compétent via le Réseau international de juges de La Haye. Selon les dernières informations fournies par la requérante, les tribunaux américains l'ont acquittée des accusations d'agression au cours de l'été 2021.

  1. CADRE JURIDIQUE PERTINENT

55.  Au niveau national, les procédures de retour dans les cas d'enlèvement international d'enfants sont régies par les articles 478 et suivants de la loi sur les procédures des tribunaux spéciaux (loi n° 292/2013). En particulier, l'article 489 § 2 prévoit que le tribunal peut subordonner le retour de l'enfant au respect par le demandeur de garanties adéquates.

Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants

56.  Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants sont les suivantes :

"Les États signataires de la présente Convention,

Fermement convaincu que l'intérêt de l'enfant est primordial dans les questions relatives à sa garde,

Désireux de protéger les enfants au niveau international contre les effets néfastes de leur déplacement ou de leur non-retour illicites et d'établir des procédures pour assurer leur retour rapide dans l'État de leur résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite,

Ont résolu de conclure une convention à cet effet et sont convenus des dispositions suivantes ...".

Article 1

"La présente Convention a pour objet -

a) d'assurer le retour rapide des enfants déplacés ou retenus illicitement dans un Etat contractant ; et

b) d'assurer que le droit de garde et le droit de visite prévus par la loi d'un Etat contractant soient effectivement respectés dans les autres Etats contractants. ..."

Article 3

"Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite dans les cas suivants : - le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite dans les cas suivants

a) en violation du droit de garde attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, en vertu du droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

b) au moment de la révocation ou du maintien en fonction, ces droits étaient effectivement exercés, soit conjointement, soit isolément, ou l'auraient été si la révocation ou le maintien en fonction n'avait pas eu lieu.

Le droit de garde mentionné à l'alinéa a) ci-dessus peut notamment résulter de l'application de la loi ou d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord produisant des effets juridiques selon le droit de cet État."

Article 4

"La Convention s'applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant immédiatement avant toute violation du droit de garde ou du droit de visite. La Convention cesse de s'appliquer lorsque l'enfant atteint l'âge de 16 ans".

Article 5

"Aux fins de la présente Convention -

a) le "droit de garde" comprend les droits relatifs aux soins de la personne de l'enfant et, en particulier, le droit de déterminer le lieu de résidence de l'enfant ;

b) le "droit de visite" comprend le droit d'emmener un enfant, pour une période limitée, dans un lieu autre que sa résidence habituelle. ..."

Article 11

"Les autorités judiciaires ou administratives des Etats contractants agissent avec diligence dans les procédures de retour des enfants.

Si l'autorité judiciaire ou administrative concernée n'a pas statué dans un délai de six semaines à compter de la date d'introduction de la procédure, le demandeur ou l'autorité centrale de l'État requis, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité centrale de l'État requérant, a le droit de demander que soient exposées les raisons du retard. ..."

Article 12

"Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et que, à la date d'introduction de l'instance devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'État contractant où se trouve l'enfant, une période de moins d'un an s'est écoulée depuis la date du déplacement ou du non-retour illicite, l'autorité concernée ordonne sans délai le retour de l'enfant.

L'autorité judiciaire ou administrative, même si la procédure a été engagée après l'expiration du délai d'un an visé au paragraphe précédent, ordonne également le retour de l'enfant, à moins qu'il ne soit démontré que l'enfant est désormais installé dans son nouveau milieu.

Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative de l'État requis a des raisons de croire que l'enfant a été emmené dans un autre État, elle peut surseoir à statuer ou rejeter la demande de retour de l'enfant".

Article 13

"Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant si la personne, l'institution ou tout autre organisme qui s'oppose au retour de l'enfant établit que

a) la personne, l'institution ou tout autre organisme ayant la charge de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde au moment du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou acquiescé ultérieurement au déplacement ou au non-retour ; ou

b) il existe un risque grave que son retour expose l'enfant à des dommages physiques ou psychologiques ou le place dans une situation intolérable.

