Le 04 avril 2023, la CEDH a rendu 2 arrêts portant chacun sur la même question : le refus des autorités d’inscrire une femme transgenre en tant que mère du requérant au registre d’état civil alors qu’elle n’en avait pas accouché emporte-t-il violation de la Convention ?
 
On pourrait penser que la réponse est dans la question, mais quand on sait qu'il s'agissait en l'espèce de condamner l'Allemagne, en contredisant pour ce faire la Cour constitutionnelle allemande qui vient de se prononcer sur la même question, on peut se dire que CEDH y a réfléchi à deux fois.
 
D'ailleurs, pour le coup, la CEDH a retrouvé l'usage de la notion de "conflits de droits", qu'elle avait un peu abandonné ces dernières années, en se rappelant qu'elle était très pratique quand il fallait justifier qu'on laisse une marge de manoeuvre importante à l'Etat mis en cause.
 
En bref, le premier des deux arrêts résument le tout.
 
Il s'agit de 3 requérants, dont un parent transgenre (A.H.), qui se plaignent du refus des autorités de l’état civil de l’inscrire comme mère du deuxième requérant (L.D.H.), au motif qu’il/elle n’avait pas donné naissance à ce dernier : c'est la troisième requérante (G.H.) qui a accouché de l’enfant, conçu avec les gamètes mâles de A.H.
 
Cette situation vient de ce d'en droit allemand, l’ancien sexe et l’ancien prénom du parent transgenre doit être indiqué, même lorsque la naissance de l’enfant est postérieure au changement de sexe.
 
La CEDH a d'abord pris en compte le fait que le lien de filiation lui-même n’avait pas été mis en cause et le nombre limité de situations pouvant mener à la révélation de l’identité transgenre de la première requérante qui est inscrite en tant que père dans le registre des naissances.
 
La CEDH a ensuite énoncé qu'elle laissait en l'espèce une marge d’appréciation étendue à l’État défendeur pour aménager son droit en la matière.
 
En conclusion, la CEDH a estimé que les juridictions allemandes avaient ménagé un juste équilibre entre les droits des requérantes, les intérêts du requérant et les intérêts publics.
 
L'arrêt a été rédigé en français, je l'attache en pièce jointe, et la partie la plus intéressante du raisonnement de la Cour est reproduit ci-dessous.

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 Sur la question de savoir si l’affaire porte sur une obligation positive ou sur une ingérence

109.  La Cour rappelle que, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif s’ajoutent des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à une définition précise, mais les principes applicables dans le cas des premières sont comparables à ceux valables pour les secondes. Pour déterminer si une obligation – positive ou négative – existe, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu (voir, entre autres, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 78, CEDH 2013, et X, Y et Z c. Royaume‑Uni, 22 avril 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II).

110.  Dans des affaires comparables, la Cour a jugé plus approprié d’examiner des allégations liées au refus de réassignation de genre sous l’angle des obligations positives de garantir le respect de l’identité de genre des individus (voir, par exemple, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, §§ 62‑64, CEDH 2014 ; A.P., Garçon et Nicot, précité, § 99 ; S.V. c. Italie, précité, §§ 60‑75). Compte tenu des faits et des observations des parties, la Cour estime qu’en l’occurrence la question principale à trancher est celle de savoir si le dispositif réglementaire en place et les décisions prises à l’égard des requérants permettent de constater que l’État s’est acquitté de ses obligations positives de respect de la vie privée des requérants.

111.  Les principes généraux applicables à l’appréciation des obligations positives de l’État ont été résumés dans l’arrêt Hämäläinen (précité, §§ 65‑67, ainsi que dans les affaires qui y sont citées). La Cour rappelle en particulier qu’elle a établi un certain nombre d’éléments pertinents pour apprécier le contenu de ces obligations positives, notamment l’importance de l’intérêt en jeu pour un requérant ou la mise en cause de valeurs fondamentales ou d’aspects essentiels de la vie privée de celui‑ci, ainsi que l’impact sur l’intéressé d’un conflit entre la réalité sociale et le droit, et l’impact sur l’État en cause du caractère ample et indéterminé, ou étroit et défini, de l’obligation positive alléguée (ibid., § 66).

b)    Sur la marge d’appréciation

112.  Dans la mise en œuvre des obligations positives qui leur incombent au titre de l’article 8, les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Pour déterminer l’ampleur de cette marge d’appréciation, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011 ; L.D. et P.K. c. Bulgarie, nos 7949/11 et 45522/13, § 59, 8 décembre 2016 ; et Mennesson c. France, no 65192/11, § 77, CEDH 2014 (extraits)). En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large. La marge d’appréciation est d’une façon générale également ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit (Hämäläinen, précité, § 67 ; S.H. et autres c. Autriche, précité, § 94 ; et Evans c. Royaume‑Uni [GC], no 6339/05, § 77, CEDH 2007‑I).