L'autorité judiciaire ou administrative peut également refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que l'enfant s'y oppose et qu'il a atteint un âge et un degré de maturité tels qu'il est approprié de tenir compte de son opinion.

Lors de l'examen des circonstances visées au présent article, les autorités judiciaires et administratives tiennent compte des informations relatives au milieu social de l'enfant fournies par l'autorité centrale ou toute autre autorité compétente de la résidence habituelle de l'enfant".

  1. LA LOI

Violation alléguée de l'article 8 de la Convention

57.  La requérante se plaint que les tribunaux tchèques ont ordonné l'exécution de la décision de renvoyer sa fille aux États-Unis d'Amérique, en violation de son droit au respect de sa vie familiale en vertu de l'article 8 de la Convention.

58.  Invoquant l'article 6 de la Convention, la requérante a également affirmé que son affaire avait de facto été tranchée à un seul niveau (en appel), que ses demandes et les preuves qu'elle avait présentées n'avaient pas été traitées ou avaient été rejetées, que l'avis du tuteur de l'enfant n'avait pas été pris en compte, que la décision de retour n'avait pas été réexaminée dans le cadre de la procédure d'exécution et que les garanties imposées par la décision de retour n'avaient pas été respectées.

59.  La Cour rappelle qu'elle a déjà jugé que si l'article 8 ne contient pas d'exigences procédurales explicites, le processus décisionnel conduisant aux mesures d'ingérence doit être équitable et de nature à respecter dûment les intérêts sauvegardés par l'article 8 (voir, parmi d'autres autorités, Kutzner c. Allemagne, no. 46544/99, § 56, ECHR 2002I‑).

60.  En l'espèce, la Cour, maîtresse de la qualification à donner en droit aux faits de la cause, considère que tous les griefs soulevés par la requérante, dans la mesure où ils soulèvent des questions au regard de la Convention, doivent être examinés dans le cadre de son grief principal tiré de l'article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 41, 22 avril 2010). Cette disposition se lit comme suit :

"Toute personne a droit au respect de sa vie ... familiale ...

2.  Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".

  1. Recevabilité

61.  Le Gouvernement objecte que, dans la mesure où les griefs du requérant concernent la procédure de retour, dans laquelle la juridiction interne a été appelée à examiner les griefs du requérant relatifs aux exceptions à la règle du retour prévues à l'article 13 de la Convention de La Haye, la requête a été introduite en dehors du délai de six mois puisque cette procédure s'est achevée par la décision de la Cour constitutionnelle du 11 décembre 2018 (voir le paragraphe 34 ci-dessus). Bien que la procédure de retour et la procédure d'exécution aient été liées, le requérant aurait dû prévoir qu'à la suite de la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle, la décision de retour serait effectivement exécutée.

62.  Tout en confirmant qu'elle ne voyait pas de violation de ses droits dans les conclusions des juridictions internes dans la procédure de retour et que sa demande portait principalement sur la procédure d'exécution, la requérante soutenait que les deux procédures étaient étroitement liées et interdépendantes et qu'elles devaient être considérées comme un tout. Cela était d'autant plus vrai que le tribunal régional n'avait pas examiné les exceptions prévues à l'article 13 b) de la convention de La Haye dans la procédure de retour et qu'il aurait donc dû les examiner dûment dans la procédure d'exécution, en déterminant si les garanties imposées avaient été respectées.

63.  La Cour observe que le requérant ne conteste pas la décision de retour en tant que telle, mais plutôt la conclusion des juridictions, tirée dans le cadre de la procédure d'exécution, selon laquelle cette décision était susceptible d'être exécutée. Elle se concentrera donc sur la procédure d'exécution, qui s'est achevée par les décisions de la Cour constitutionnelle du 16 juillet 2019 et du 7 avril 2020 (voir points 47-48 ci-dessus) et pour laquelle la requête a été introduite dans les délais, et apprécier si les juridictions internes ont procédé à un examen adéquat de l'exécution et de ses conséquences.

64.  La Cour relève en outre que ce grief n'est ni manifestement mal fondé ‑ni irrecevable pour les autres motifs énumérés à l'article 35 de la Convention. Il doit donc être déclaré recevable.

  1. Mérites
    1. Observations des parties

65.  La requérante observe que le père a mis plus de onze mois pour introduire sa demande de retour de l'enfant, ce qui aurait dû suffire pour appliquer l'article 13 (a) de la Convention de La Haye et rejeter la demande en raison de l'écoulement du temps. Selon elle, les tribunaux n'ont pas pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, adoptant une approche simpliste selon laquelle toute demande introduite dans le délai d'un an devait être acceptée.

66.  La requérante soutient que la violation de l'article 8 découle notamment du fait que le tribunal régional de Brno, dont les décisions sont déterminantes, n'a jamais véritablement examiné les exceptions prévues à l'article 13 b) de la convention de La Haye et a interprété cette disposition de manière très restrictive. Elle fait valoir que, dès lors que, dans la décision de retour (voir point 32 ci-dessus), le tribunal avait ignoré cette question en supposant qu'elle retournerait aux États-Unis d'Amérique avec l'enfant et bénéficierait des garanties imposées au père, elle s'attendait à ce que ces éléments soient examinés dans la procédure d'exécution ; or, dans cette procédure, le tribunal s'était borné à juger que la décision de retour était présumée correcte (voir point 40 ci-dessus). Indépendamment des limites de la procédure d'exécution, la requérante estime que le tribunal aurait dû examiner les nouveaux éléments de preuve étayant ses demandes de suspension du caractère exécutoire de la décision de retour. Ces preuves, qui concernaient notamment l'intention initiale de la famille de rester à long terme en République tchèque, les problèmes de santé et de développement de l'enfant autres que les convulsions fébriles, et l'environnement dans lequel elle devait être renvoyée, prouvaient, selon la requérante, que la question de la rétention illégale était très discutable et que la décision de retour avait été incorrecte. Toutefois, les éléments de preuve susmentionnés ont été rejetés (voir, en particulier, le paragraphe 39 ci-dessus), sans examen approprié, tout comme ses demandes respectives (voir paragraphes 36 et 46 ci-dessus), ce qui constitue une violation de ses droits au titre de l'article 8.

67.  En outre, la requérante reprochait au père et aux tribunaux tchèques les retards qui l'avaient amenée, elle et sa fille, à vivre dans l'incertitude et à ce que l'enfant soit finalement renvoyée aux États-Unis d'Amérique après avoir vécu trois ans en République tchèque. Elle a nié avoir refusé de se rendre aux États-Unis d'Amérique avec sa fille, déclarant qu'elle était prête à y retourner, mais seulement après que les garanties nécessaires aient été mises en place. Cependant, le père ne lui a jamais demandé de coopérer à cet égard et n'a participé à aucune sorte de négociation extrajudiciaire. Il n'a ensuite fourni aucune preuve crédible de l'obtention d'un logement séparé pour lui et leur fille, comme un contrat de location en bonne et due forme. Selon la requérante, la décision de retour n'aurait donc jamais dû devenir exécutoire. La requérante a fait observer que ses doutes concernant les garanties s'étaient avérés justifiés puisqu'elle avait découvert, après avoir déménagé aux États-Unis d'Amérique, qu'aucun logement n'avait été obtenu.