113.  La Cour relève que les requérants soutiennent que les droits invoqués par eux touchent notamment à l’identité de genre et à la filiation, qui constituent un aspect fondamental du droit au respect de la vie privée et relèvent d’un domaine dans lequel les États ne disposent en règle générale que d’une marge d’appréciation restreinte (A.P., Garçon et Nicot, précité, § 123, et Mandet, c. France, no 30955/12, § 52, 14 janvier 2016). Elle observe que, pour ce qui est des requérantes, et en particulier de la première d’entre elles dans l’hypothèse où celle‑ci viendrait à être inscrite dans le registre des naissances en tant que père du requérant, ce ne sont pas les inscriptions contenues dans les documents officiels les concernant, mais les informations figurant dans le registre des naissances du requérant, c’est‑à‑dire d’une autre personne, qui sont à l’origine de leur grief. Pour ce qui est du requérant, le droit à l’autodétermination n’est pas remis en cause par la possible divulgation d’un fait concernant sa propre identité de genre mais par celle de l’identité transgenre d’un de ses parents. La Cour relève par ailleurs que si le droit de connaître sa filiation du requérant est concerné, en l’espèce ce droit est de nature à limiter les droits invoqués par les requérantes. Il s’ensuit que la marge d’appréciation ne s’en trouve pas restreinte par les droits invoqués en jeu.

114.  La Cour observe ensuite qu’il n’y a pas de consensus parmi les États européens sur la question de savoir comment indiquer, dans les registres de l’état civil concernant un enfant, que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre. En effet, ainsi que cela ressort des données publiées par l’organisation Transgender Europe (paragraphe 69 ci‑dessus), seuls cinq États ont prévu la possibilité de faire figurer dans ces registres une mention du sexe reconnu, tandis que la majorité des États continuent à désigner la personne ayant accouché d’un enfant comme étant la mère de celui‑ci et à permettre à la personne ayant contribué à la fécondation par son sperme de reconnaître sa paternité à l’égard de l’enfant. Cette absence de consensus reflète le fait que la parentalité d’une personne qui a changé de genre suscite de délicates interrogations d’ordre éthique, et confirme que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation.

115.  La Cour note enfin que les autorités allemandes ont été appelées à mettre en balance plusieurs intérêts privés et publics et plusieurs droits divergents : tout d’abord, les droits des requérantes ; ensuite, les droits fondamentaux et les intérêts du requérant, c’est‑à‑dire son droit de connaître sa filiation ainsi que son intérêt à être rattaché de manière stable à ses parents, droits et intérêts qui, selon les considérations formulées par la Cour fédérale de justice dans sa décision de principe du 6 septembre 2017, à laquelle cette haute juridiction a largement fait référence dans la décision qu’elle a rendue dans la présente affaire (paragraphes 49‑58 ci‑dessus), ne se trouvaient pas là où les requérants les voyaient (Mandet, précité, §§ 57 et 59) ; enfin, l’intérêt public résidant dans la cohérence de l’ordre juridique et dans l’exactitude et l’exhaustivité des registres de l’état civil, qui ont une force probante particulière. Cette circonstance plaide également en faveur de l’existence d’une ample marge d’appréciation.

116.  Dès lors, au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour estime que les autorités allemandes disposaient en l’espèce d’une ample marge d’appréciation.

117.  La Cour rappelle toutefois que les choix opérés par l’État, même dans les limites de cette marge d’appréciation, n’échappent pas à son contrôle. Il lui incombe en effet d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par cette solution. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui‑ci doit primer (Mennesson, précité, § 81 ; Mandet, précité, § 53 ; et L.D. et P.K. c. Bulgarie, précité, § 61).

c)     Sur le droit des requérants au respect de leur vie privée

118.  La Cour note que, contrairement aux requérants dans d’autres affaires qu’elle a examinées par le passé, la première requérante ne se plaint pas de l’absence de reconnaissance de son changement de genre dans les documents officiels la concernant (voir, par exemple et parmi beaucoup d’autres, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, CEDH 2002‑VI), mais du refus des autorités d’indiquer son genre et ses prénoms actuels dans un acte officiel concernant son fils et du fait qu’il ne lui est proposé qu’une seule manière d’établir un lien de filiation juridique avec lui, qui consiste à effectuer une reconnaissance de paternité puis à se faire inscrire dans le registre des naissances en tant que père du requérant.

119.  La Cour relève que, selon l’intention du législateur allemand, l’ancien sexe et l’ancien prénom du parent transgenre devaient être indiqués non seulement en cas de naissance survenue avant que la reconnaissance du changement de genre du parent fût devenue définitive, mais aussi lorsque, comme en l’espèce, la conception ou la naissance de l’enfant était postérieure au changement de genre. En effet, le texte de l’article 11 § 1 de la loi TSG avait été explicitement modifié en ce sens au cours du processus législatif au motif que, selon les connaissances médicales d’alors, il n’était pas exclu que des personnes présumées incapables de procréer pussent néanmoins concevoir ou mettre au monde un enfant après une opération de changement de sexe (paragraphe 31 ci‑dessus).

120.  La Cour observe que la présente situation a été rendue possible notamment après que la Cour constitutionnelle fédérale, dans son arrêt du 11 janvier 2011 (paragraphes 41‑43 ci-dessus), eut déclaré contraires à la Loi fondamentale l’obligation, pour une personne désireuse d’obtenir une reconnaissance de changement de genre, de subir une opération chirurgicale, ainsi que la condition d’une stérilité irréversible. La juridiction constitutionnelle a en effet estimé que le droit des personnes transgenres à l’autodétermination l’emportait sur les raisons qui avaient amené le législateur à poser de telles conditions préalables à la reconnaissance d’un changement de genre. La Cour note que cet arrêt visait à renforcer les droits des personnes transgenres et à assurer leur protection à un niveau qu’elle a elle‑même demandé ultérieurement, comme découlant des obligations positives au regard de l’article 8 de la Convention (A.P., Garçon et Nicot, précité, § 135). Elle relève qu’il ressort de l’arrêt en question que la Cour constitutionnelle fédérale était consciente que des situations telles que celle de l’espèce étaient susceptibles de se produire dans le futur, mais qu’elle a estimé qu’il existait des possibilités légales de garantir que les enfants ayant un parent transgenre préserveraient leur rattachement à leur père et à leur mère (paragraphe 43 ci‑dessus).

121.  La Cour note que la Cour fédérale de justice a reconnu que le fait que la première requérante ne pouvait être inscrite dans le registre des naissances comme parent du requérant que sous son sexe d’origine était de nature à porter atteinte à la reconnaissance de son identité de genre. La haute juridiction a cependant rappelé que le droit à l’épanouissement de la personnalité était limité, entre autres, par les articles 1591 et 1592 du CC ainsi que par la première phrase de l’article 11 de la loi TSG (paragraphes 22, 23 et 30 ci‑dessus) telle qu’elle l’avait interprétée dans son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 49-58 ci-dessus). Dans cet arrêt, qu’elle avait rendu quelques semaines avant de se prononcer dans la cause des présents requérants, la Cour fédérale de justice avait estimé que les droits du parent transgenre dans l’affaire dont elle était saisie devaient être mis en balance avec, d’une part, des intérêts publics, en particulier la cohérence de l’ordre juridique et la tenue de registres de l’état civil complets et exacts et, d’autre part, les droits et intérêts de l’enfant, notamment le droit de connaître ses origines, le droit à recevoir soins et éducation de ses deux parents et l’intérêt à faire l’objet dès sa naissance d’un rattachement juridique stable, fondé sur les fonctions dans le cadre de la procréation biologique, à une mère et à un père. Dans ce contexte, elle a souligné que la maternité et la paternité, en tant que catégories juridiques, n’étaient pas interchangeables et se distinguaient aussi bien par les conditions préalables à leur justification que par les conséquences juridiques qui en découlaient.