68.  En ce qui concerne la situation après le retour de l'enfant aux États-Unis d'Amérique, la requérante fait valoir qu'elle n'a d'abord eu aucune information sur le lieu où se trouvait l'enfant et qu'elle n'a ensuite reçu que des visites surveillées sans nuitée, ce qui ne pouvait se produire que rarement (voir le paragraphe 53 ci-dessus). Selon la requérante, le facteur clé ayant amené les juridictions américaines à accorder la garde temporaire de l'enfant au père était le jugement du tribunal régional de Brno du 9 janvier 2018, qu'elles avaient pris par erreur pour une décision sur la garde ; selon elle, l'État défendeur était donc responsable des conséquences produites aux États-Unis d'Amérique par la décision de la juridiction interne. Elle soutient en outre que les tribunaux américains n'ont jamais interrogé l'enfant et qu'il n'y a pas eu d'enquête sur le ménage du père ; l'enfant serait en mauvaise santé, elle montrerait des signes de traumatisme, le père ne lui apporterait pas les soins nécessaires et l'empêcherait d'aller à l'école.

69.  Le Gouvernement rappelle que les arguments du requérant concernant les exceptions à la règle du retour ne peuvent être examinés que dans la procédure de retour, et non dans la procédure d'exécution dans laquelle le tribunal n'est pas appelé à vérifier si la décision de retour est correcte sur le fond. Si un changement dans les faits pertinents peut exceptionnellement justifier la non-exécution d'une décision de retour définitive, la Cour doit être convaincue qu'un tel changement n'est pas dû au fait que l'Etat n'a pas pris toutes les mesures dont on pouvait raisonnablement attendre qu'elles facilitent l'exécution de la décision de retour (le Gouvernement cite Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 63, 24 avril 2003, et Makhmudova c. Russie, no 61984/17, § 68, 1er décembre 2020).

70.  En l'espèce, le tribunal régional s'était écarté du tribunal municipal pour apprécier, au cours de la procédure de retour, l'existence de l'exception prévue à l'article 13 a) de la convention de La Haye, puisqu'il avait constaté que le père n'avait pas consenti ou acquiescé au non-retour de l'enfant (voir point 32 ci-dessus). Au titre de l'article 13 b) de la Convention de La Haye, la requérante a fait valoir que leur logement aux Etats-Unis d'Amérique n'était pas adéquat, que l'enfant ne parlait pas anglais, qu'elle était habituée à vivre en République tchèque et que son état de santé était mauvais. Si le tribunal municipal n'a pas jugé nécessaire d'examiner ces objections (voir paragraphe 31 ci-dessus), le tribunal régional a estimé que l'enfant ne subirait aucun préjudice si elle était renvoyée aux Etats-Unis d'Amérique avec le requérant (qui est également citoyen américain), qu'elle ne souffrait plus de convulsions fébriles, qu'on ne pouvait s'attendre à aucun problème d'adaptation sérieux puisqu'elle n'avait que quatre ans, et que la question du logement serait résolue par les mesures de protection imposées au père. Ainsi, les arguments de la requérante ont été examinés de manière approfondie, de nombreuses preuves ont été prises en compte et le tribunal régional a dûment étayé ses conclusions, conformément aux exigences procédurales de l'article 8 de la Convention.

71.  Le Gouvernement souligne en outre que le tribunal régional a subordonné le retour de l'enfant à l'acceptation par le père de plusieurs garanties visant à assurer à l'enfant un " atterrissage en douceur ", notamment la mise à disposition d'un logement séparé pour la requérante et l'enfant. Dans la procédure d'exécution, la requérante s'était principalement plainte que le père n'avait pas respecté la garantie relative au logement puisqu'il n'avait pas prouvé qu'il avait conclu un contrat de location valide en son nom. Le tribunal régional a tenu deux audiences sur cette question (voir paragraphe 39 ci-dessus). Observant que l'engagement susmentionné ne s'appliquait que si la requérante retournait aux Etats-Unis d'Amérique avec sa fille, le tribunal avait fini par admettre que, dans une situation où la requérante n'avait pas été coopérative et avait refusé de retourner aux Etats-Unis d'Amérique, il était compréhensible que le père ne l'ait pas immédiatement incluse dans le contrat de location (voir paragraphe 40 ci-dessus). Le Gouvernement estime donc que le tribunal régional a fait des constatations suffisantes pour prouver que des garanties adéquates et des mesures de protection tangibles avaient été prévues de manière convaincante aux Etats-Unis d'Amérique. Il n'a pas non plus constaté d'altération de l'état de santé de l'enfant qui empêcherait son retour. Pour toutes ces raisons, elle a ordonné l'exécution de sa décision de retour, estimant qu'elle était dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et a invité le père à s'abstenir de déposer une plainte pénale contre la requérante (voir paragraphe 40 in fine ci-dessus).