122.  En ce qui concerne les intérêts publics invoqués par la Cour fédérale de justice dans son arrêt du 6 septembre 2017, la Cour a admis dans le passé que la cohérence de l’ordre juridique pouvait revêtir une certaine importance dans la pesée des intérêts (Christine Goodwin, précité, §§ 86‑88 et 91 ; X, Y et Z c. Royaume‑Uni, 22 avril 1997, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II ; et Rees c. Royaume‑Uni, 17 octobre 1986, §§ 43‑44, série A no 106). Elle a notamment reconnu que la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil et, plus largement, l’exigence de sécurité juridique, relèvent de l’intérêt public (Y.T. c. Bulgarie, no 41701/16, § 70, 9 juillet 2020 ; X et Y c. Roumanie, nos 2145/16 et 20607/16, § 158, 19 janvier 2021 ; A.P., Garçon et Nicot, précité, § 132 ; et S.V. c. Italie, précité, § 69). Dans ce contexte, elle relève aussi que, comme l’a souligné la Cour fédérale de justice dans son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 49‑58 ci‑dessus), les transcriptions dans les registres de l’état civil revêtent une fonction de preuve particulière dans le système juridique allemand.

123.  Pour ce qui est des droits de l’enfant, la Cour note que les requérants affirment que leurs intérêts sont étroitement liés entre eux et que, partant, les limitations apportées aux droits des requérantes ne peuvent être justifiées par les intérêts prétendument opposés du requérant, contrairement à ce que soutient le Gouvernement (paragraphe 101 ci‑dessus). À cet égard, la Cour rappelle d’une manière générale qu’un État peut, sans enfreindre l’article 8 de la Convention, adopter une législation régissant des aspects importants de la vie privée qui ne prévoit pas de mise en balance des intérêts concurrents dans chaque cas, mais qui édicte une règle à caractère absolu visant à promouvoir la sécurité juridique (S.H. et autres, précité, § 110, et Evans, précité, § 89; voir aussi l’Observation générale no 14 du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, paragraphe 32, cité au paragraphe 67 ci‑dessus). Elle considère par ailleurs, sans mettre en question les droits parentaux (voir l’article 3 § 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant – paragraphe 66 ci‑dessus), que la Cour fédérale de justice n’était pas limitée à prendre en considération les intérêts du requérant tels qu’ils ont été présentés par les requérantes, mais devait, au contraire, les examiner d’une manière exhaustive et notamment tenir compte des conflits d’intérêts entre les requérants.

124.  Cela étant, la Cour note que, dans son arrêt du 6 septembre 2017, la Cour fédérale de justice a examiné la question de savoir si l’attribution aux parents d’un statut juridique sans lien avec leur fonction dans le cadre de la procréation biologique était de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant. Par ailleurs, si les conclusions que la Cour fédérale de justice a formulées à cet égard dans sa décision de principe contiennent des considérations générales qui n’abordent pas explicitement les droits individuels de l’enfant, cela tient au fait que les juridictions nationales saisies par l’un des parents (ou les deux) et son (leur) enfant ne peuvent pas tenir compte uniquement des intérêts invoqués par le(s) parent(s), mais doivent donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant (voir notamment l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant – paragraphe 66 ci‑dessus) et aussi prendre en considération les possibles intérêts futurs de celui‑ci, ainsi que les intérêts des enfants qui se trouvent dans une situation comparable et auxquels les dispositions législatives régissant l’affaire devant elle concernée s’appliquent également (voir aussi X, Y et Z c. Royaume‑Uni, précité, § 51).

125.  La Cour note qu’en l’espèce la divergence entre les intérêts des requérantes et ceux du requérant est naturellement apparue peu après la naissance de l’enfant, lorsqu’il a fallu déterminer quelles informations consigner dans le registre des naissances, autrement dit à un moment où le bien‑être du requérant ne pouvait être examiné de manière individualisée en raison de son bas âge. Par ailleurs, pour la Cour fédérale de justice, comme cela ressort de sa décision de principe, les intérêts de l’enfant se confondaient dans une certaine mesure avec l’intérêt général attaché à la fiabilité et à la cohérence de l’état civil ainsi qu’à la sécurité juridique (voir, mutatis mutandis, A.P., Garçon et Nicot, précité, § 142).

126.  La Cour note que le droit de l’enfant de connaître ses origines, que la Cour fédérale de justice a mis en avant dans son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 49‑58 ci‑dessus) pour limiter le droit à l’identité de genre du père de l’enfant, est également protégé par la Convention (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 54, CEDH 2002‑I ; Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III ; et Godelli c. Italie, no 33783/09, §§ 45‑46, 25 septembre 2012) et englobe notamment le droit d’établir les détails de sa filiation (Mennesson, précité, § 46, et Labassee, précité, § 38).