72.  Le Gouvernement observe que la requérante a refusé de rendre sa fille volontairement, bien qu'elle ait été avertie à plusieurs reprises de la possibilité d'un déplacement forcé de l'enfant, et qu'elle n'a pas non plus présenté d'éléments de preuve montrant que l'enfant était exposée à un risque de préjudice grave. Il a donc fallu remettre l'enfant au père avec l'aide de la police et du tuteur de l'enfant (voir paragraphes 43-44 ci-dessus). Selon le Gouvernement, ce jour-là, la requérante et sa fille ont été conduites dans un service psychiatrique d'un hôpital où des travailleurs sociaux ont préparé avec succès l'enfant à partir avec son père. Le Gouvernement ajoute qu'il ne peut être tenu pour responsable des faits survenus après le retour de l'enfant aux Etats-Unis d'Amérique.

  1. L'appréciation de la Cour
    1. Principes généraux

73.  Les principes pertinents concernant l'ingérence dans le droit au respect de la vie familiale et les obligations positives de l'État au titre de l'article 8 de la Convention dans les affaires concernant le retour d'un enfant en vertu de la Convention de La Haye sont résumés dans l'affaire X c. Lettonie ([GC], no 27853/09, §§ 92-108, CEDH 2013).

74.  Aux fins de la présente affaire, la Cour relève en particulier que la Grande Chambre a constaté qu'une interprétation harmonieuse de la Convention européenne et de la Convention de La Haye peut être réalisée pour autant que les deux conditions suivantes soient respectées. D'une part, les éléments susceptibles de constituer une exception au retour immédiat de l'enfant en application des articles 12, 13 et 20 de la convention de La Haye, notamment lorsqu'ils sont soulevés par l'une des parties à la procédure, doivent véritablement être pris en compte par la juridiction requise. Cette juridiction doit ensuite rendre une décision suffisamment motivée sur ce point, afin de permettre à la Cour de vérifier que ces questions ont été effectivement examinées. D'autre part, ces éléments doivent être appréciés à la lumière de l'article 8 de la Convention. La Grande Chambre a également souligné que, le préambule de la Convention de La Haye prévoyant le retour des enfants " dans l'État de leur résidence habituelle ", les juridictions doivent s'assurer que des garanties adéquates sont fournies de manière convaincante dans ce pays et, en cas de risque avéré, que des mesures de protection tangibles sont mises en place (ibid., §§ 106-08).

  1. Application à la présente affaire

75.  Dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour n'est pas appelée à réexaminer la procédure qui a conduit à l'adoption de la décision de retour, mais plutôt la procédure d'exécution ultérieure au cours de laquelle les juridictions internes ont conclu que la décision était susceptible d'être exécutée (voir point 63 ci-dessus).

76.  À cet égard, la Cour souligne également qu'un certain nombre de questions soulevées par le requérant au cours de la procédure d'exécution avaient déjà été soulevées, ou auraient pu l'être, au cours de la procédure de retour, qui a culminé avec la décision de la Cour constitutionnelle du 11 décembre 2018 (voir le paragraphe 34 ci-dessus). C'est le cas notamment en ce qui concerne les arguments du requérant liés à l'application des exceptions prévues aux articles 12 et 13 de la Convention de La Haye. En effet, à titre exceptionnel, un changement dans les faits pertinents entre la décision de retour et son exécution peut justifier un réexamen (voir Sylvester, précité, § 63, et Makhmudova, précité, § 68). Toutefois, le simple fait que le droit procédural interne, dans le cadre particulier de la Convention de La Haye, ait empêché le requérant de faire réexaminer, dans la procédure d'exécution ultérieure, les conclusions des juridictions sur ces questions rendues dans la procédure de retour, n'est pas en soi problématique du point de vue de l'article 8 de la Convention.