127.  La Cour relève aussi que la Cour fédérale de justice a souligné que le rattachement juridique de l’enfant à ses parents suivant leurs fonctions procréatrices respectives permettait à l’enfant d’être rattaché de manière stable et immuable à une mère et à un père qui ne changeraient pas, même dans l’hypothèse, que la haute juridiction a considérée dans sa décision de principe comme n’étant pas seulement théorique, où le parent transgenre demanderait l’annulation de la décision de changement de genre. Le Gouvernement a par ailleurs déclaré que ce rattachement de principe vise aussi à empêcher la gestation pour autrui, qui est prohibée en Allemagne (paragraphe 98 ci‑dessus), interdiction que la Cour a reconnue comme correspondant à un intérêt général légitime (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, §§ 203‑204, 24 janvier 2017 ; Mennesson, précité, § 62 ; et Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, no 71552/17, § 65, 18 mai 2021).

128.  En ce qui concerne l’indication des anciens prénoms de la première requérante dans le registre des naissances, la Cour déduit des constats que la Cour fédérale de justice a livrés dans son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 49‑58 ci-dessus) que cette indication correspondait au but visé par la seule possibilité prévue par la loi, à savoir l’inscription de la première requérante dans le registre des naissances en tant que père du requérant, et qu’elle servait par ailleurs à éviter à celui‑ci d’avoir à révéler que son parent est transgenre.

129.  Pour autant que les requérants arguent (paragraphe 91 ci‑dessus) que le droit d’un enfant de connaître sa filiation et l’intérêt des autorités publiques à garder une trace de la réalité biologique d’une fécondation par un parent transgenre pourraient être satisfaits par l’inscription de deux mères dans le registre des naissances, la Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe à cet égard différentes manières d’assurer le respect de la vie privée et la nature de l’obligation de l’État dépend de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Odièvre, précité, § 46 ; Godelli, précité, § 65 ; Evans, précité, § 91 ; S.H. et autres c. Autriche, précité, § 106 ; et, mutatis mutandis, Vavřička et autres c. République tchèque [GC], nos 47621/13 et 5 autres, § 273, 8 avril 2021).

130.  La Cour observe par ailleurs que si la première requérante était inscrite en tant que père du requérant dans le registre des naissances, la présentation d’une copie de l’acte de naissance du requérant risquerait certes de révéler son identité transgenre, mais que la Cour fédérale de justice a indiqué dans son arrêt du 6 septembre 2017 (paragraphes 49‑58 ci‑dessus) qu’il était possible d’obtenir un extrait d’acte de naissance dépourvu de toute mention des parents. La haute juridiction a en outre précisé que seule un nombre restreint de personnes ayant généralement connaissance du caractère transgenre de l’intéressé, étaient habilitées à demander une copie intégrale de l’acte de naissance, toute autre personne devant faire valoir un intérêt légitime pour en obtenir une (voir, mutatis mutandis, Y. c. Pologne, précité, § 79, et S.W. et autres c. Autriche (déc.), no 1928/19, § 50, 6 septembre 2022).

131.  La Cour observe que les précautions susmentionnées sont de nature à réduire les désagréments auxquels la première requérante, notamment, pourrait être exposée en se trouvant contrainte de prouver sa qualité de parent vis‑à‑vis de son fils si elle venait à être inscrite dans le registre des naissances en tant que père. Elle note par ailleurs que les requérantes n’ont pas allégué qu’il leur fallait souvent présenter un acte de naissance complet du requérant lors de démarches administratives, ni qu’une version abrégée de l’acte ou un autre document étaient insuffisants pour les administrations et établissements concernés, dont certains en règle générale ont déjà connaissance du caractère transgenre d’une personne ou sont tenus de garder cette information confidentielle.

132.  Dès lors, eu égard, d’une part, au fait que le lien de filiation entre la première requérante et le requérant n’a pas été mis en cause en soi et au nombre limité de situations pouvant mener, lors de la présentation de l’acte de naissance du requérant, à la révélation de l’identité transgenre de la première requérante, si elle était inscrite en tant que père du requérant dans le registre des naissances, et, d’autre part, à la marge d’appréciation étendue dont dispose l’État défendeur (paragraphe 116 ci‑dessus), la Cour estime que les juridictions allemandes ont ménagé un juste équilibre entre les droits des requérantes, les intérêts du requérant, les considérations relatives au bien‑être de l’enfant et les intérêts publics.

d)    Conclusion

133.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

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