77.  La Cour note qu'il a été établi dans la procédure de retour que la requérante avait agi " illicitement " au sens de la convention de La Haye en retenant sa fille en République tchèque alors que la résidence habituelle de cette dernière se trouvait aux Etats-Unis d'Amérique (voir paragraphe 31 ci-dessus). Il a par ailleurs été conclu qu'aucune des exceptions prévues aux articles 12 et 13 de la Convention de La Haye n'était applicable. Ainsi, la requérante ne s'étant pas conformée volontairement à la décision définitive de retour et le père ayant dès lors demandé l'exécution judiciaire de cette décision, il incombait aux juridictions chargées de l'exécution de mener à bien les procédures d'exécution prévues par le droit national.

78.  La Cour note en outre que, lorsqu'il a ordonné le retour de l'enfant aux Etats-Unis d'Amérique, le tribunal régional de Brno a présumé, sur la base des observations des parties, que la requérante accompagnerait sa fille et que celle-ci continuerait à résider avec elle ; aucun élément n'indiquait qu'un retour dans de telles circonstances exposerait l'enfant à un préjudice physique ou psychologique ou la placerait dans une situation intolérable. Afin de répondre aux préoccupations de la requérante relatives à la situation du logement et au comportement antérieur du père, le tribunal a ordonné à ce dernier de fournir à la requérante et à sa fille un logement séparé convenable. Il a ainsi satisfait à l'obligation de mettre en place des mesures de protection tangibles (voir X c. Lettonie, précité, §§ 93-108) et, en exigeant du père qu'il mette en place des garanties supplémentaires visant à assurer à l'enfant un " atterrissage en douceur ", il a également pris des dispositions adéquates pour protéger l'intérêt supérieur de l'enfant lors de son retour.

79.  Il ne ressort pas des éléments du dossier que, dans le cadre de la procédure d'exécution ultérieure, la requérante ait fourni des raisons objectives pertinentes pour justifier sa nouvelle préférence, manifestée seulement après la procédure de retour, de ne pas retourner aux États-Unis d'Amérique avec sa fille. Elle s'est contentée d'expliquer sa position en affirmant que le père n'avait pas respecté la garantie de logement (voir points 36 et 67 ci-dessus), ce que le tribunal régional a réfuté après avoir examiné les preuves. A cet égard, il a jugé suffisant que le père ait présenté un contrat de location conclu à son nom, estimant que dans une situation où la requérante refusait de retourner aux Etats-Unis d'Amérique et de coopérer avec le père, il était compréhensible que ce dernier ne l'ait pas incluse dans le bail (voir paragraphes 39-40 ci-dessus). La Cour note dans ce contexte que la requérante a non seulement vécu aux Etats-Unis d'Amérique pendant plusieurs années mais qu'elle a également acquis la nationalité américaine (voir paragraphes 25-28 ci-dessus). Il apparaît également que, suite au départ de sa fille, elle est retournée vivre aux Etats-Unis d'Amérique, où elle a trouvé un logement (voir paragraphe 49 ci-dessus).

80.  A cet égard, la Cour rappelle d'ailleurs son arrêt Maumousseau et Washington c. France (no 39388/05, § 69, 6 décembre 2007), dans lequel elle rappelle que le but de la Convention de La Haye est d'éviter que le parent " ravisseur " ne parvienne à légitimer, par l'écoulement du temps en sa faveur, une situation de fait qu'il a créée unilatéralement. Dans cette affaire, les autorités nationales avaient notamment souligné que la mère, contrairement à ce qu'elle soutenait, pouvait accompagner sa fille dans l'Etat où elle avait sa résidence habituelle afin d'y faire valoir ses droits. Cet élément a été considéré comme essentiel par la Cour, la mère ayant un accès illimité au territoire de l'Etat en question et pouvant saisir les juridictions compétentes de cet Etat (ibid., § 74).

81.  Le Tribunal partage l'avis du requérant selon lequel la notion d'intérêt supérieur de l'enfant devrait être primordiale dans les procédures mises en place par la convention de La Haye. L'intérêt supérieur de l'enfant fait partie de la logique de la Convention de La Haye et, dans le cadre d'une procédure de retour, il doit être évalué à la lumière des exceptions prévues par la Convention de La Haye. Par conséquent, le fait que les juridictions internes aient rejeté certaines informations et certains éléments de preuve comme n'étant pas pertinents pour la procédure en question ne saurait être interprété comme une méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant (voir Andersena c. Lettonie, no 79441/17, § 119, 19 septembre 2019). En outre, il ne faut pas perdre de vue que parmi les éléments constitutifs de cette notion figure également le fait que l'enfant n'est pas retiré à l'un de ses parents et retenu par l'autre, qui considère, à tort ou à raison, que son droit sur la personne de l'enfant est aussi important, voire plus important (voir Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005XIII ‑(extraits)).

82.  En l'espèce, le tribunal régional a finalement conclu, dans le cadre de la procédure d'exécution, que l'intérêt supérieur de l'enfant exigeait qu'elle soit rapidement renvoyée aux Etats-Unis d'Amérique. Certes, il a observé que la décision de retour étant définitive, il n'était pas possible d'examiner si cette décision était correcte d'un point de vue matériel ou de réexaminer les circonstances ayant conduit à son adoption. Toutefois, compte tenu de l'étendue de l'affaire et de l'examen effectué par la Cour (voir points 63 et 75 ci-dessus), on ne saurait dire que le tribunal régional n'a pas tenu compte des développements intervenus depuis le jugement ordonnant le retour de l'enfant. En effet, il ressort de sa décision du 4 juin 2019 qu'il a examiné plusieurs nouveaux rapports médicaux et psychologiques soumis par la requérante mais qu'il a conclu, de manière certes succincte, qu'ils ne montraient pas de changement dans la situation de l'enfant par rapport à celle qui avait été examinée lors de la procédure de retour (voir le paragraphe 40 ci-dessus). L'avis du tribunal régional a été entériné par la Cour constitutionnelle dans ses décisions du 16 juillet 2019 et du 7 avril 2020 (voir les paragraphes 47-48 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que le fait pour une juridiction interne de parvenir à une conclusion différente de celle souhaitée par l'une des parties à un litige ne saurait être assimilé à l'absence de prise en compte d'un argument ou d'un élément de preuve particulier (Andersena, précité, § 122).

83.  La Cour note enfin que la manière dont l'exécution a été menée (voir point 44 ci-dessus) a résulté en grande partie du refus constant de la requérante de remettre volontairement l'enfant à son père, malgré une décision de justice exécutoire depuis plus de six mois, et de son comportement à l'égard du père. La Cour constitutionnelle tchèque, dans sa décision du 16 juillet 2019 (voir paragraphe 47 ci-dessus) a souligné l'incapacité de la requérante et de son mari à trouver un accord et a exigé une stabilisation.

84.  Dans ces conditions, la Cour estime que l'examen par les juridictions internes des demandes formulées par la requérante dans le cadre de la procédure d'exécution a satisfait aux exigences procédurales imposées par l'article 8 de la Convention et que la décision d'exécuter le retour de sa fille était suffisamment motivée. Sur la base des documents qui lui ont été soumis, la Cour est convaincue que les juridictions internes, dans le cadre de leur marge d'appréciation, ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, compte tenu notamment du fait que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération primordiale.

85.  Par conséquent, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

  1. Déclare recevable la demande de révision de l'arrêt du 12 mai 2022 introduite par le requérant ;
  2. décide de réviser l'arrêt ;
  3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

 

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